Cameroun: Cilas Kemedjio " Monsieur Ndong Soumh,je vous accuse de participer à la profanation de la mémoire de Njawe"

Cameroun: Cilas Kemedjio " Monsieur Ndong Soumh,je vous accuse de participer à la profanation de la mémoire de Njawe"

Benoit Ndong:Camer.beLa diplomatie des cadavres a remplacé la torture post-mortem. Le dictionnaire définit le vandalisme comme le « comportement de celui qui détruit ou endommage gravement et gratuitement des œuvres d’art, des objets de valeur, des édifices publics, etc. ». Par extension, nous pouvons dire que le vandale c’est toute personne qui se rend coupable d’un comportement qui porte atteinte à l’ordre établi, dans la sphère privée ou publique. Le vandalisme économique qui paralyse le Cameroun est l’oeuvre des hauts fonctionnaires qui ont gravement endommagé, à des fins égoïstes et personnelles, l’économie nationale soit par cupidité, soit par incompétence. Le vandalisme de la démocratie camerounaise porte  la marque des sous-préfets et préfets qui sont passés maîtres dans le tripatouillage électoral, de l’inscription sur les listes électorales au décompte des voix en passant par la réglementation partisane des réunions politiques. Le massacre de nos libertés publiques fut longtemps l’oeuvre des administrateurs de la sous-direction des libertés publiques du ministère de l’Administration territoriale. Tous ces actes ont un dénominateur commun: la plupart des fonctionnaires responsables du vandalisme économique, démocratique ou liberticide ont été formés à l’École nationale d’administration et de magistrature. Le gouverneur de la province de l’Ouest (pardon de la région selon le nouveau slogan administratif) s’est rendu coupable d’un acte de vandalisme lors des obsèques de Puis Njawe en arrachant le microphone et de ce fait, privant Monga du droit de s’exprimer. L’autorité de l’État ne saurait se manifester de manière aussi grotesque, ausi violente et aussi expéditive dans une cérémonie privée. Il s’agit d’une imposture, et nous sommes surpris qu’au lieu de nous expliquer ces faits d’armes d’un ancien étudiant de l’ENAM, le directeur choisisse de verser dans une loghorrée démagogique digne des vandales de la République.

Monsieur le directeur général, votre lettre prend prétexte d’une référence à l’ENAM pour réciter ce que Mongo Beti nommait le « catéchisme du pouvoir ». Je m’attendais à vous voir défendre l’honneur de votre établissement. Vous avez apparemment oublié de le faire, préférant verser dans l’invective, la démagogie et les slogans creux qui caractérisent les gens de votre espèce: les serviteurs dociles de la dictature dite du Renouveau. Qui sait, peut-être que votre CV est en route vers la présidence. Vous méritez mon attention pour au moins une raison. Votre tirade électoraliste invite Monga à se conformer au protocole républicain, comme l’a fait votre gouverneur vandale et l’imposteur Tchiroma. Monga vous signale tout simplement qu’il existe une République, à laquelle vous ne croyez point puisque tout dépend de la volonté du « perroquet du Renouveau ». La République existe, mais les citoyens ont aussi des droits. Une cérémonie privée, familiale ne saurait être perturbée par qui que ce soit, le protocole d’État s’applique à l’État, et rien de plus. À ce que je sache, Puis Njawe n’a pas eu droit à des obsèques officielles. Vous avez certainement oublié d’enseigner ces rudiments du droit à votre gouverneur vandale.

Vous dites aussi que Monga a enfreint le protocole villageois. Cette phrase est malheureuse parce qu’elle me rappelle une autre, tenue lors du procès Monga-Njawe par le feu Pierre Ngijol Ngijol. Monsieur Ngijol, dans son appel au lynchage des deux accusés, insinuait que dans la culture bamiléké, il était interdit de critiquer les chefs. Vous invoquez la culture bamiléké, si tant est qu’il serait possible qu’une culture bamiléké existe, pour réduire vos adversaires présumés au silence. Vous et ceux de votre caste vivez dans l’ère du procès Monga-Njawé. Les magistrats qui ont officié à ce procès avaient communiqué, au mépris de la déontologie de leur profession, le verdict aux journalistes de la station provinciale de la Cameroon radio television du Littoral avant sa lecture au tribunal, témoignant une fois de plus de la soumission de la justice à l’exécutif tout-puissant. Pendant qu’on y est, l’appel interjeté par Monga et Njawe a-t-il jamais eu de suite? Seule la peur de toute voix qui refuse de faire allégeance à la mangeoire vous guide dans votre tentative d’éliminer Monga de la scène.

L’oraison funèbre de Monga a déconcerté jusqu’au gouverneur vandale. Monga a rendu hommage au combattant Njawe, demandant seulement que ses persécuteurs fassent amende honorable. Le gouvernement dit du Renouveau a pensé se racheter en versant 10 millions de nos francs dévalués. Njawe n’était pas un moins cher, et vous garderez vos crimes contre lui sur votre conscience. J’ai fait allusion plus haut au fait que vous n’avez pas défendu votre institution, et peut-être que vous avez honte de l’ENAM, qui fabrique de juges corrompus, manufacture des administrateurs qui ont tout fait pour que le Cameroun mérite la médaille d’un pays le plus corrompus de la planète. Les préfets, sous-préfets et le gouverneur vandale sortent de l’ENAM. Leur contribution épique à la démocratisation du Cameroun est bien connue, je veux ainsi nommer la perversion du processus électoral. Vous pourriez aussi, dans la défense de votre institution, nous dire combien de vos anciens étudiants sont tombés sous la fureur de l’épervier. Les prisons de la République témoignent des prouesses de votre institution qui contribuent à leur surpeuplement hors échelle.

Oui, Monsieur le DG, vous méritez vraiment votre titre d’Admnistrateur civil hors échelle! Les produits de votre établissement connaissaient aussi Njawe, à travers la sous-direction des libertés publiques. La liste des persécuteurs du combattant est longue: la sous-direction des libertés publiques du ministère de l’Administration territoriale, le ministère de la Communication et les policiers qui, j’en suis témoin, pourchassaient les vendeurs des journaux au Carrefour Bessengué. Les dictateurs délégués avaient pour mission de traquer la lettre ouverte de Monga à un certain Paul Biya, roi du Cameroun qui torpille la Constitution selon ses humeurs pour perpétuer son règne. Monga a été privé de la sonorisation par un gouverneur. Votre lettre continue le travail titanesque de vos anciens étudiants pour transformer le Cameroun en bastion soumis à la sous-direction des libertés publiques.

Monga n’est pas administrateur civil hors échelle. Il n’a pas à faire allégeance aux douaniers (les meilleurs de votre institution) ou aux contrôleurs d’impôts. Son travail l’a émancipé de votre tutelle, et c’est cela son seul crime. Il ne vous reste plus que la prose perfide qui, dans son cas, est sans objet. S’il ne s’était agi que de cette omission des conséquences désastreuses de votre établissement dans la vie des Camerounais, votre lettre aurait été fort banale. Elle m’interpelle pourtant parce qu’elle vous dépasse: elle semble provenir d’un traquenard dressé par les officines occultes pour perpétuer leur main-mise non pas sur ce pays, mais sur les dividendes qui proviennent de l’accaparement de l’appareil d’État. En cela, je vous accuse de participer à la profanation de la mémoire de Puis Njawe, comme vos pareils le firent de tant d’autres combattants.

Mon admiration pour l’oeuvre de Njawé à jamais immortatalisée dans l’épopée du journal Le Messager n’a pas attendu sa brutale disparition pour se manifester. J’ai eu l’occasion de contribuer pour quelques articles dans le journal. Je l’ai aussi rencontré au siège du journal à Yaoundé, et nous avons eu à discuter quelques minutes avec Ambroise Kom. Il me parlait alors des célébrations marquant les trente ans du journal. Je lui avais alors demandé de republier le numéro exemplaire sur le défunt président Ahmadou Ahidjo. Un chef-d’oeuvre qui cristallise autant son courage politique que sa détermination à livrer à ses lecteurs une production de la plus haute facture. Il m’avait alors demandé de venir célébrer les trente ans du journal, je lui ai fait comprendre qu’étant donné le calendrier, je ne pouvais le faire à cause de mes obligations professionnelles.

Je travaillais alors sur un texte sur les relations entre Le Messager et le regretté Mongo Beti. J’ai désormais achevé ce texte et je l’ai envoyé au combatant Njawe deux ou trois jours avant l’accident fatal. Peu importe qu’il ait lu ou pas le texte, je ne pourrais jamais oublier cette minute fatidique quand une âme généreuse me téléphona pour m’annoncer la tragique nouvelle. L’histoire est désormais connue. Les soupçons d’une cabale meurtrière n’ont pas tenu la route. Ayant conduit sur les autoroutes américaines, je sais qu’un accident est  vite arrivé. Le volume des voitures est monstrueux, et tout peut arriver à tout moment. J’ai donc suivi le dernier voyage du combattant, m’informant au téléphone ou sur les autoroutes de l’information, et tout s’est bien passé.

Tout s’est bien passé jusqu’au moment où j’ai appris que le gouvernement dit du Renouveau avait entrepris ce qu’un chroniqueur a si bien nommé  la « danse macabre » sur le corps encore chaud de Pius Njawe. Tout commence par une grotesque conférence de presse convoquée par Monsieur Issa Bakary Tchiroma, ministre de la Communication. L’imposteur déroule une fable incompréhensible devant des journalistes commandités sur mesure. Il parle de Freedom Fm, la radio de Puis Njawe enterrée par le pouvoir de Yaoundé. Il verse dans l’indécence en accusant le disparu d’avoir été, en quelque sorte, responsable de la censure de sa radio. Puis Njawe n’étant plus là pour se défendre, nous nous demandons pourquoi un ministre du gouvernement a choisi ce moment pour débiter de telles insanités. Notre interrogation va trouver un début de réponse avec la révélation d’une donation du président de la République à un des fils du défunt.

La communication attribuée à Monsieur Paul Biya relève de l’imposture, et au moins pour une raison. Le président adresse des messages de condoléances, non à une famille éprouvée, mais à un seul enfant. La manipulation fut tellement grossière qu’on oublia même le rituel des condoléances: la famille fut tout simplement ignorée au profit du bénéficiaire de la manne suspecte. L’intéressé avait-il été désigné par le défunt comme légataire testamentaire? Si le testament faisait défaut, existait-il un consensus familial pour le consacrer représentant de toute la famille? Les réactions des uns et des autres nous invitent à conclure qu’aucune de ces conditions n’était remplie. Il ne nous reste plus que la thèse d’une primitive instrumentalisation politicienne.

La stratégie du pouvoir camerounais depuis la mort de Njawe commence maintenant à transparaître dans ce qu’un chroniqueur a justement qualifié de « danse macabre » autour du tombeau de l’illusre disparu. La funeste parade rentre dans une histoire assez longue et qui consiste à faire taire les corps rebelles. En d’autres termes, même dans leur mort, les dissidents continuent de donner des sueurs froides à leurs bourreaux qui redoutent le retour de leurs spectres. On se souvient que les têtes des partriotes tombés pendant la lutte pour l’indépendance étaient décapitées et paradées pour semer la terreur. Le corps de Ruben Um Nyobé, même après son exécution, fut traîné dans la boue, giflé par le traître avant d’être emmuré dans une tombe qui avait pour mission de le recouvrir d’un silence éternel. Patrice Lumumba, emprisonné, torturé, est assassiné et son corps a à jamais disparu. Tuer le pouvoir des corps insoumis, telle semble être la logique de cet acharnement. Au Cameroun qui semble vouloir embrasser les habits du monde civilisé, on ne traîne plus le corps des rebelles dans la boue, on ne décapite plus leurs têtes. Il faut faire civilisé: la nouvelle religion de la profanation s’appelle récupération. La diplomatie des cadavres a remplacé la torture post-mortem. Et c’est en ceci que la profanation du corps de Puis Njawe nous interpelle.

La profanation commence par le paiement des deniers de Judas à un membre de la famille. La mise en scène de cette sinistre forfaiture est amplement médiatisée. Le ministre de la Communication verse des larmes de crocodile sur le corps encore chaud de celui que son gouvernement a combattu jusqu’à sa mort. Il accuse le mort d’intransigeance et se présente comme un bienfaiteur qui aurait bien voulu voir la radio du groupe Le Messager sortir des fonts baptismaux. Un gouverneur aux ordres est déplacé dans la maison du deuil, avec pour mission de veiller que les adversaires presumés de la lugubre farce gouvernmentale soient empêchés de parler.

Célestin Monga figure dans cette catégorie. Le vandalisme de l’administreur civil manque de bon goût. L’incident est trop caricatural pour que l’imposture n’éclate pas au grand jour. L’imposteur c’est quelqu’un qui trompe par de fausses apparences, qui se fait passer pour quelqu’un d’autre alors que l’imposture représente une action de tromper, l’acte ou la parole qui tend à tromper autrui dans le but d’en tirer profit. Le dictionnaire nous fournit cette définition, quitte à nos contradicteurs de tropicaliser le savoir pour leurs besoins alimentaires. Et je prends toute personne qui va lire ces propos à témoin.

Monsieur Issa Bakary Tchiroma, ministre de la Communication et gaffeur de la République, est un imposteur parce qu’il a commis une forfaiture de plus, cette fois, sur le corps encore chaud d’un vaillant combattant de la dignité africaine. Nous voulons joindre notre modeste voix à la clameur publique qui a universellement condamné cet outrage à la mémoire de notre résistance patriotique. Le directeur de l’institution qui forme les administrateurs vandales, ignorants de la différence entre la vie privée et le domaine public, en prenant les armes contre Monga, se rend coupable de l’acte d’imposture par association. Et cette imposture, une fois de plus, a des précédents dans notre histoire nationale.

Au cours de l’enterrement de Mongo Beti il y a quelques années, le gouvernement de la République du Cameroun, qui s’était invité aux obsèques, avait déployé un arsenal d’artifices allant du message de condoléances du président à une gerbe de fleurs attribuée au couple présidentiel en passant par une décoration posthume. Le ministre de la Culture d’alors, le regretté Ferdinand Oyono, avait offert de financer la collation. Monsieur Grégoire Owona, élite locale, s’était personnellement déplacé. Toute cette mise en scène avait rencontré la détermination d’Odile Biyidi-Awala, décidée à préserver la mémoire du romancier et militant de la libération politique et économique de l’Afrique.

Les membres de la résistance patriotique avaient fait une haie pour déjouer la profanation du corps de Mongo Beti, persécuté pendant plus de quatre décennies par le pouvoir de Yaoundé. Ils furent assistés dans leur combat par un allié presque divin, la pluie qui s’abattit ce jour sur Akometan. Jean François Channon rapporte qu’à la vue de cette pluie, Puis Njawe eut alors cette formule riche d’enseignements: « l’arbirtrage de la nature ». La nature était venue au secours de la résistance contre l’imposture gouvernementale. Nous sommes presque tristes de savoir que la nature n’est pas venue déjouer la « danse macabre » des vandales de l’Enam.

Le gouvernement, conscient de ses mésaventures au cours des obsèques de l’auteur de Ville cruelle, a revisé ses ambitions. Ainsi, après la mort de Puis Njawé, aucune demonstration publique de recupération de ce combattant marginalisé, emprisonné, privé du droit de faire son travail de journaliste par le gouvernement dit du Renouveau. Le gouvernement choisit plutôt la voie des intrigues et des combines qui débouchent sur la scène grotesque qui voit Monsieur Tchiroma remettre la somme de cinq millions Fcfa à un des fils du défunt. L’imposture ne s’arrête pas à ce niveau. Il faut dépêcher sur place un gouverneur carrément vandale. Oui mesdames et messieurs, un gouverneur qui, invité à une cérémonie privée, se lève pour arracher des microphones. Monsieur le directeur de l’École nationale d’administration et de magistrature, voilà les faits d’armes des produits de votre institution. Vous devriez en être fier, puisque la honte devrait revenir sur votre ennemi fantasmé ou réel, Célestin Monga. Le peuple et l’histoire jugeront, et que la terre de nos ancêtres protège la mémoire de Puis Njawe, le combattant qui avait choisi de rester à « l’écoute du peuple ».

© Correspondance : Par Cilas Kemedjio ,University of Rochester, New York. Email: cilas.kemedjio@rochester.edu


21/08/2010
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres