Cameroun, Droits de l’Homme : Etat de police, torture et erreur judiciaire, une liaison dangereuse

Cameroun, Droits de l’Homme : Etat de police, torture et erreur judiciaire, une liaison dangereuse

Police Emeutes Cameroun:Camer.beLa police et la gendarmerie doivent prendre part aux cadres de réflexion de sensibilisation pour la promotion de la dignité humaine. Bien que l'observation de l'environnement juridico-politique camerounais nous renseigne sur la volonté affichée de soumettre la société camerounaise à " un ordre juridique excluant l'anarchie et la justice privée" et garantissant réellement aux sujets de droits le respect du droit notamment contre l'arbitraire, un regard rétrospectif de la phase policière des événements de février 2008 au Cameroun, qualifiés officiellement de " mouvement d'humeur ", tels que relayés par la presse nous amène à constater une forte distorsion entre la règle formelle et son application pratique.
 
Ainsi, traitant des " audiences des manifestants interpellés au cours de la grève ( émeutes de février 2008, ndlr) ", "Mutations", dans son édition du 5 mars 2008, reprend les propos de Bernard Songo, étudiant de deuxième année de la filière Droit à la faculté des sciences juridiques et politique de l'université de Douala, qui déclare : " nous avons été bastonnés.

Nous avons été forcés, à coup de matraque et courant électrique de signer les procès verbaux à la police judiciaire. Personne parmi nous n'a d'ailleurs pu lire ce document avant signature. Pour avoir demandé au préalable la lecture du procès verbal qu'on me demandait de signer, j'ai reçu un coup de crosse de fusil sur la tête ". Revenant sur les auditions de certains manifestants devant la barre, "Le Messager " dans sa parution du 05 mars 2008 reprend les propos suivants : " nous avons signé les procès verbaux sous les coups de crosses de fusils, les bastonnades au courant électrique des enquêteurs…on ne nous a ni fait lire chacun de nos procès verbaux, ni lu pour nous ". Dans son édition du 03 mars, le même journal reprenait déjà les propos selon lui d'un commissaire de police qui aurait déclaré, entre autres, concernant la répression des manifestants : "…c'est pourquoi lorsque nous arrêtons des manifestants, nous leur infligeons des corrections mémorables. Par exemple nous tirons dans les jambes ".

Citant une source dite de la délégation provinciale de la police judiciaire du littoral, " Le Messager " du 04 mars 2008, dans un papier de Jean-Célestin Edjangue intitulé " Où sont passés les manifestants interpellés à Douala ? " rapporte les propos suivants : " nous avons très bien traité les délinquants présumés, ceux qui ont cassé et pillé les entreprises. Il s'agissait bien avant de les déférer, de leur montrer que ce qu'ils ont fait n'honore ni eux-mêmes, ni leurs familles, ni notre pays ". Dans le même article, une autre source policière aurait affirmé sans scrupule avoir conscience de la présence possible d'innocents parmi les suspects mais dit-elle, " dans des circonstances pareilles, c'est la sécurisation du territoire qui prime ".
Les cas évoqués, s'ils sont avérés, nous font dans un premier temps craindre la réalité du drame de l'Etat de police dans lequel les règles protectrices des libertés ne s'imposent qu'aux personnes privées par opposition à l'Etat de droit (esclave et protecteur des libertés) où ces règles s'imposent aussi aux pouvoirs publics. Ces cas peuvent également suffire à démontrer que, malgré le droit à l'intégrité physique interdisant les actes de tortures, des aveux ont pu être obtenus en violation de la législation en vigueur, tant pour ce qui concerne l'intégrité physique que pour ce qui est de l'intégrité morale des suspects.

Des pratiques à rebours de la législation nationale

Pourtant, suivant le code pénal camerounais, " le terme " torture " désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aigues, physiques, mentales ou morales, sont intentionnellement infligées à une personne, par un fonctionnaire ou toute autre personne, agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite, aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux… ". Ce code prohibe donc en son article 132bis toute forme de torture. L'article 122 du Code de procédure pénale recommande de traiter le suspect " matériellement et moralement avec humanité ".

L'alinéa 2 du même article dispose que " le suspect ne sera point soumis à la contrainte physique ou mentale, à la torture, à la violence, à la menace ou à tout autre moyen de pression, à la tromperie, à des manœuvres insidieuses, à des suggestions fallacieuses, à des interrogatoires prolongés… ". L'article 90 du code de procédure pénale, en son alinéa 3, dispose clairement que " lorsque tout ou partie d'un procès-verbal est consacré à une audition ou à une confrontation, les personnes entendues ou confrontées doivent, après lecture et si nécessaire, interprétation, être invitées à parapher chaque feuille du carnet ou du procès verbal d'audition ou de confrontation, et approuver par leurs paraphes les ratures, surcharges et renvois…

Le non respect des textes internationaux

Faut-il le rappeler, la législation camerounaise citée plus haut est en parfaite harmonie avec les textes et conventions (non contraignants et contraignants) dont le Cameroun est partie tant au niveau international que régional. Au niveau international, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, adoptée par l'Assemblée Générale des Nations Unies le 10 décembre 1948, prévoit en son article 5 que " nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitement cruels ou dégradants ". Bien que n'ayant pas, sur le plan du droit international strict, une portée juridique obligatoire, la Déclaration universelle des droits de l'homme a cependant une valeur morale incontestée. Divers organes internationaux de protection des droits de l'homme lui reconnaissent même un caractère de droit international coutumier.

Dans le même sens, l'article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (instrument contraignant) dispose que "toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine". L'article 14 du même pacte interdit qu'une personne faisant l'objet de poursuites pénales soit forcée de s'avouer coupable ou encore de témoigner contre elle-même. L'article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants, repris par l'article 132bis du code pénal camerounais cité plus haut, définit la tortue et l'interdit formellement, aux fins notamment d'obtenir d'une personne des aveux ou des renseignements. Au niveau régional, l'article 5 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples dispose que "toute forme d'exploitation et d'avilissement de l'homme notamment l'esclavage, la traite des personnes, la torture physique et morale, et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradant est interdite".

Si le législateur a pris conscience de la nécessité de réformer la justice à travers un code de procédure pénale moderne, beaucoup reste encore à faire, notamment en ce qui concerne la formation de certains professionnels dont la mise à niveau permettrait peut-être d'éviter à la justice et à l'Etat en général des situations hautement embarrassantes… La culture du respect de la norme juridique en tant que volonté de l'expression générale mérite l'adhésion de tous et plus particulièrement des personnes chargées de la faire respecter. Faut-il le rappeler, Le droit est l'ensemble des règles qui régissent (sans exclusive) la vie en société et ses sources sont supposées être connues de tous suivant la maxime "nul n'est censé ignorer la loi”.
La mission des officiers de police judiciaire relève de celle de la justice en général en tant que service public ; elle est rendue au nom du peuple dans le respect des libertés individuelles et de l'Etat de droit qui en lui-même est un concept à l'origine forgé à la fin du XIXème siècle dans la doctrine allemande puis française "par des juristes et à usage des juristes".

Il a cependant a connu une extraordinaire promotion et mondialisation sortant du champ clos de la doctrine juridique pour s'imposer sur la scène politique internationale comme le principal modèle de référence. Dans son ouvrage L'Etat de droit, jacques chevalier, professeur de droit souligne que " tout Etat qui se respecte est désormais tenu de se présenter sous l'aspect avenant, de se parer des couleurs chatoyantes de l'Etat de droit, qui est le seul label nécessaire sur le plan international ". Justement, dans un contexte de revendication de l'Etat de droit, la normalité en tant que respect de la norme sociale et la légalité comme respect de la loi ne peuvent qu'aller de pair dans le domaine des droits de l'homme. Ces droits sont devenus des normes sociales c'est-à-dire des règles admises et qui doivent être respectées par tous les individus vivant dans une société. En même temps, il s'agit de normes juridiques, c'est-à-dire des lois qui expriment la volonté générale et dont la violation est sanctionnée devant les tribunaux.

Les effets de la violation de ces normes sociales et juridiques à travers des actes de torture et/ou " traitements cruels, inhumains et dégradants " ne se limitent pas qu'aux souffrances du suspect et au pseudo sentiment " du devoir bien accompli " du professionnel. Les effets de cette violation peuvent fausser, à travers des aveux provoqués et/ou suggérés des procédures et induire la justice en erreur c'est-à-dire favoriser la possibilité pour ceux qui sont chargés de rendre la justice de se tromper en condamnant un innocent ou en acquittant un coupable. Le dictionnaire de la justice (sous la direction de Loïc Cadiet, PUF, 2004) définit ce type d'erreur autrement appelée " erreur judiciaire " comme " le possible de toute décision de justice, de tout jugement par lequel le juge surmonte, au terme d'un délibéré avec sa conscience, le doute méthodique qui d'abord l'habite ".

Même si aucun système judiciaire (inquisitoire, accusatoire ou mixte), ne peut prétendre être parfait, l'erreur judiciaire ne pouvant être complètement évitée, des efforts doivent néanmoins être faits pour la réduire à sa plus simple expression. Ces efforts commencent dès l'arrestation. Ceci suppose que le comportement général des acteurs du système judiciaire (au premier rang desquels se trouvent ceux qui procèdent aux arrestations) devrait être en harmonie avec les réformes traduisant, somme toute, le souci au moins affiché des autorités camerounaises de respecter les droits de l'homme et d'assurer une bonne administration de la justice. Au rang de ces réformes, on peut citer la mise en place progressive d'un nouvel appareil judicaire conforme aux dispositions de la loi constitutionnelle de 1996, l'adoption du code de procédure pénale, la création d'une Direction des droits de l'homme et de la coopération internationale au Ministère de la justice, le remplacement du Comité national des droits de l'homme et des libertés par une commission nationale des droits de l'homme et des libertés dont malheureusement, les activités liées au 60ème anniversaire de la déclarations universelle des droits de l'homme faites à coup de renfort publicitaire et d'annonces semblent paradoxalement plus relever d'un besoin de visibilité que d'un soucis de contribution efficace et rigoureuse à l'amélioration des conditions de détentions et à l'amélioration du fonctionnement de l'institution judiciaire et du système pénal. ..

En France, dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire Filippis, et face aux nombreuses réactions enregistrées tant dans les médias que dans la classe politique jugeant les mesures employées par la police disproportionnées par rapport aux faits de diffamation reprochés à Vittorio de Filippis, ancien directeur de la publication de Libération, le chef de l'Etat français, se démarquant de Michèle Alliot-Marie et de Rachida Dati (respectivement ministres de l'intérieur et de la justice), qui ont pris la défense des policiers, a immédiatement affirmé dans un communiqué qu'il " compren(ait) l'émoi suscité " par cette affaire et, prenant la mesure du danger de l'émancipation de la police dans certaines de ses pratiques à contre courant des lois, a annoncé une réflexion sur "une procédure pénale plus respectueuse des droits et de la dignité des personnes".

La nécessité d'une appropriation, d'une adhésion et d'une adaptation effectives à l'évolution du corpus normatif

Comme quoi, dans les troupes, et malgré le niveau de développement institutionnel, juridique et social, la réalité de certains comportements est là, pleine de contradictions et de paradoxes. Cette réalité, potentielle génératrice d'erreurs judiciaires, commande que l'on reconnaisse qu'au Cameroun particulièrement la mise en œuvre du code de procédure pénale a encore besoin d'être appuyée à travers sensibilisation, information, formation , communication et même causeries éducatives pour certains. La réforme de notre système judiciaire ne peut s'accommoder de pratiques revoyant au souvenir des brûlés vifs du moyen âge là où elle devrait servir à limiter le nombre de vies familiales contemporaines brisées comme conséquence d'un vice majeur de procédure. La réhabilitation du Capitaine Alfred Dreyfus, nous enseigne que la réparation arrive souvent trop tard et qu'en fin de compte, elle ne répare pas l'irréparable.

L'Etat de droit doit alors être plus qu'un label nécessaire sur le plan international ; il doit être une réalité quotidienne sentie et vécue dans tous les secteurs de la vie nationale y compris dans les commissariats de police et devant des officiers de gendarmerie…L'Etat n'étant mieux servi que parce que l'intérêt de la justice demeure en toutes circonstances préservé, rien, absolument rien ne doit primer sur l'Etat de droit et ce, malgré l'existence de certains droits acquis et parallèles…Les occasions qu'offrent le soixantième anniversaire de la Déclaration Universelle des droits de l'Homme et le dixième anniversaire de la Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l'Homme devraient susciter la mise sur pied au sein de certaines administrations dont notamment la police et la gendarmerie de cadres de réflexion et de sensibilisation sur la promotion et la protection de tous les droits de l'Homme et de toutes les libertés fondamentales pour une meilleure participation de ces corps à l'administration de la justice dans le respect des principes de l'Etat de droit, tels que véhiculés par l'ensemble des sources du droit camerounais

© Correspondance : Guy Makongo


27/03/2010
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