CAMEROUN: CHRONIQUE D´UN PILLAGE ANNONCÉ - 2EME PARTIE

(((( CAMEROUN: CHRONIQUE D´UN PILLAGE ANNONCÉ - 2EME PARTIE ))))


Plus qu'à une interview, c'est à un duel que se sont livrés Monga et Messi Messie l'ancien DG de la SCB. Poussé jusque dans ses derniers retranchements, Messi Messi a livré une histoire que les Camerounais n'ont sans doute jamais soupçonnée. Ce n'est, évidemment, que sa version des faits."Personne n'était au courant. Je traitais directement avec le palais d'Etoudi. En général, le ministre des Finances n'est jamais informé de ce que font les directeurs généraux des banques. Ceux-ci travaillent avec le chef de l'Etat..." Il y a exactement 14 ans, en mai 1992, Robert Messi Messi, ancien administrateur directeur gé­néral de la SCB tombé en disgrâce donnait une entrevue vérité à la revue JAE ( avec pour titre : « Comment Biya et sa famille ont pillé la SCB ») Sans doute aujourd’hui beaucoup ont déjà oublié à tord ou à raison ses déclarations. La première impression de dépaysement qu'éprouve le visiteur africain qui dé­barque à Montréal est due à l'éloignement de l'aéro­port internationale du centre-ville : 55km Il fait froid et dépouillé dont la verdure renforcée par une couche de neige si épaisse sur les arbustes qui bordent l'autoroute que l'on se demande si l'on est vraiment au mois d'avril. Et alors que le taxi fonce, comme des milliers d'autres véhicules, vers la prestigieuse cité internationale du Québec francophone, on se dit que Robert Messi Messi a choisi l'endroit idéal pour se mettre au vert. Le Canada, c'est vraiment loin du Cameroun. Pas seulement du point de vue de la distance. Mais également à cause de l'atmosphère générale feu­trée commune à tous les pays du Nord, de l'ambiance aseptisée, des couleurs sobres de l'espace : on a beau être en francophonie, le paysage est différent, la culture des hommes fait d'eux des gens certes accueillants, mais dénués de l'exubérance coutumière des francophones Montréal. C'est dans cette île posée comme un bateau de papier en plein cœur du Québec, entre le lac Saint-Louis, le fleuve Saint-Laurent, la Rivière des prairies et le Lac des Deux Montagnes que Robert Messi Messi est venu se mettre à l'abri. L'homme qui a dirigé la Société ca­merounaise de banque (premier éta­blissement bancaire du pays) d'avril 1983 à août 1988 n'a pas vraiment changé. Peut-être a-t-il simplement les traits du visage un peu tirés, et la coiffure un peu moins précise qu'elle ne l'était, il y a quelques années lorsqu'il dirigeait la SCB (dis­soute en septembre 1989 pour cause de faillite). Honnis ces détails, il est resté digne de lui-même, affichant l'élégance pointue qu'on lui a tou­jours connue : costume en flanelle grise, lunettes à monture dorée, montre en or discrètement portée, mocassins de cuir noir très fins. Entre des cours d'anglais et la lecture du Wall Street Journal, il se prépare à une nouvelle vie de consultant in­ternational en attendant que les au­torités canadiennes veuillent bien lui accorder un statut de résident per­manent. Indiscutablement, il garde le moral haut, malgré les catastrophes qui semblent s'abattre sur lui depuis quelques semaines. EN DEBET POUR 3258178792 F CFA LA DÉCHÉANCE EN PRIME Des catastrophes ? Convaincu que le régime du président Paul Biya en voulait à sa vie, il s'est enfui de son pays le 18 septembre 1989, un an après avoir été limogé de la SCB, et s'est installé à Montréal, où il ne bénéficie que du statut touriste. Tous les trois mois, il doit quitter le ter­ritoire canadien et solliciter un nou­veau visa d'entrée. Les choses ris­quent fort de se compliquer pour lui, puisque le gouvernement camerou­nais se prépare à lancer un mandat d'arrêt international contre lui pour détournement de fonds publics. En effet, Garga Haman Adji, ministre camerounais de la Fonction publique et du Contrôle de l'Etat, a présidé, le 9 avril dernier, une réunion du Conseil de discipline budgétaire et comptable (CDBC) dont le commu­niqué de presse stipule que « Messi Messi Robert est mis en débet pour un montant de 3 258 178 792 F CFA, dont 2000000 d'amende spéciale; frappé de la déchéance lui interdisant d'être responsable à quelque titre que ce soit, pendant un délai de dix ans, de l'administration, de la gestion des services et entreprises d'Etat ». En outre, le CDBC a ordonné au rap­porteur de « clarifier la situation des comptes dont les rapports de contrôle et du rapporteur évaluent le solde à 49 milliards de F CFA ». Enfin, le CDBC « décide de transmettre au ministre de la Justice pour valoir plainte au nom de l'Etat le dossier de Messi Messi Robert aux fins de poursuites judiciaires ». Il est inédit que les autorités camerounaises dé­ploient ainsi l'artillerie la plus lourde pour s'attaquer à un homme qui fut durant de nombreuses années sinon un apparatchik du régime, du moins son principal financier. Même ceux qui ont été écartés de la gestion des affaires d'une manière plus brutale que ne le fut Robert Messi Messi n'ont pas connu une telle humiliation. Autant dire que l'ancien banquier est devenu aux yeux de Paul Biya et de son régime l'homme à abattre, l'incarnation du mal absolu. Pourquoi? Etait-il le délinquant international et le bandit de grand chemin que le pouvoir cherche à présenter ou au contraire simplement le bouc émissaire d’un régime aux abois, que l’on tente désespérément d'offrir en pâ­ture à l'opinion publique nationale et internationale comme le respon­sable de trois décennies de gaspil­lages, de gabegie et de détournement de fonds publics ? Est-il coupable de mauvaise gestion ou victime d'une cabale organisée au plus haut niveau de l'Etat pour faire diversion en ces temps d'incertitudes démocratiques. De toute façon, R. Messi Messi mé­riterait que nous nous en occupions. Né en 1949 à Adzap, petite bourgade située à une cinquantaine de kilo­mètres au sud de Yaoundé, il a ef­fectué un parcours sans faute jusqu'à sa nomination à la tête de la SCB en avril 1983. Il passe son baccalau­réat de série C en 1967 au lycée Leclerc de Yaoundé, et décide de s'engager vers une carrière scienti­fique. Après une licence des sciences ob­tenue à l'université de Yaoundé, il bénéficie d'une bourse d'études su­périeures en France, ce qui lui permet de soutenir une thèse en science (spé­cialité : cosmologie et relativité gé­nérale) sur la théorie Einstein-Max­well à l’université Paris VI en novembre 1974, non sans avoir fait un détour par l’École centrale. Revenu au Cameroun, il est recruté comme chargé d'études à la Banque des Etats de l'Afrique centrale (BEAC). Il sera successivement chef de service, fondé de pouvoir et sous-directeur, avant d'être appelé auprès du gouverneur Casimir Mba comme conseiller pour les Affaires monétaires et bancaires. Lorsque le 7 avril 1983 le président Paul Biya le nomme, à 34 ans, au poste d'administrateur directeur général de la SCB (dont le capital est partagé par l'Etat camerounais et quatre banques occidentales), nombreux sont ceux qui voient dans cet acte la consécration d'un surdoué. Certes, ici et là, quelques mauvaises langues insinueront que ce sera là le premier acte officiel de tribalisme assumé du nouveau chef de l'Etat. Ayant accédé à la magistrature su­prême seulement six mois plus tôt, le successeur d'Ahmadou Ahidjo pro­pulsait à la tête du premier établis­sement de crédit du pays un homme « trop » jeune, originaire comme lui de la grande famille des Betis. Beau­coup d'autres cadres de banque, plus expérimentés, auraient bien fait l'af­faire, entendait-on ici et là. Messi Messi quant à lui se contentait de répéter : « Le Président vient de me manifester sa confiance. Je ferai tout pour la mériter. » L’aventure durera cinq ans, années de gloire absolue au cours desquelles le directeur de la SCB apparaîtra comme l'un des hommes les plus enviés et les plus jalousés de la High Society camerounaise. Dans tous les milieux huppés de Douala à Yaoundé, on ne parle que de ce fringant jeune homme qui s'habille chez les meilleurs couturiers français, et dirige la banque selon les dernières techniques américaines de manage­ment. Confrontée à de graves diffi­cultés de trésorerie, la SCB voit sa situation générale se dégrader pro­gressivement. Les actionnaires étran­gers se retirent de la direction de la banque. Ses engagements ne sont plus honorés en compensation et les avoirs de ses clients sont brutalement gelés, faute de liquidité suffisante. Le 28 août 1988, une réunion extraordinaire du conseil d'administration remplace Messi Messi par Daniel Topouondjou Taponzié, mais l'entreprise est déjà en faillite. En septembre 1989, la SCB est officiellement liquidée. Pour douze millions de Camerounais, Robert Messi Messi, 42 ans, c'est surtout l'homme qui a mis en faillite le premier établissement bancaire du pays. La rumeur publique l'a souvent accusé durant ces dernières années d'avoir exporté des capitaux par mil­liards dans des malles métalliques. Comme pour accréditer cette rumeur, le gouvernement vient de déclencher contre lui, trois ans seulement après la liquidation de la banque, une pro­cédure judiciaire. Plus qu'à une interview, c'est à un duel que se sont livrés notre collaborateur Célestin Monga et Robert Messi Messie l'ancien directeur général de la SCB. Sans complaisance mais avec beaucoup de tenue, sous la direction de Biaise-Pascal Talla. Poussé jusque dans ses derniers retranchements par ce «procureur» de dix ans son cadet, Messi Messi a livré une histoire que les Camerounais n'ont sans doute jamais soupçonnée. Ce n'est, évidemment, que sa version des faits. Documents à l'appui, il est vrai. Mais quelle triste image de l'Afrique. Célestin Monga : Vous êtes un homme accusé de détour­nements de fonds publics, et qui s'est dérobé devant ses responsabilités en choisissant la voie de l'exil... Robert Messi Messi : II me paraît important de dire pourquoi j'ai quitté le Cameroun, le 18 septembre 1989, soit à peu près un an après mon départ de la SCB. Quelques mois après mon limogeage, des rumeurs ont commencé à circuler au Came­roun, notamment à Yaoundé, qui fai­saient état d'un certain nombre d'opérations que j'avais financées pour le compte de madame Jeanne Irène Biya. Et concluant que le pou­voir politique avait peut-être une part de responsabilité dans la faillite de la SCB... Rien ne prouve que vous n'avez, pas vous-même suscité ces rumeurs pour vous donner une image de martyr aux yeux de l'opinion et vous mettre à l'abri d'éventuelles poursuites judiciaires Pas du tout. On l'a peut-être cru en haut lieu, mais ce n'était pas vrai. Et ces bruits ne circulaient pas au niveau du petit peuple. Cela restait entre personnalités de la jet-set de Yaoundé. Plus ils s'amplifiaient, plus le pouvoir perdait confiance en moi. Toujours est-il qu'au début de sep­tembre 1989, un certain Etoundi, un jeune métis qui travaille pour le CENER (police politique, NDLR) à Yaoundé, et que l'on appelle commu­nément Kiki, est venu me voir pour me dire que Jean Fochivé souhaitait me rencontrer « en terrain neutre ». Cela m'a surpris, mais on ne refuse pas d'honorer un rendez-vous de­mandé par Fochivé. Nous sommes donc convenus de nous rencontrer chez Kiki la nuit suivante, à 2 heures du matin. C'était la première fois que j'allais là-bas, dans une maison située du côté du stade omnisports de Yaoundé. Fochivé est arrivé vers 2 h 30, et nous avons parlé. Il m'a dit que le « patron » (le chef de l'Etat) était très embêté par les rumeurs qui circulaient sur le fait qu'il pouvait être à l'origine des dif­ficultés de la SCB. Puis il m'a dit : « II semble que vous détenez des documents très importants, concer­nant des financement opérés pour son compte ou pour celui de madame Biya. » J'ai eu très peur, car je ne savais pas s'il fallait répondre par oui ou par non. Quelle était la vérité ? C'aurait été de lui répondre oui. Mais j'étais confronté à un dilemme. D'une part, j'avais envie de nier la chose, car il parlait de dossiers ultra-confidentiels qui n’avaient été discutés auparavant que par madame Biya et moi-même. Mais d'autre part, comme il s'appelait quand même Fochivé, j'ai pensé que son commanditaire ne pouvait être que le président Biya lui-même, seul susceptible de lui four­nir ce type d'informations. J'ai fini par reconnaître que je détenais les documents. Là-dessus, il m'a de­mandé de les lui restituer, originaux et copies, car disait-il, le régime ne devait pas être compromis par d'éven­tuelles fuites. Il a été très clair : « Si vous acceptez de me les remettre, je m'engage à intercéder en votre faveur auprès du patron pour que votre situation soit arrangée rapidement. » (Robert Messi Messi était au chô­mage, NDLR) ; en revanche, si vous refusez de me rendre ces documents, je crains que vous n'alliez au-devant de graves ennuis... Je peux vous dire que mes services ne s'engageraient pas à assurer votre sécurité ! » J'avoue que cela m'a secoué. Et ce, d'autant que Fochivé, je le connais bien, et je connais ses méthodes. Mon père a longtemps travaillé avec lui. Je le connais donc depuis que j'ai l'âge de trois ou quatre ans. J'ai fait l'imbécile. Je lui ai demandé de m'ac­corder un délai d'une dizaine de jours pour rassembler toute cette docu­mentation. Quelques jours après cet entretien, je reçois une lettre du mi­nistre des Finances, signée de Roger Tchoungui, le secrétaire d'Etat, qui me prie de lui fournir des explications sur le fonctionnement du compte de la SCB à l'American Express Bank de Paris.Là encore, j'ai été très surpris, car le compte SCB chez American Express, à Paris, a en­registré sous ma signa­ture des ordres de vi­rements importants effectués en mars et août 1988 pour un mon­tant total de 1 milliard 750 millions de F CFA. Cela en faveur de l'ar­chitecte franco-tuni­sien Olivier Clément Cacoub... La SCB investissait donc dans l'immobilier à Pa­ris ? Non, évidemment. Le président Biya se faisait construire un palais à M'vomeka, et le maître d'oeuvre en était Ca­ coub. Pour le financement de cette entreprise, j'étais en étroite relation avec madame Jeanne Irène Biya, qui me convoquait régulièrement à la présidence, à Yaoundé. Le paiement de la première tranche, 500 millions de F CFA, a été versé en mars 1988 ;celui de la seconde en août, 1 milliard 250 millions ; enfin, pour la troisième tranche, l'argent devait être viré le 15 septembre. Quelques jours avant cette échéance, alors que je me pré­parais à aller effectuer à Paris même le virement, je reçois la demande d'explication du ministre des Fi­nances. Cela m'intrigue. Car je me dis que le ministre me croit sûrement responsable et bénéficiaire des vi­rements de fonds qui sont observés au débit du compte SCB chez American Express... Le ministre des Finances Sadou Haya-tou était-il au courant des dépenses que vous faisiez pour la construction du palais de M'vomeka ? Non, pas du tout. Etant votre supérieur hiérarchique di­rect, il aurait dû être tenu au courant des mouvement de fonds que l'on vous demandait de prélever sur la trésorerie de la Banque, non ? Personne n'était au courant, ni à la Banque centrale, ni au ministère des Finances. Je traitais directement avec le palais d'Etoudi. En général, le ministre des Finances n'est jamais informé de ce que font les directeurs généraux des banques. Ceux-ci tra­vaillent avec le chef de l'Etat...Ainsi, madame Biya se serait contentée de vous appeler, et de vous donner instruction d'aller porter de l'argent à telle ou telle personne à Paris ! Eue se doutait quand même que cet argent devait provenir d'un compte quelconque et que votre banque tenait une compta­bilité des entrées et sorties de fonds ! Vous dites cela parce que vous ne la connaissez pas. Elle donne des ordres, et vous devez les exécuter. Elle ne veut absolument rien savoir et du reste, vos explications ne l'in­téressent pas. Elle est d'ailleurs très expéditive pour ce genre de choses. Nos conversations ne duraient ja­mais plus de cinq minutes, même lorsqu'il s'agissait de milliards. Du coup, la demande d'explication du 15 septembre vous posait une sorte de cas de conscience...Effectivement. La procédure normale pour les retraits de fonds de cette ampleur eût consisté normalement à monter un dossier au niveau du di­recteur général que j'étais, à le sou­mettre ensuite au président du conseil, Ahmadou Hayatou (frère du ministre des Finances), qui lui-même devait le transmettre avec avis au conseil d'administration pour déci­sion. Ces opérations dépassaient de loin ma délégation, et madame Biya savait que je n'avais pas le pouvoir de les exécuter selon ses exigences. Bien que sachant vos pouvoirs dépassés, et ayant donc conscience de l'irrégularité totale de ces retraits de fonds, vous ne vous êtes pas gêné pour le faire... Il s'agissait quand même de la construction du palais du chef de l'Etat dans son village... A la récep­tion de la lettre du ministre, j'avais deux solutions : soit répondre offi­ciellement, par courrier, que ces vi­rements de fonds avaient été opérés sur instructions de madame Biya — vous m'imaginez, vivant au Came­roun, et répondant officiellement de la sorte à une injonction ministé­rielle ? Soit ignorer purement et sim­plement la demande d'explication, quitte à laisser croire que j'avais des choses à me reprocher. Pourquoi ne pas en avoir parlé à ma­dame Jeanne Irène Biya ? Elle aurait pu convoquer le ministre pour lui de­mander de s'occuper de la collecte de l'impôt ou du déficit budgétaire, plutôt que de venir interférer dans ses comptes...Au même moment, j'ai reçu des in­formations émanant d'amis au sein du gouvernement, et m'avertissant que le régime préparait quelque chose contre moi, cela sans que je sache d'ailleurs pourquoi. J'ai alors estimé plus judicieux de me mettre à l'abri d'un éventuel « accident », en quittant le Cameroun. Quelle était la justification des menaces dont vous étiez l'objet et que vous ont rapportées vos amis du gouvernement ? Tant que vous n'aviez rien fait contre monsieur et madame Biya, il n'y avait pas de raison qu'ils aient des griefs contre vous. Au contraire... Les informations que j'ai eues in­diquaient que le chef de l'Etat avait ordonné une enquête sur ma gestion du compte SCB chez American Ex­press. Il ordonnait une enquête, sa­chant pertinemment que son épouse c'est-à-dire lui-même, était l'ordonnatrice des opérations litigieuses... L'argent servait à construire un palais qu'il allait habiter, et où il recevrait ses invités. Comme son épouse ne travaille pas, et ne dispose pas de revenus personnels, il ne pouvait pas ne pas connaître le détail des opé­rations. Je n'ai pas compris qu'il veuille enquêter sur cette affaire... Ou plutôt, j'ai cru comprendre que j'étais dans le collimateur. N'avez-vous pas montré, en vous exilant, que vous étiez coupable ? Vous auriez -du accepter l'idée d'un contrôle et -d'un passage au conseil de discipline budgétaire et comptable, voire un procès ! Cela vous aurait donné l'occasion de vous disculper publiquement en four­nissant ces informations. En quittant le Cameroun, j'assurais ma sécurité, et je me réservais la possibilité de pouvoir me justifier. Ayant eu accès à certains types d'in­formations, je n'avais aucune chance de me tirer d'affaire lors d'un procès. J'ai plutôt pensé au cas de l'avocat Ngongo Ottou, de l'abbé Mbasse... (assassinés il y a quelques années, sans que la justice ait pu déterminer qui étaient leurs meurtriers). Pourquoi ne pas avoir appelé madame Biya à votre secours ? Elle aurait pu désamorcer toutes les poursuites et me­naces qui pesaient sur vous. Dès que j'ai été limogé de la SCB, il y a eu comme un mur entre nous. Je n'arrivais plus à la joindre au téléphone. Elle me faisait dire qu'elle n'était pas là, ou qu'elle allait me rappeler. Et peu à peu, l'etau se resserrait autour de moi. J'ai discuté avec mon épouse et quelques membres de ma famille, et nous avons rapidement abouti à la conclusion qu'il fallait que je me mette à l'abri. Comment s'est organisé concrètement votre départ ? Ma femme et mes enfants ont quitté le Cameroun le même jour que moi, le plus officiellement du monde. Elle n'avait qu'une petite valise, ce qui n'a pas attiré l'attention des policiers lorsqu'elle a pris le vol régulier de Cameroon Airlines. Moi, j'ai loué une voiture de Yaoundé à Garoua, déguisé en dignitaire musulman. Je m'étais fait faire une impressionnante gandoura, ce qui n’a permis de franchir les barrages. De Garoua, j'ai traversé la frontière nigériane avec la complicité d'un passeur, emprun­tant même une pirogue. Puis je me suis rendu à Cotonou, d'où j'ai pu ensuite me rendre en Europe. Genève, le 19 octobre 1989 À Son Excellence Monsieur Paul BIYA Président de la République du Cameroun Le 18 septembre dernier, j'ai décidé, après mûre réflexion, de quitter mon pays, le Cameroun, et de faire partir en même temps mon épouse et mes enfants, étant parvenu à la conclusion que ma vie ainsi que la sécurité de ma famille n'étaient plus assurées. Je me suis résolu à une telle décision, lourde de conséquences pour moi et pour ma famille, à la suite de ma rencontre, quelques jours plus tôt, avec le Directeur Général du Centre Na­tional des Etudes et des Recherches' (CENER), rencontre intervenue à la demande de ce dernier. Au cours de notre entrelien, M. le Directeur Général du CENER, affirmant agir sur ins­tructions du CHEF DE L'ETAT, m'a fermement mis en garde contre la di­vulgation d'informations dont j'aurais eu connaissance et/ou de documents dont je serais entré en possession alors que j'étais Président de la Société Ca­merounaise de Banque (SCB). Allant plus loin, le Directeur Général du CENER m'a, au cours du même entretien, demandé de bien vouloir lui remettre les originaux desdits docu­ments, me donnant un délai de quinze jours pour obtempérer. Ma sécurité, a-t-il poursuivi, ne serait plus garantie au cas où les documents ne lui seraient pas remis à cette date. Par contre, m'a-t-il assuré, le Chef de l'Etat me confie­rait de nouvelles responsabilités au sein de l'appareil d'Etat au cas où je dé­ciderais de restituer lesdits documents. Monsieur le Président, c'est à la suite de ces menaces, qui intervenaient au surplus après de nombreuses mesures d'intimidation du même ordre dont j'ai été auparavant l'objet, que j'ai décidé de quitter mon pays afin de me mettre à l'abri. Vous ayant servi. Monsieur le Président, pendant de nombreuses années dans la loyauté et la fidélité, j'estime que je ne méritais pas un tel traitement. C'est la raison pour laquelle il m'a paru opportun de porter ces faits à votre connaissance, afin que vous soyez plei­nement informé des circonstances qui m'ont décidé à quitter mon pays. ROBERT MESS! MESSI P.S. : Lettre adressée par l'intermédiaire du Maître d'hôtel de l'hôtel Intercon­tinental à Genève. Fochivé avait donc eu l'imprudence de vous laisser vos papiers ? En général, il est plus «prévoyant»... J'avais un passeport ordinaire valide, mais sans visa. Après quinze jours au Nigeria et à peu près autant au Bénin, je me suis rendu à Genève où... Tiens donc, Genève ! Sans doute y êtes-vous allé pour vérifier les soldes de vos propres comptes numérotés ? Absolument pas. Il se trouve sim­plement que, de manière tout à fait fortuite, j'avais rencontré un diplo­mate suisse à Lagos qui avait eu l'amabilité de m'accorder un visa de quinze jours pour son pays. C'est la seule raison pour laquelle je me suis retrouvé à Genève. Les Allemands et les autres diplomates occidentaux auxquels je m'étais adressé n'avaient pas voulu me délivrer de visa. Alors Genève... Oui, c'était vers la mi-octobre 1989. Lorsque je suis arrivé là-bas, j'ai eu la surprise d'apprendre que le pré­sident Biya y était lui-même en visite. J'ai sauté sur cette occasion pour lui faire parvenir une lettre où je relatais l'affaire dans ses grandes lignes. J'es­ pérais qu'il me répondrait pour me tranquilliser et mettrait fin à une action qui avait peut-être été engagée par ses collaborateurs les plus zélés (voir ci-joint copie de cette lettre). Etes-vous sûr qu'il a reçu cette lettre ? En général, il ne lit et ne réagit qu'aux lettres publiées dans un journal... Je ne peux vous assurer qu'il l'a bien reçue. Mais j'avais utilisé un canal très sûr. Je l'ai adressé au maître d'hôtel qui s'occupait de sa suite à l'Intercontinental à Genève. J'espé­rais que ma lettre allait enclencher un processus de clarification. Mais rien ne s'est produit. Et les autres lettres que j'ai adressées par la suite à son aide de camp n'ont pas eu plus de réponse. C'est à ce moment-là que j'ai eu la certitude qu'il était lui-même le chef d'orchestre de la ma­chination ourdie contre moi. Aviez-vous de l'argent sur vous pendant votre « évasion » ? Non, simplement des cartes de crédit. J'avais deux costumes, et pas de ba­gages. J'ai laissé tout ce que je pos­sédais dans ma villa de Yaoundé, qui a été dévalisée. Mes objets person­nels, les vêtements et bijoux de mon épouse, tout a été vendu par des membres de ma famille. ETAT DES OPERATIONS EFFECTUEES PAR LE DIRECTEUR GENERAL DE LA SCB POUR LE COMPTE OU CHEF DE L'ETAT, DE SA FEMME ET DE LEURS FAMILLES. A - PRELEVEMENTS EN FRANCS CFA Effectués par : MM. Mva'a Albert Cherel & Azé'e Jérémie • Virement en faveur de maître Kack Kack, notaire à Yaoundé, pour le financement d'un achat de terrain : • Financement d'un immeuble d'habitation de très haut standing à Yaoundé, au quartier Ekoudou ; immeuble loué par la suite à l'ambassade de l'ex-République fédérale d'Allemagne au Cameroun pour servir de résidence à l'ambassadeur; • Prélèvement effectué pour l'acquisition d'une pierre tombale à la suite du décès du frère aîné du Président ainsi que pour la couverture de diverses dépenses liées aux funérailles, à Mvomeka'a ; • Retrait pour le compte de Mme Owono Ndi, parente de Mme Biya et cadre de la SCR en stage en France ; • Financement de dépenses locales liées aux travaux de construction du palais et de l'aéroport présidentiels à Mvomeka'a (200 millions de F CFA) ; • Financement de dépenses locales liées à la construction à Mvomeka'a de baraquements pour la Garde présidentielle et de quelques résidences de haut standing pour initiés ; » Finf'nrr'vtent des dépenses, locales liées à la gestion de la ferme du Sud à Mvomeka'a ; • Financement des dépenses locales liées à la gestion des plantations de Mvomeka'a ; • Autres retraits échelonnés dans le temps, et dont la destination ne nous avait pas été indiquée au moment du prélèvement des fonds. TOTAL DES PRELEVEMENTS EN FRANCS CFA » M. Mva'a Albert Cherel: 3551 149501 F CFA; • M. Azé'e Jérémie : comptes déplannés. B - PRELEVEMENTS EN FRANCS FRANCAIS (FF) Initiés par le directeur général de la SCB Sur instructions de Mme Biya • Virements effectués en faveur de M. Olivier Cacoub par prélèvements sur le compte de la SCB à American Express Banque France (Agence de Paris) : • Virements effectués en règlement des différentes dépenses en devises liées à la construction du palais présidentiel de Mvomeka'a. Le calendrier des virements se présente comme suit : Mars 1988 10 000 000 FF Juillet 1988 25 000 000 FF II mars................. 3 000 000 FF 6 juillet................. 7 500000 FF 14 mars................. 2 500 000 FF 7 juillet................. 7 500 000 FF 16 mars................. 3 500 000 FF 8 juillet................. 5 000 000 FF 18 mars................. 1 000 000 FF 11 juillet................ 5 000000 FF TOTAL DES VIREMENTS EFFECTUES EN FAVEUR DE M. CACOUB: 35 000 000 FF, soit 1 750 000 000 F CFA C - OPERATIONS EN DEVISES (Franc belge) • Dans le cadre du financement des importations de Belgique de matériel et des équipements liés au projet de la ferme du Sud, la SCB a donné sa contre-garantie à un CREDIT ACHETEUR consenti pur la Générale de Banque de Belgique à Mme Biya, promotrice du projet. • Par la suite, Mme Biya n 'ayant pas été en mesure de rembourser les premières échéances du prêt, la SCB s'est trouvée dans l'obligation de rembourser le crédit en lieu et place de Mme Biya. U - CREDITS ACCORDES AUX MEMBRES DES FAMILLES DU PRESIDENT ET DE MME BIYA. Ces crédits accordés sur instructions de Mme Biya concernent : • l.e financement de la construction de deux villas à Yaoundé, pour le compte de la sœur cadette du Président, Mme Marie Mengue ; • Le financement de la construction de deux villas à Yaoundé pour une des sœurs cadettes de Mme Biya (Mme veuve Onana) ; • Le financement de la construction d'une villa à Yaoundé pour une autre sœur cadette de Mme Biya, en service à la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS), Mme Ndame Marguerite Exemples de prêts sans garantie : un médecin... Le docteur Titus Edzoa, médecin personnel du président Paul Biya, est ministre de l'Enseignement supérieur depuis le 9 avril. Il y a quelques années, il avait sollicité auprès de lu SCB un crédit de 120 millions de F CFA pour bâtir une villa sur un terrain situé dans un luxueux quartier de Yaoundé. Robert Messi Messi affirme avoir d'autant plus facilement marqué son accord pour le déblocage des fonds que le docteur Edzoa lui a promis de mettre la maison en location et de rembourser son crédit par virement bancaire. La construction achevée, le conseiller spécial du Président aurait changé d'avis, pour habiter lui-même ce que d'aucuns considèrent comme un château. Il aurait non seulement tiré un trait sur sa dette mais fait disparaître toute trace de ce dossier des coffres de la banque commerciale, avec la complicité d'une employée de la SCB. Malheureusement pour lui, la SCB avait demandé et obtenu le refinancement de ce concours auprès de la Banque centrale à Yaoundé. Celle-ci ouvrant elle-même des dossiers de réescompte, il était alors facile à la SCB de retrouver et reconstituer cette opération. ..et un général Le général de brigade Benoît As-so'O Emane, commandant du quartier général militaire à Yaoundé, comme le docteur Titus Edzoa, est très proche du chef de l'Etat. Sans aller jusqu'à donner les chiffres, Robert Messi Messi avoue avoir prêté au général Asso'o de quoi financer un « Hôtel de référence» que ce dernier a construit à Elwlowa. Ee coût de la construction est estimé entre 200 et 300 millions de F CFA, financés par la Société camerounaise de banque, sans garanties. Afin que nul n’oublie Entrevue réalisée par Célestin Monga & Blaise Pascal Talla</sp


16/08/2011
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres