Cameroun - Au tribunal: Pourquoi Atangana Mebara refuse de comparaître

YAOUNDE - 20 JAN. 2012
© Mutations

L’ex-Sgpr exige des conditions plus humaines ainsi que la modification de l'origine et la qualité des éléments chargés de son escorte.

Jean Marie Atangana Mebara était le grand absent à l’occasion de l’audience du Tgi du Mfoundi du mercredi 18 janvier 2012. L’ex-Sgpr a purement et simplement éconduit l’escorte composée d’une cohorte d’éléments de la gendarmerie nationale descendue à la prison centrale de Kondengui avec pour mission de le conduire au palais de justice et de le ramener. La même attitude qu’avait eu Polycarpe Abah Abah à l’occasion d’une extraction. En refusant de se faire extraire de son lieu de détention, l’accusé Atangana Mebara entendait ainsi, explique Me Assira, son conseil, protester contre des brutalités dont il avait été victime au sortir de l’audience du 04 janvier 2012. Ce jour là en effet, relève l’avocat dans une lettre de protestation (voir page ci-contre), adressée à cet effet au procureur de la République, «Atangana Mebara a été victime d'une agression caractérisée de la part du Lieutenant de gendarmerie, chef de l'escorte qui devait le ramener à la prison centrale de Yaoundé, après la suspension de l'audience du 4 janvier 2012. En effet, à la fin de ladite audience, relève l’avocat, cet officier a exercé des violences physiques sur la personne de Atangana Mebara qui remettait un livre à un de ses proches».

Un acte jugé intolérable par la défense de l’ex-Sgpr qui se prévaudra de ce que, à aucun moment, cet officier n'a pas cru devoir indiquer la loi qui avait été enfreinte par Atangana Mebara. De plus, expliquera Me Assira au président du Tgi du Mfoundi, Gilbert Schlick, qui l’interpellait sur cette absence de son client, l’ex-Sgpr qui avait quelques soucis au niveau de sa santé, n’avait pas compris le refus du tribunal d’accéder à sa demande. L’accusé avait en effet émis le voeu de soumettre une demande de mise en liberté. Demande brutalement refoulée par la collégialité du président Schlick. Ces deux faits, conjugués à d’autres frustrations cumulées, explique l’avocat, peuvent expliquer l’absence de Atangana Mebara aux débats. «Nous ne pouvons pas, s’indigne Me Assira, accompagner ce qui est, de notre point de vue une mascarade. Vous rendez justice et prenez des décisions concernant des hommes avec leurs sentiments».

«Nous constatons que l’accusé Mebara n’est pas là aujourd’hui et s’il n’est pas là à la prochaine audience, alors que la procédure tire à sa fin, avise le juge Schlick, le tribunal constatera qu’il a choisi de ne pas se présenter. Il s’agit d’un choix d’un accusé qui a choisi de ne pas répondre et qu’il faut respecter». En choisissant de ne pas se présenter au tribunal mercredi dernier, l’ex-Sgpr semble mettre en exécution une menace déjà agitée lors de sa déclaration devant le même tribunal, c’était le 19 septembre 2011 : «Je m’exprime peut-être devant votre Tribunal pour la dernière fois. Je vous prie, en conséquence, de m'accorder quelques minutes d'attention… Qui serait surpris de m'entendre dire, de clamer aujourd'hui que je suis fatigué de ce procès en accordéon, ce procès saucissonné, ce procès à tiroir ou en poupées russes ou encore comme on dit ici ce procès en rouleau compresseur? Je ne me sens plus en état de poursuivre un procès dont les procédures sont tantôt disjointes, tantôt jointes quelques mois plus tard».

Evariste Menounga


Me Claude Assira: Je ne déposerai plus de demande de remise en liberté

A travers cette démarche, le conseil de Jean Marie Atangana Mebara, refuse de se rendre complice de «manigances».

Quelles sont les raisons qui expliquent l'absence de votre client à l'audience du mercredi 18 janvier 2012 ?

Il vous souvient qu'après la suspension de l'audience du 04 janvier dernier, le Lieutenant de gendarmerie responsable de l'escorte de M. ATANGANA Mebara a arraché des mains de celui-ci un exemplaire de son ouvrage, mis dans une enveloppe qu'il tendait à un de ses proches. Cette intervention brutale et inattendue, de la part de celui dont la responsabilité est de veiller à sa sécurité, nous a conduits, nous les Conseils de M. Mebara, à saisir solennellement le 11 janvier 2012, le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance du Mfoundi. L'objet de cette correspondance était de rendre compte de l'incident, qui s'est déroulé en présence des substituts SOH et BILONG. Par cette correspondance, nous avons également souhaité la modification de la nature et de la composition de l'escorte chargée du transfert de notre client de la prison de Kondengui au Palais de Justice et retour, compte tenu du sentiment d'insécurité créé chez notre client par cette escorte. Bien que notre correspondance soit restée lettre morte jusqu'à la date du 17 janvier dernier, notre client était prêt à prendre part à l'audience du 18 janvier. Il a dû y renoncer lorsqu'il s'est rendu compte que c'est le même lieutenant, auteur de l'incident du 04 janvier dernier, qui avait de nouveau été désigné pour commander l'escorte chargée de son transfert. La brutalité de cet officier, qui s'est emparé, sans raison juridique, d'un bien qui ne lui appartenait pas, et l'a confisqué jusqu'à ce jour, ne pouvait que susciter chez notre client la crainte d'un autre acte similaire, voire d'incidents plus graves, impliquant par exemple les membres de sa famille. Afin d'éviter tout incident de quelque nature, notre client a préféré ne pas venir au Tribunal sous la conduite de ce lieutenant.



L'on avance l'idée que votre client mettrait simplement à exécution la menace déjà brandie lors de sa déclaration: celle de ne plus prendre part à ce "procès saucissonné"…

Non, il ne s'agit pas de la mise en oeuvre de quelque menace. Notre client estime qu'il a droit à la sécurité et à un minimum de dignité. Être brutalisé par un officier de gendarmerie, être escorté par des dizaines d'éléments de gendarmerie cagoulés et portant des gilets pare-balle, comme un grand bandit, ne contribuent pas à lui donner le sentiment de sécurité et la dignité qu'il mérite pour un procès serein. Je vous fais remarquer que jusqu'au 04 janvier dernier, notre client a régulièrement été escorté par une escouade d'une demi-douzaine de gendarmes, et qu'il n'a jamais eu à se plaindre de ces escortes. Comment expliquer que la composition de cette escorte ait été si fondamentalement modifiée, au moment même où les témoins de l'accusation viennent dire au Tribunal que les accusations contre notre client sont non fondées. La responsabilité de toute escalade incombera à ceux qui ont pris l’initiative de décisions injustifiées.


S'agit-il alors d'une absence circonstancielle ou alors définitive? Quelles sont donc vos exigences pour un retour devant le Tgi du Mfoundi ?

Notre client a attendu ce procès pendant plus de trois ans. Il a clamé sa vérité. Il a été conforté par les témoins de l'accusation. Il veut donc que ce procès s'achève, dans les conditions de sérénité et de sécurité qui permettent de dire qu'on a bénéficié d'un procès juste. Pour le moment, nous attendons la suite qui sera réservée par le Procureur de la République à notre correspondance du 11 janvier dernier.


Si ces exigences ne sont pas satisfaites comme on peut l'imaginer, que feriez-vous?

Nous n'avons pas d'exigence vis-à-vis du Tribunal. Notre client demande seulement à être traité, en matière d'escorte, comme les autres prévenus dans ce dossier ou dans d'autres. Il n'est pas plus dangereux que d'autres.

Dans l'hypothèse où votre client optait pour un boycott définitif, ne craignez-vous pas de lourdes conséquences par rapport aux verdicts à intervenir dans ce dossier?

Pouvez-vous me donner la garantie que s’il se présentait aux audiences à venir, il sera acquitté ?


Mercredi dernier, vous vous êtes plaint de l'arrogance avec laquelle le président Schlick mène les débats et son attitude envers les avocats, de quoi s'agit-il exactement?

Je pense que les Avocats de la défense ont beaucoup contribué à la sérénité de ce procès, depuis son amorce. Ce n’était pas gagné d’avance. Ils ont fait de nombreuses concessions, malgré les rebuffades du Tribunal et les rodomontades du Parquet. Mais ils ne devraient pas tout accepter. Il n’est pas normal de voir le tribunal démontrer autant de signes d’impatience et de nervosité sur les demandes des avocats de la défense, alors que malgré la pression psychologique et les passions qui entourent ce dossier, ils se sont souvent montrés raisonnables et pondérés en leurs requêtes.


Êtes-vous prêt, comme vous le suggérait le tribunal à introduire une demande de libération de plus, sachant que ses chances de succès sont quasi-nulles?

C’est vous qui pensez que ma demande de remise en liberté n’a aucune chance d’aboutir. Vous avez, comme moi, constaté la vacuité des accusations formées contre M. Atangana Mebara. Si l’appréciation de ma demande se faisait sur la base d’éléments juridiques, l’issue favorable d’une telle demande ne ferait l’ombre d’aucun doute. C’est sûrement cela qui agace ceux qui sont appelés à en connaître. Dans tous les cas, je ne déposerai plus de demande de remise en liberté, pour ne pas être complice de manigances.


A l'instar de votre client, l'on a l'impression que la défense est lassée de la "mascarade"(selon votre expression) qui a cours dans ce dossier.

Je ne vous le fais pas dire.

Propos recueillis par E.M.


Lettre de Atangana Mebara au Procureur de la République


Monsieur Le Procureur de la République,

J’ai l’honneur de porter à votre connaissance les faits suivants.

Après la suspension de l'audience du 4 janvier 2012, Monsieur Atangana Mebara a été victime d'une agression caractérisée de la part du Lieutenant de gendarmerie, chef de l'escorte qui devait le ramener à la prison centrale de Yaoundé.

En effet, à la fin de ladite audience, cet officier a exercé des violences physiques sur la personne de Monsieur Atangana Mebara, qui remettait un livre à un de ses proches.

Cet acte est intolérable.

A aucun moment cet officier n'a cru devoir indiquer la loi qui avait été enfreinte par Monsieur Atangana Mebara, ni les instructions du parquet, en vertu desquelles il agissait.

Face à cette agression, les deux représentants du Ministère Public qui étaient encore dans la salle, les substituts SOH et BILLONG ont été interpellés; ils sont restés sans réaction.

Ainsi, des éléments des forces de sécurité, chargés d'assurer la sécurité de Monsieur Atangana Mebara, ont pu lui arracher des mains un bien lui appartenant, sans que cela suscite la moindre réaction de la part des représentants du Ministère public.

J'en déduis que la sécurité de Monsieur Atangana Mebara est désormais menacée par ces éléments de gendarmerie, qui peuvent le brutaliser en toute impunité, arrachant et confisquant une chose lui appartenant et qui ne présentant pourtant aucune menace ni pour la sécurité publique, ni pour l’ordre public.

Dans ces conditions il paraît particulièrement risqué désormais que Monsieur Atangana Mebara se rende au tribunal, escorté par des éléments clairement aussi mal intentionnés à son endroit.

Je vous prie en conséquence de bien vouloir m’indiquer les dispositions opportunes que votre parquet compte prendre pour que la sécurité, la dignité et la sérénité de Monsieur Atangana Mebara soient garanties.

De manière particulière j'attends que soit au moins fondamentalement modifiée l'origine et la qualité des éléments chargés de son escorte.

Du reste, rien ne semble justifier les mesures spéciales de sécurité qui sont prises lors de son transfert de la prison au tribunal et retour.

Il s'agit de mesures discriminatoires qui violent le principe constitutionnel de l'égalité des citoyens devant la loi, dans la mesure où ses co-accusés dans le même dossier sont soumis à des conditions complètement différentes et beaucoup plus humaines.

J'attends par ailleurs de votre Parquet qu’il ordonne que soit restitué à Monsieur Atangana Mebara l'enveloppe arrachée de ses mains le 4 janvier courant par le Lieutenant chargé de son escorte.

Je vous remercie par avance de votre compréhension.

Veuillez agréer, Monsieur le Procureur de la République, l’expression de ma considération respectueuse et dévoué.


Copies à:

- Monsieur le Ministre de la Justice
- Monsieur le Procureur Général près la Cour d’Appel du Centre
- Monsieur le Président du Tribunal de Grande Instance du Mfoundi
- Monsieur le Président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme

Maître Claude ASSIRA
Docteur en Droit
Avocat aux Barreaux de PARIS et du Cameroun



23/01/2012
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