Cahier d'un retour à la bougie et à la pirogue

Cameroun:Cahier d'un retour à la bougie et à la pirogue En juillet 2004, le pont de la Réunification reliant la région francophone  à l’autre Moungo anglophone s’effondrait. Il avait été construit en 1969, pour sceller la jonction, par route, entre les deux rives du Cameroun. L’importance stratégique et symbolique de l’édifice était si évidente que dans les premières heures de l’accident, les soupçons s’étaient portés vers les sécessionnistes anglophones.
 
Il n’en était rien. L’imprévoyance de l’homme était passée par là. La nature a fait le reste sur une partie du pont  sur le fleuve Mayo-Bocki qui vient de s’effondrer  à la suite d'une pluie diluvienne qui s'est abattue récemment dans la région de l'Adamaoua. «Le pont était déjà dans un état dégradé» a affirmé placide, le lamido de Rey-Bouba, Aboubakary Abdoulaye.

Dans une déclaration diffusée sur les ondes de la Crtv Adamaoua, le préfet du département du Mayo-Rey a indiqué que la traversée du fleuve se fera par pirogue en attendant que l'on puisse trouver une solution face à cet effondrement. Cela ne s’invente pas ! D’une dégradation de la qualité de la vie à une autre, le pays écrit son  cahier d’un retour à la bougie et à la pirogue. Depuis lundi dernier, à cause des inondations, il est impossible de rallier par route, Garoua à partir de Ngaoundéré.
 
Le Nord du Cameroun coupé du reste du pays, suite à l’effondrement d’un dalot  selon Apa-Yaoundé reprenant un communiqué du  gouvernement,  faisant état d’une entreprise chinoise  désignée en vue «d’établir le diagnostic de la situation et d’entamer des travaux de réhabilitation».
 
C’est ce que la presse officielle appelle « toucher du doigt la situation ». On se souvient qu’à Abong-Mbang,  en 2004, le pont sur le Nyong s’était effondré. Avant lui, celui de Mackabay à  l’entrée de Maroua avait perdu ses béquilles. Le vieux pont sur le Wouri, hideuse figuration d’un replâtrage sans lendemains joue les fragiles prolongations d’une gouvernance publique qui ne sait plus à quel saint se vouer, à part toucher du doigt ce qui est par terre. Les délestages, les inondations, les ponts qui s’effondrent, la cohésion sociale qui fout le camp, les tribus et les clans qui s’affrontent par intello dans des camps retranchés, les Lions Indomptables désormais sans crinière, l’emblème nationale invisible au milieu des forêts de drapeau, l’hymne national à peine audible au concert des nations, «l’homo camerounensis» à la fragile colonne vertébrale  va-t-il perdre son âme après avoir perdu sa raison ? Il semble désormais amputé d’une part de son humanité.
 
La solidarité nationale est mal en point. L’individu est devenu esseulé. Dans les chaumières où il se noie et dans les prisons qui brûlent, il tendra la main pour crier sa solitude, il ne trouvera plus que le vide des autres. L’un après l’autre, les ponts s’effondrent. Entraînant la société dans leur chute vertigineuse vers la ruine sociale. Cette dégradation constitue aujourd’hui l’avant projet de la décrépitude sociale. Ce sont les signes précurseurs d’un Cameroun qui a mal dans sa peau.
 
L’affaissement des ouvrages métalliques et de la morale publique qui relient une communauté à une autre dans cet ensemble incohérent appelé  Cameroun n’est que la face nuageuse d’un pays qui a perdu ses repères. Ce n’est pas seulement le béton des ponts qui s’écaille. La fragile dalle qui avait la prétention d’unir la communauté nationale elle-même s’est fortement fissurée. Le mortier de plus de cinquante années d’indépendance s’effrite chaque jour devant la mauvaise gouvernance. Force est de constater que le pouvoir central qui avait pour objectif principal d’intégrer les communautés dans la nation camerounaise, aura davantage travaillé à la déstructuration des espaces de communication et de sociabilité entre les individus, entre les communautés. D’où le craquèlement de leurs rapports sociaux. Les composantes de la nation Cameroun se trouvent plus que jamais embusquées dans des zones de «déconnexion communicationnelle.»
 
Aujourd’hui, chaque individu ou  groupe d’individus affiche des comportements égotistes faits du rejet de l’autre. Voici que la superposition d'un système de pluralisme politique creux sur un assemblage multiethnique constitue une menace permanente pour la cohésion sociale, dans l'hypothèse d'une conquête du pouvoir par les lobbies ethniques ou claniques, eux-mêmes divisés en sous-groupes d’intérêts sans fonds de commerce autre que le repli sur soi. Le mauvais usage de la diversité tribale et de la démocratie ont transformé le Cameroun en jardin d’exclusion.
 
A l’autel du pouvoir, la recomposition de l'espace politique a sacrifié les idéaux d'unité et d'intégration nationales jusque-là fictives certes, mais constamment affirmées par les gouvernements successifs du Cameroun indépendant. Le sacro-saint respect du bien public a foutu le camp au profit des égocentrismes et des vanités. L’insécurité et l’angoisse existentielles ont converti des gens jusque-là présumés équilibrés en des prédateurs d’une rare sauvagerie. Transformant la veulerie des loups en vertu. Sans passerelle désormais pour communiquer avec l’autre, la peur a fait son lit dans la rue, les bureaux, la famille, le village. Elle hypothèque l’avenir qui s’écrit en lignes de fracture sociale.
 
La charpente est-elle pour autant vidée de sa substantifique moelle ? Il faut croire que pour bon nombre de Camerounais qui s’interdisent la sinistrose, la conviction des lendemains meilleurs demeure, malgré les faits. Le défaitisme facile n’est pas non plus camerounais. Chaque pays ayant sa légende personnelle, il suffira que chacun recherche  en lui-même  le bon angle de réaction. Le véritable changement viendra de l’intérieur de nos consciences, car tout étant dans tout, personne n’est épargné par les inondations, les délestages, les pénuries, mais aussi l’effondrement des ponts sociaux.
 
Bon mercredi et à mercredi.

© Lemessager : Edking


05/09/2012
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