Cameroun: L'Unité nationale en danger. Le Pays est-il menacé d'éclatement?

Douala, 17 avril 2012
© Michel Michaut Moussala | Aurore Plus

La politique d'exclusion menée par le président Paul Biya a abouti à un repli identitaire et communautaire des régions et ethnies du Cameroun qui menace l'unité nationale.


Michel Michaut Moussala
Photo: © CIN
I.- Les «syndromes» soudanais et malien

L’année dernière un nouvel Etat est né en Afrique: le Sud-Soudan issu de l'éclatement de l'ancien Soudan. La raison : les populations du Sud, noires, animistes et chrétiennes dans leur grande majorité estimaient n'avoir pas de place dans un pays dominé par la majorité arabe et musulmane du Nord. En effet, depuis l'indépendance survenue en 1956 de cette ancienne colonie britannique, le Pays avait toujours été dirigé par les gens du Nord. Cette politique d'exclusion avait poussé les populations du Sud à se révolter contre le pouvoir central de Khartoum. Après des guerres successives, un référendum avait été organisé sous l'égide des Nations Unies et le oui des populations du Sud pour la création de leur Etat l'a emporté par un score très massif:

Il y a quelques jours, les Touaregs du Nord du Mali s'estimant lésés, ont à travers le Mouvement national de libération de l'Azawad (Mnla) proclamé l'indépendance de cette partie du pays en occupant les villes de Kidal (30 mars), Gao (Simars), Tom bouctou (1er avril) et Douentza (2 avril).

Ce qui est arrivé au Soudan et au Mali peut-il se produire au Cameroun ? Si une majorité de Camerounais n'y pense pas, il y a des gens qui estiment qu'avec les frustrations accumulées par certaines régions et ethnies de notre pays, tout peut arriver.


La faute à Paul Biya

Le dernier remaniement ministériel en date du 9 décembre 2011 a administré la preuve que Paul Biya sape les fondamentaux de l'Etat camerounais par sa politique tribaliste à outrance. On a vu comment la région d'où est originaire le chef de l'Etat a décroché six Ministères alors qu'elle n'est peuplée que de 692 142 habitants (2010) contre par exemple 5 ministères pour la région du Nord qui est peuplée de 2.050.229 habitants soit trois fois plus. L'Extrême Nord qui est cinq fois plus peuplée que le Sud n'a que neuf ministères.

Dans les récents mouvements de commandement, le Grand Nord qui a trois régions n'est plus représenté que par deux personnes: Abakar Mahamat, originaire de l'Extrême Nord, gouverneur de l'Adamaoua et Midjiyawa Bakari, originaire de l'Adamaoua, gouverneur de la région de l'Ouest. Si on appliquait la politique de l'équilibre régional, le Grand Nord devrait avoir trois gouverneurs. Les Anglophones qui devraient avoir deux gouverneurs n'en ont qu'un seul, Awa Fonka Augustine, originaire du Nord-Ouest et gouverneur de l'Extrême Nord. Le Sud Ouest n'a plus de fils gouverneur de région. Le Sud et le Centre s'accaparent de la majorité des postes de gouverneurs avec Joseph Beti Assomo, Jules Marcelin Ndjaga, Samuel Dieudonné Ivaha Diboua, etc. Un partage inique donc. Cela veut-il dire que seules les régions du Centre et du Sud sont capables de produire des administrateurs civils et autres hauts fonctionnaires ayant la compétence pour occuper les postes de gouverneurs? Que nenni.

Nous avons également constaté dans nos récentes éditions le nombre élevé et anormal de directeurs généraux qu'ont les régions du Centre et du Sud.

Il y a quelque chose qu'il faut relever et qui est indécent c'est que certaines tribus sous Paul Biya ne peuvent pas occuper certains postes ministériels comme par exemple qu'un Bamiléké ne peut pas occuper le ministère de la Défense ou des Finances tout comme un originaire des régions du Nord Ouest ou du Sud Ouest.


Il.- Que reprochent certaines ethnies et régions à Paul Biya?


Les Bamilékés: les mal aimés

Ils s'estiment être marginalisés par Paul Biya, même si le poste de Secrétaire général du Comité central du Rdpc a été confié à Jean Nkuete, originaire du département de la Menoua. Que veulent les Bamilékés? Ils veulent des postes-clés dans le gouvernement comme par exemple ceux des Finances, de l'Administration territoriale et de la Décentralisation, de la Défense. Paul Biya ne peut pas leur donner ces postes. On dirait que le chef de l'Etat a plus de considération pour les originaires du Grand Nord qu'à ceux de l'Ouest. La preuve Alamine Ousmane Mey, ministre des Finances est originaire du département du Logone et Chari, région de l'Extrême Nord, tout comme Hamidou Yaya Marafa, originaire du Nord est resté longtemps à la fête du département de l'Administration territoriale et de la Décentralisation.

Même au niveau de grands postes de directeur généraux, de grandes sociétés d'Etat, on ne trouve pas beaucoup de Bamilékés. La Sonara, la Snh, la Sni, le Port autonome de Douala et bien d'autres structures d'envergure échappent à leur contrôle.


Sur quoi fondent-ils leurs revendications?

Leur poids économique et démographique. Le poids économique. Les plus grands opérateurs économiques, les plus grosses fortunes du Cameroun sont d'origine bamiléké. C'est, il faut le dire en toute vérité, les plus gros créateurs de richesses du pays. Se basant donc sur leur puissance économique, les Bamilékés estiment qu'ils devraient être mieux traités lors du partage du gâteau national.

Mais seulement, cette logique devient dangereuse si les Bamilékés ayant déjà le pouvoir économique cherchent à avoir la présidence de la République. En effet, il n'est pas normal qu'une seule ethnie détienne à la fois le pouvoir économique et le pouvoir politique.

Le poids démographique. La région de l'Ouest était peuplée de 1 785 285 habitants en 2010, ce qui ne représente pas grand-chose par rapport aux régions de l'Extrême Nord, du Nord, du Centre. Dans ce chiffre, il faut retrancher le département du Noun peuplé de 455 083 habitants, une population essentiellement d'origine bamoun. En réalité, les Bamilékés sont plus nombreux à l'extérieur qu'à l'intérieur de leur région d'origine, l'Ouest. Dans le Moungo, département de la région du Littoral ils sont largement majoritaires sur une population de 379 241 habitants en 2010. Tout comme dans le département du Wouri peuplé officiellement de 1 931 977 habitants. Dans la région du Centre ils sont bien représentés dans la ville de Yaoundé, capitale politique du Cameroun.

Mais il convient de relativiser ce poids démographique des Bamilékés, comparés au reste du pays. Si les Bamilékés sont trois millions sur 20 millions d'habitants, on ne peut pas dire qu'ils sont une ethnie dominante sur le plan démographique.


III.- Le Grand Nord: Paul Biya, un faux ami

Ce bloc reproche également à Biya comme la région de l'Ouest d'être marginalisé par lui. Cette entité géo-administrative pèse sur le plan démographique 6 546 265 habitants en 2010 dont 3 480 414 habitants pour la région de l'Extrême Nord, 2 050 229 pour le Nord et 1 015 622 pour l'Adamaoua soit deux fois plus l'ensemble des Bamilékés sans oublier que ce Grand Nord est bien représenté dans le centre, surtout à Yaoundé et dans le Littoral, Douala principalement.

Les trois régions du Grand Nord ont donné 1 610 997 suffrages valablement exprimés à Paul Biya soit une contribution de 42,70%, donc plus que les régions du Centre et du Sud réunies. Le Grand Nord s'attendait à avoir donc compte tenu des voix accordées à Paul Biya à un retour de l'ascenseur avec le poste de Premier ministre ou alors à tout le moins celui de secrétaire général de la présidence de la République comme lot de consolation. Hélas, il n'a obtenu ni l'un ni l'autre, il a même été humilié avec la rétrogradation de Amadou Ali, qui, de vice-Premier ministre en charge de la Justice est désormais en charge des Relations avec les Assemblées même s'il a conservé son rang de vice-Premier ministre. L'intéressé et toute la classe politique du Grand Nord considère cela comme une humiliation. Ce qui n'est pas faux. Le Grand Nord considère qu'il a travaillé pour rien à l'élection de Paul Biya, ce sont les autres, régions du Centre et du Sud, qui viennent manger sans travailler. Il considère donc Paul Biya comme un faux ami, un traître. Ce n'est plus la sérénité qui règne entre le Grand Nord et Paul Biya qui le sait, les sourires affichés par les originaires de cette partie du pays ne sont que hypocrisie. Le Grand Nord veut reprendre le pouvoir qu'il avait donné à Paul Biya par le biais d'Ahmadou Ahidjo en 1982. Est-ce une bonne chose pour le Cameroun ? Nous estimons que non car cela peut être source de guerre civile tout comme ces troubles peuvent être provoqués si un membre du groupe Fang/Béti succède à Paul Biya à la tête du pays.


IV.- Les Anglophones: des citoyens de seconde zone

Nos compatriotes des régions anglophones du Nord Ouest et du Sud Ouest sont mal à l'aise dans le système politique actuel d'Etat unitaire. Ils souhaiteraient dans leur grande majorité revenir au système fédéral qui a été aboli en mai 1972 par Ahmadou Ahidjo, premier président du Cameroun. Ils sont considérés par leurs compatriotes francophones comme des citoyens de seconde zone. Ce qui n'est pas faux en partie.


Les Anglophones estiment ne pas occuper des postes clés gouvernementaux dans le système Biya. Dans l'actuel gouvernement, ils n'occupent pas de postes de choix hormis celui de Premier ministre qui est presque statutaire. En effet, sur les huit postes ministériels occupés par les Anglophones, quatre pour le Nord Ouest et quatre pour le Sud Ouest, il n'y a pas grand-chose à en tirer.

- Peter Agbor Tabi du Sud Ouest est secrétaire général adjoint de la présidence de la République

- Ngole Philip Ngwese du Sud Ouest est ministre des Forêts et de la Faune

- Ama Tutu Muna du Nord Ouest est ministre des Arts et de la Culture.
Le reste n'est que broutille :

- Deux secrétaires d'Etat pour le Nord Ouest et un ministre chargé de mission.

- Un ministre délégué et un ministre chargé de mission pour le Sud Ouest

Ces deux régions à elles deux n'ont aucune importance aux yeux de Paul Biya puisqu'elles ont moins de ministres que la région du Centre qui en a 19. Est-ce parce que ces deux régions votent souvent contre Paul Biya et le Rdpc. Pas tout à fait vrai puisque le président de la République a été majoritaire dans ces deux régions lors du scrutin présidentiel du 9 octobre dernier battant Ni John Fru Ndi, le leader de l'opposition dans ce qui est supposé être ses fiefs. Au niveau des sociétés d'Etat, le Nord Ouest et le Sud Ouest se débrouillent mais ce n'est pas suffisant même si Henry Njalla Quan est directeur général de la CDC, et Obi Okpun, directeur général de la Pamol, tous deux étant originaires du Sud Ouest, le premier étant du département du Fako et le second de la Manyu.



V.- Conséquence: le repli identitaire et haine entre les Camerounais

Cette politique malsaine de déséquilibre régional pratiqué par le président Paul Biya est dangereuse pour son pouvoir parce qu'elle oppose les Camerounais entre eux et les poussent au repli identitaire et communautaire. Le Bulu est montré du doigt par les autres ethnies nationales, il est considéré comme le fossoyeur de l'économie nationale, comme un prédateur, un adepte de la corruption et un détourneur des deniers publics, un égoïste qui ne peut pas partager avec le reste de la Communauté nationale. Avant l'arrivée de Biya au pouvoir, les Bulu n'avaient pas de problèmes avec les autres composantes ethniques du pays, c'est pendant son long règne qu'il a favorisé les gens de sa région natale, le Sud, ainsi que ceux du centre qui sont les grands bénéficiaires de son régime. Il a fait le sudiste soit très mal vu des autres Camerounais. Quand nous disons ici sudiste, il faut voir le Fon, l'Ewondo, le Ngoumba, le Batanga qui sont aussi originaires du Sud qui profitent autant que le Bulu du même régime inique de favoritisme sous Paul Biya.

Cette politique de Paul Biya a créé le phénomène de repli identitaire qu'on ressent particulièrement dans le Grand Nord, l'Ouest et le bloc Anglophone du Nord Ouest et du Sud Ouest. Et cela peut être à l'avenir source de troubles et autres émeutes dans le pays voire même des tentatives de sécession. La pratique politique de Paul Biya fait en sorte que les Camerounais des différentes régions se regardent comme des chiens de faïence, la haine s'est installée entre eux. Chaque Camerounais raisonne, fonctionne désormais en terme ethnique, régional ou départemental.


VI.-Que doit faire Paul Biya?

Pour effacer ces frustrations, Paul Biya doit mettre en place une politique de justice sociale vis-à-vis de toutes les composantes sociologiques du pays. Il ne doit privilégier aucune ethnie, région ou département, il doit les placer sur un même pied d'égalité. Comment peut-il donner à une seule région 19 ministres?


Comment peut-il donner à un seul département cinq directeurs généraux de société d'Etat alors que d'autres n'ont pas un seul directeur général adjoint.

Il est donc bon que le président redistribue les cartes sans oublier une ethnie, une région ou un département. Il expose les Bulu pour rien, car demain ils pourront être pourchassés par les autres tribus camerounaises après son départ et oubliés des grands projets nationaux. N'est-ce pas parce qu'il a prévu cela qu'il est en train de mettre le paquet dans sa région d'origine en expérimentant sa politique des Grandes réalisations : port en eau profonde de Kribi, Barrages hydroélectrique de Mekin et de Memve'ele, Centrale à gaz de Kribi, bitumage d'axes routiers, etc. C'est cela. Alors prudence le Président.

Un père de famille est un rassembleur et non un diviseur. Il donne à manger à tous ses enfants sans exclusion aucune.



18/04/2012
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres