Cameroun: Paul Biya vu par L’Express

Cameroun: Paul Biya vu par L’Express

Cameroun: Paul Biya vu par L’Express L’hebdomadaire français sorti vendredi dernier, repasse au peigne fin le parcours de chaque pays à l’occasion des cinquantenaires. Il fait le portrait de Paul Biya, sans complaisance.

C’est Vincent Hugeux qui a piloté le dossier «50 ans d’indépendances africaines». Comme une antienne, le grand reporter au service Monde en charge de l’Afrique au magazine, introduit chaque pays «visité» par le sous titrage: «Il y a 50 ans… devenait indépendant». L’espace réservé au Cameroun se trouve en page 50 du dossier. D’entrée, on titre : «Au Cameroun, une liberté au goût amer». L’illustration en noir et blanc de la photo d’accompagnement, montre Ahmadou Ahidjo en boubou blanc immaculé contemplant deux jeune danseurs traditionnels. Pour la circonstance, il est entouré des personnes que nous commençons à oublier pour quelques uns : André Fouda, Jean Akassou, Arouna Njoya Enoch Kwayeb, Vroumsia Tchinaye ou du chef de protocole d’alors Happy.
L’auteur du dossier n’est complaisant ni avec le régime actuel, ni avec son principal dirigeant ; Paul Biya.

Il relève que : « Le cinquantenaire (indépendance et réunification Ndlr) réveille de vieilles blessures et jette une lumière crue sur le long règne d'un chef d'Etat invisible». Parmi les grandes articulations qui ont pointillé les manifestations des cinquantenaires camerounais, le président Biya avait organisé un colloque dénommé «Africa 21».Le journaliste en parle dans le volet de son dossier réservé au Cameroun ; il commente : «Africa 21. Vingt et un comme le siècle en cours. Vingt et un comme le nombre de coups de canon égrenés à Yaoundé dans la nuit du 31 décembre 1959 au 1er janvier 1960, histoire de saluer la naissance au gui l'an neuf du Cameroun indépendant. Ainsi a-t-on baptisé la conférence internationale réunie dans la capitale du 17 au 19 mai, à la veille de la fête nationale, en présence d'un parterre d'illustres visiteurs: le Ghanéen Kofi Annan, ancien secrétaire général de l'Onu, les présidents gabonais, ivoirien, tchadien, centrafricain et congolais, ainsi que deux ex-Premiers ministres hexagonaux, Michel Rocard et Alain Juppé. Tous invités à décrypter les "Nouveaux défis pour l'Afrique".»

Pour notre confrère, «ce forum n'aura en rien occulté le souvenir, encore vivace chez les aînés, d'une souveraineté accouchée au forceps. Le récit de Claude Krief, l'envoyé spécial de L'Express (à cette manifestation), reflète à merveille le climat d'extrême tension dans lequel ce territoire tiraillé largua les amarres de l'ère coloniale. Colonie allemande, le "Kamerun" enrichit peu après la Grande Guerre l'empire français, sur décision de la Société des Nations. Mais loin de se satisfaire de l'autonomie concédée à reculons par Paris, l'UPC - Union des populations du Cameroun - tient à conquérir la liberté à la pointe du fusil. Et l'assassinat, en septembre 1958, de sa figure de proue Ruben Um Nyobé, n'entame en rien l'ardeur des "terroristes". Lesquels enragent de voir le "francophile" Ahmadou Ahidjo cueillir les fruits du retrait de l'occupant. Et fêter l'indépendance, le 1er janvier à Yaoundé, le 2 à Douala et le 3 en son fief nordiste de Garoua.»

Le regard que projette Vincent Hugeux sur le président camerounais est des plus fermes. Il procure parfois le sentiment d’un reporter rugueux sur un politique raide. Il écrit ! «A l'heure d'apprendre par cœur la liste des chefs d'Etat du demi-siècle écoulé, l'écolier de Yaoundé n'est pas guetté par le surmenage. Car il lui suffit de retenir deux noms. Ceux d'Ahmadou Ahidjo et de son ancien chef de gouvernement Paul Biya, aux commandes de la patrie des Lions indomptables depuis vingt-huit ans. Quand il prête serment, en novembre 1982, rares sont ceux qui misent 3 francs Cfa sur la longévité de cet apparatchik timoré à la voix haut perchée. D'autant que, dix-huit mois après, il échappe de peu au coup d'Etat ourdi par son prédécesseur, bientôt condamné à mort par contumace et qui s'éteindra en son exil sénégalais en novembre 1989».

Notre confrère qui a sûrement bien enquêté sur son sujet de poursuivre : «Féru d'ésotérisme, l'ancien séminariste peut croire en son étoile: vingt ans plus tard, un site d'opposition annoncera son trépas dans une clinique helvétique. La rumeur affole les appétits et fait tomber les masques jusque dans les couloirs du palais d'Etoudi. De quoi aiguiser la méfiance, déjà proverbiale, d'un spectre bien vivant. Et entretenir son goût pour la réclusion, rançon du putsch avorté d'avril 1984. Pas plus qu'il ne préside, Paul Biya ne gouverne ni ne règne. Il flotte et survole, à distance au besoin. Surnommé "l'omni absent", l'ancien sorbonnard fuit Yaoundé quand l'orage gronde, et boude Douala. L'homme peut fort bien, flanqué d'une suite pléthorique, faire retraite au village, ou s'éclipser des semaines durant dans sa luxueuse villa genevoise; à moins de lui préférer un séjour en thalasso à La Baule. S'il est vrai que "le vacancier" - autre sobriquet en vogue - aime la musique classique, on parierait volontiers que L'Arlésienne de Georges Bizet figure en bonne place dans sa discothèque idéale…»

La corruption en ligne de mire
«Nul doute que Biya doit en partie sa survie politique à cette "rareté", tout comme à sa science de l'alchimie ethnique, ou encore à son sens aigu de la gestion des faveurs, des prébendes et des disgrâces. Mais l'art de l'hologramme a un prix, parfois prohibitif : celui de l'inertie, de l'apathie, de la sclérose. Le roi Paul trône en lévitation sur un volcan, comme l'attestent les violentes émeutes survenues en février 2008. Une telle éruption reflète l'acuité des frustrations sociales, patentes dans les bas quartiers, mais aussi le courroux suscité par un bricolage constitutionnel visant à gratifier en 2011 le monarque élu d'un nouveau septennat. C'est que le taiseux d'Etoudi joue du vertige de ses sujets. Moi ou le chaos : la vieille martingale a de l'avenir…»
Et «L’Express» de terminer son observation des 50 ans du Cameroun par un regard non luisant : «Dans le bestiaire camerounais, un rapace farouche rivalise désormais avec le roi lion: l'épervier, nom de code de la vaste campagne anticorruption déclenchée en 2006 sur les instances de Niels Marquardt, alors ambassadeur des Etats-Unis. A l'époque il est vrai, le pays végète dans les bas-fonds du palmarès annuel de l'Ong Transparency International. Témoin de l'habileté de Paul Biya, l'opération n'est certes pas chimiquement pure. Non content d'expédier en prison des dizaines de barons du régime, suspectés d'avoir puisé dans les caisses, cet Epervier-là piège aussi dans ses adversaires potentiels.»

© Source : Mutations


12/07/2010
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