Cameroun : Enoh Meyomesse , Le 1er janvier est devenu un jour banal au Cameroun

Cameroun : Enoh Meyomesse , Le 1er janvier est devenu un jour banal au Cameroun

Cameroun : Enoh Meyomesse , Le 1er janvier est devenu un jour banal au CamerounEcrivain et homme politique, il revient sur l'annonce des célébrations du cinquantenaire de l'indépendance du Cameroun.

Quelle place occupe l'indépendance du Cameroun en Afrique ?

L'indépendance du Cameroun est quelque chose de fondamental pour l'Afrique Noire parce que c'est la 3ème indépendance arrachée des mains des colons par un peuple africain noir. Il y a d'abord eu le Ghana avec Kwame Nkrumah qui a obtenu son indépendance de haute lutte en 1957. Ca c'était du côté des colons britanniques. Du côté français, il y eu la Guinée avec Sékou Touré qui a dit "Non" au référendum constitutionnel que le général De Gaulle organisait et qui créait la Communauté en même temps qu'il excluait la possibilité d'indépendance pour les peuples africains qui adhéraient à la Communauté. Il avait dit "Celui qui veut l'indépendance il la prendra et la France en tirera les conséquences". C'était une sorte de chantage qui excluait la possibilité de dire non.

Il faut dans ce cas se souvenir de la phrase célèbre de Sékou Touré qui avait dit "Nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l'esclavage". C'est pourquoi lors du référendum du 28 septembre 1958, il a fait voter "Non". Quelques jours après, la Guinée est devenue indépendante. La France la "punit" pour cela pour faire comprendre aux autres que ce n'est pas un exemple à suivre. Et puis est venue l'indépendance du Cameroun qui a causé beaucoup de soucis à la France. Les Camerounais ont résisté à la volonté française de transformer leur pays en une colonie et de l'intégrer à l'Union française.

Ils ont refusé de changer de statut. Il y a eu beaucoup de pression, à travers le maquis à partir de décembre 1956, par des pétitions à l'Onu, des marches, des grèves, des meetings, des discours et même le chant. Il y a eu le combat mené par les étudiants en France à travers l'Unec. La France a essayé la manière douce avec le Haut commissaire André Soucadaux qui excluait les patriotes de l'Assemblée, que ce soit de l'Arcam ou de l'Atcam. C'est ainsi qu'il a fait humilier Um Nyobé aux élections de l'Assemblée nationale à Paris en 1951 et en 1952.

Mais cela n'a rien changé. Puis il y a eu la méthode forte avec Roland Pré qui venait de faire face à Sékou Touré en Guinée. Au Cameroun, il a eu à faire face à une situation plus difficile car les revendications étaient plus fortes ici l'on réclamait l'indépendance. Il a dû faire venir des troupes de Fort Lamy, actuel N'Djamena, de Bangui, de Brazzaville. La violence exercée sur les Camerounais amène ceux-ci à publier en 1955, "La déclaration commune", un document en quatre points que l'on a tôt fait d'effacer de la mémoire des Camerounais.

Il s'agissait d'une déclaration unilatérale d'indépendance. Il ne restait à la France que de se débarrasser du Cameroun en lui accordant une indépendance vidée de tout son contenu. Ce qui sera fait par les accords du 31 décembre 1958 signés par Ahmadou Ahidjo et la session spéciale de l'Onu de mars 1959 a donc décidé que le Cameroun accédait à la souveraineté internationale le 1er janvier 1960. Le cas camerounais a inspiré d'autres pays africains comme le Togo. La plupart des autres dirigeants africains vont suivre ce qui s'est passé au Cameroun et c'est ainsi que leurs pays accéderont à la souveraineté internationale après nous. Le Cameroun occupe une place à part dans la décolonisation. Bien que nous soyons le seul pays qui ne fête pas son indépendance.

Vous parlez d'une indépendance obtenue de haute lutte. Dans son message le 31 décembre 2009, le président de la République parle de Camerounais qui ont combattu pour l'obtenir, parfois au péril de leurs vies. Il n'a pas donné de noms. Qui sont-ils ces héros ?

Les plus connus sont Um Nyobé, Félix Roland Moumié, Abel Kingué, Ernest Ouandié. Il y en a bien d'autres. Qui ont connu le maquis, la prison mais dont on ne parle pas du tout. On peut citer dans ce registre Martin Sinkam, Marcel Bebey Eyidi, Noé Tankeu, Joseph Yemvack, Nyobè Mpandjo… Même le président de la République connaît tous ces gens.

Quelle forme devrait revêtir l'hommage à rendre à ces gens 50 ans après ?

La première chose à faire, c'est de rétablir la fête du 1er janvier qui est devenu un jour banal. Ce serait la plus grande manière de reconnaître le combat de ces gens. La fête du 20 mai ne veut rien dire. Il faut rétablir le 1er octobre. Il faut ériger des monuments pour ces gens et même des musées. Nous sommes le seul pays au monde qui n'a pas de monument pour ses héros, dont les écoles ne portent pas les noms de ceux qui ont fait son histoire. Je vois un monument à la mémoire de Um Nyobé au niveau de la Poste centrale à Yaoundé. Il faut que nous donnions des noms de lycées, de rues, d'hôpitaux comme cela se fait partout ailleurs. On a un hôpital Jamot à Yaoundé, mais où est l'hôpital Martin Bebey Eyidi ?

Le président de la République a annoncé la tenue de "la Conférence de Yaoundé". Quel pourrait en être le contenu à votre avis ?

Il y a deux manières d'aborder cette conférence. Celle des gens qui ont géré le Cameroun depuis 1960. Ils vont essayer de continuer à maquiller l'histoire, à la falsifier. Ils essayeront de montrer qu'il y avait deux voies, la voie de la sagesse qu'avaient adopté ceux qui refusaient l'indépendance dont Ahmadou Ahidjo, André Marie Mbida et autres et la voie des " cinglés " qu'avaient adopté ceux qui allaient à l'Onu, qui faisaient des pétitions, des grèves. L'autre manière consisterait à se pencher sur la vraie lutte du peuple camerounais. Ce sera manifestement un cinquantenaire de gens qui ne voulaient pas l'indépendance, qui pensaient à l'époque que c'était irréaliste, que le Noir ne pouvait pas remplacer le Blanc…

50 ans après les défis qui étaient ceux du Cameroun ont-ils changé ?
Les défis sont les mêmes malheureusement.

Comment ça ?

Je ne sais pas s'il y a eu un recul de la pauvreté. Je ne crois pas. A l'époque, vous aviez 30 élèves par classe. Aujourd'hui, il y en a 150. En 50 ans d'indépendance, nous n'avons bitumé que 5 000 km de routes sur un réseau de 50 000, soit une moyenne de 100 km par an. C'est médiocre. 89% des Camerounais vivent en zone rurale, de ce côté, rien n'a changé. Il y a même eu comme une régression. A l'époque lorsque vous obteniez un baccalauréat, celui-ci était admis en équivalence lorsque vous arriviez en France. Aujourd'hui, plus personne ne prend en considération les diplômes camerounais. Comparez les écrivains des deux époques. Il y a un net recul. A la fin de la colonisation, les soins médicaux étaient gratuits. Tout se règle dans les hôpitaux aujourd'hui en termes de factures et d'ordonnances. Nous avons aujourd'hui des dizaines de milliers de bacheliers. Mais la qualité a-t-elle suivi ? Je ne pense pas. Parce qu'aucun établissement où sont formés ces Camerounais ne disposent ni de bibliothèques fournies, ni de laboratoires. Le même problème se pose au niveau des universités.

Qu'est-ce qui à votre avis peut-être fait pour réconcilier les Camerounais avec leur histoire ?

Il y a une série de monuments qu'il faut élever. Il faut revenir au 1er janvier et au 1er octobre. C'est fondamental. Ce sont des dates plus importantes que le 20 mai. Il faut refaire les programmes d'histoire des lycées et collèges. L'histoire du Cameroun ne commence pas le 18 février 1958. Les Camerounais ont commencé à réclamer la reconstitution de leur patrie dès 1916.

Concernant Ahmadou Ahidjo, certains pensent que le meilleur hommage à lui rendre serait de procéder au rapatriement de ses restes au Cameroun.

Il y a un fait que personne ne peut nier. Ahmadou Ahidjo a été le premier président du Cameroun. Il faut en tenir compte et lui rendre hommage. Je fais partie de ceux qui n'ont jamais approuvé sa politique. Mais il n'est pas concevable que le premier président de ce pays soit enterré hors du Cameroun. C'est une insulte qui lui est faite.

© Mutations : Propos recueillis par Jean Francis Belibi


08/01/2010
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