Cameroun - Opération Epervier: M. Laurent Esso piégé par M. Paul Biya

YAOUNDÉ - 04 Juillet 2012
© Dominique Mbassi | Repères

Le président a nommé son ancien proche collaborateur à la Justice alors qu'il n'est pas à l'abri d'une déconvenue.

Un choix cornélien. En ce moment, le ministre d'Etat chargé de la Justice est pris en tenaille entre le devoir républicain de laisser fonctionner sereinement les institutions et le principe politique de fidélité à celui qui l'a révélé et propulsé dans les plus hautes strates du pouvoir. Et pour ne rien arranger, M. Laurent Esso sait que des personnalités aujourd'hui dans les mailles de la justice sont détentrices d'éléments susceptibles de le déstabiliser.

Lorsque, au moment de la formation du gouvernement du 9 décembre 2011, le président de la République décide d'envoyer son secrétaire général à la Justice, il n'ignore pas que ce proche collaborateur n'a pas toujours été irréprochable dans son traitement des dossiers de l'opération Epervier. Qu'il a pu œuvrer en faveur de telle personnalité ou en défaveur de telle autre, induisant au passage le Président en erreur dans bien des cas. C'est pourtant à lui que M. Paul Biya, qui manie avec dextérité l'art de Machiavel, confie le destin judiciaire de ses anciens collègues du gouvernement et d'autres personnalités. Mais le Minjustice ne sait sans doute pas que le Président détient un document qui compromet son proche entourage familial impliqué dans une transaction douteuse. Le dossier a été remis à M. Paul Biya depuis bien longtemps, qui l'a gardé pour s'en servir de cas échéant.

A l'arrivée de M. Laurent Esso à la chancellerie, une vague d'espoirs traverse les victimes de l'opération Epervier. Pour elles, la présence de ce magistrat hors hiérarchie à ce poste augure forcément une ère nouvelle, marquée par moins d'immixtion flagrante et grossière de la chancellerie dans les procédures comme sous le magistère de son prédécesseur, M. Amadou Ali.

Et ses premiers pas ne trahissent pas ces espoirs: les négociations s'ouvrent en vue du paiement des sommes présumées détournées, les charges tombent pour certains accusés à l'instar de M. Urbain Olanguena Awono. La plus grosse lueur vient de l'acquittement de M. Jean Marie Atangana Mebara, ancien SG/PR. Depuis le lancement de la campagne d'assainissement de la morale publique, c'est la première fois qu'un magistrat ose rendre un tel verdict.

«Cette décision a peut-être fait comprendre au chef de l'Etat que le garde des Sceaux n'avait pas la même compréhension que lui de sa mission au ministère de la Justice», se convainc une source judiciaire. «Si vous voulez, relâchez-les, mais avant je veux l'argent ou l'avion», aurait alors lâché un Paul Biya courroucé. Cette réaction présidentielle a sans doute sorti le Minjustice de ses illusions d'une Justice libre et indépendante. Car, «en vérité, jure une source, le Président ne veut ni l'argent ni l'avion. Il attend plutôt de M. Esso qu'il s'arrange à maintenir dans les liens de la Justice ceux-là qui se sont scandaleusement enrichis et qui en plus lorgnent le pouvoir suprême».

Prenant désormais la pleine mesure de sa mission, le ministre de la Justice se remet lucidement à l'ouvrage. Et la mue est visible. Le juge Gilbert Schlick, le téméraire président du tribunal de grande instance du Mfoundi qui a acquitté M. Atangana Mebara, peut alors faire l'expérience des pressions intenses de la chancellerie. Dans un sursaut inespéré, les magistrats se mettent en alerte en cas de sanction contre leur collègue.

Mais ce corporatisme ne suffit pas à les mettre à l'abri des affres d'un encadrement rigoureux des procédures qui semblent désormais s'imposer au Minjustice. Ainsi par exemple, souffle une source au cœur des arcanes judiciaires, le procureur général près la Cour d'appel du Centre a, le 18 juin, soumis à l'appréciation du ministre de la Justice le projet de réquisitoire définitif dans l'affaire contre Marafa Hamidou Yaya, Yves Michel Fotso et autres, relu et corrigé par son parquet général. En l'absence d'une réserve de M. Laurent Esso, le juge d'instruction devrait prendre dans les tout prochains jours, si ce n'est déjà fait, une ordonnance de renvoi en vue d'une ouverture du procès au cours des prochaines semaines.

L'opinion a encore frais à l'esprit l'épisode Atangana Mebara. Après avoir été acquitté, la chancellerie mettra tout en œuvre pour que l'ancien SG/PR ne respire pas un tant soit peu l'air de la liberté. Il va se voir signifier une nouvelle inculpation en prison. M. Polycarpe Abah Abah, lui, n'a même pas encore connu le dénouement de l'affaire qui l'a conduit en prison, qu'il doit déjà purger une peine d'emprisonnement de 6 ans pour tentative d'évasion aggravée. En fait, l'accusation s'échaudait de voir les chefs d'accusation retenus contre l'ancien ministre de l'Economie et des finances tomber l'un après l'autre.

Tout en gardant un œil exercé sur les procédures, M. Esso semble prendre du recul sur certaines initiatives pourtant prévues par les textes. A cet égard, le protocole transactionnel qui devait permettre à M. Yves Michel Fotso de payer 7,5 milliards de FCFA contre liberté et abandon des poursuites semble avoir été mis sous le boisseau. En tout cas la négociation entre les deux parties, qui devait inaugurer une ère que l'opinion publique appelle de tous ses vœux, donne aujourd'hui plus que l'impression d'être dans l'impasse.

Une mauvaise nouvelle pour ceux qui avaient misé pour une administration plus libre de la Justice sous M. Laurent Esso. Tant le garde des Sceaux met une ardeur particulière pour que s'accomplisse la volonté de celui qui l'a porté au pinacle. La preuve: l'ancien ministre de la Défense qui n'est pas connu pour proactivité a réussi le tour de force de créer les prisons secondaires de Yaoundé et de Douala logées dans des camps militaires et de nommer leurs régisseurs le même jour.


04/07/2012
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