Bras de fer Gbagbo-Onu

  FOCUS SUR L'ACTUALITÉ
Bras de fer Gbagbo-Onu
(La Libre 20/12/2010)


Le premier exige que les casques bleus quittent le pays, l’Onu reconnaissant son rival comme président. Mais il n’a plus l’autorité pour poser cette exigence.
La Côte-d’Ivoire semblait dimanche se diriger vers le gouffre de la guerre civile. Trois semaines après le deuxième tour de l’élection présidentielle remporté par Alassane Ouattara, rival du président sortant Laurent Gbagbo, ce dernier s’accroche toujours au pouvoir bien que le monde entier - dont l’Union africaine (UA) et la Cedeao, organisation régionale ouest-africaine dont la Côte-d’Ivoire est membre - lui demande de céder la place à son vainqueur.

"Bloqué mentalement par cette défaite qu’il n’a jamais envisagée", selon une source bien informée interrogée par "La Libre Belgique" à Abidjan, Laurent Gbagbo s’incruste dans la fiction qu’il aurait gagné le scrutin comme l’a proclamé le Conseil constitutionnel, à la tête duquel il avait placé un de ses proches et qui a dû annuler le vote dans plusieurs circonscriptions du nord - fiefs de Ouattara - pour arriver à ce "résultat". Le prétexte invoqué pour annuler tant de votes - des violences auraient empêché les électeurs de Gbagbo d’y voter - n’a convaincu personne parce qu’il ne correspond pas à ce qu’ont vu dans ces régions les observateurs internationaux et parce que lorsque le même raz-de-marée pro-Ouattara y avait été observé à l’issue du premier tour, le camp Gbagbo n’y avait vu aucune fraude. Il est vrai qu’il comptait alors sur le report des voix du 3e candidat, Henri Konan Bédié - qui a, au contraire, appelé à voter Ouattara au second tour et a été suivi par ses électeurs.

La défaite électorale de Gbagbo s’explique par cette alliance et aussi par la quasi-absence de réalisations en faveur du développement durant les 10 ans où il s’est maintenu au pouvoir (en reportant six fois la présidentielle qu’il n’a pu gagner), auquel il avait accédé à l’issue d’élections irrégulières. Même dans sa région d’origine, Gagnoa, sa popularité est loin de ce qu’elle pourrait être tant a peu fait pour améliorer la vie des siens celui qui se dit "socialiste non pratiquant" et qui, selon une source bien informée à Abidjan, "a fait son ordinaire de vins français à 3 000 euros la bouteille ".

La popularité du président sortant repose essentiellement sur sa faconde joviale et sur son discours d’exclusion - degré zéro de la politique. Pour lui et les siens, les "vrais" Ivoiriens sont ceux du Sud, les nordistes ne l’étant que s’ils l’appuient. Populiste, il a obtenu de grands succès par des discours anti-français dans lesquels il se présente comme "un patriote" face "aux étrangers".

Puisque c’est le discours qui galvanise les jeunes chômeurs du sud du pays, il l’avait repris depuis la campagne pour le second tour. Samedi, il a exigé le départ des 10 000 casques bleus et 900 soldats français de la force Licorne (sous mandat de l’Onu mais sous commandement français). Faisant l’impasse sur la position identique des Africains, les proches de Gbagbo ont accusé ce week-end les Occidentaux de vouloir "recoloniser" la Côte-d’Ivoire.

A New York, l’Onu a opposé une fin de non-recevoir à l’exigence de Gbagbo et le secrétaire général, Ban Ki-Moon, a averti les pro-Gbagbo qu’ils devraient assumer "les conséquences" de toute violation des droits de l’homme et mis en garde contre toute attaque contre les casques bleus. Dans la nuit de vendredi à samedi, des militaires masqués ont tiré sur une patrouille de l’Onu et sur le siège de celle-ci à Abidjan - sans faire de blessés.

Samedi, Charles Blé Goudé, un des principaux chefs de milice de Gbagbo - milices qui furent le fer de lance des manifestations anti-françaises de 2003-04 (Blé fait l’objet, depuis, de sanctions ciblées de l’Onu) - a accusé le président Sarkozy et l’Onu de préparer "un génocide" en Côte-d’Ivoire.

On sait que ces accusations "préventives" font partie du discours pré-génocidaire. La méfiance est donc de mise - surtout après que des militaires ont, vendredi dernier, attaqué à la grenade la mosquée de Grand-Bassam (sud, à 40 km d’Abidjan), faisant un mort et des blessés, ainsi que celle d’Abobo, un quartier nordiste d’Abidjan, faisant des blessés, et empêché l’ouverture de celle de Williamsville (au nord d’Abidjan). Dans le sud, chrétien, de la Côte-d’Ivoire, les musulmans sont généralement des Ivoiriens originaires du nord ou des immigrés de pays voisins du nord - tous ciblés par les campagnes xénophobes de Gbagbo.

La tentative déjà ancienne de faire passer la campagne anti-nordistes de celui-ci - destinée à écarter le rival nordiste Ouattara - pour une guerre de religion a échoué jusqu’ici. Imams et responsables catholiques sont "en contact" pour éviter que la situation dégénère et le Conseil supérieur des imams du pays a appelé les musulmans à garder leur calme.

Marie-France Cros

L'ONU dénonce des exactions "massives"

L'ONU a dénoncé dimanche des "violations massives des droits de l'Homme" qui ont fait plus de 50 morts ces derniers jours en Côte d'Ivoire et a rejeté l'exigence de Laurent Gbagbo d'un retrait des Casques bleus.
A Genève, la Haut commissaire aux droits de l'homme des Nations unies, Navi Pillay, a affirmé que les violences ont fait "ces trois derniers jours plus de 50 morts et plus de 200 blessés".

Jusqu'à présent, les bilans sur place faisaient état de 11 à une trentaine de morts depuis jeudi dans des violences entre partisans de Laurent Gbagbo et d'Alassane Ouattara , qui se disputent la présidence depuis le scrutin du 28 novembre. Le gouvernement Ouattara a parlé dimanche de "45 morts" depuis jeudi. La responsable onusienne s'est inquiétée de "violations massives des droits de l'Homme", évoquant notamment des enlèvements dont ont fait état des "centaines de victimes et membres de leurs familles".

Selon elle, ces enlèvements seraient commis "particulièrement la nuit, par des individus armés non identifiés en tenue militaire, accompagnés déléments des Forces de défense et de sécurité (FDS) ou de milices". Les FDS sont le pilier sécuritaire du régime Gbagbo. La Côte d'Ivoire est sous couvre-feu nocturne depuis la veille de la présidentielle du 28 novembre. L'ex-puissance coloniale française a également mis la pression sur le président sortant: "il faut qu'il retienne ses troupes", a déclaré la ministre des Affaires étrangères Michèle Alliot-Marie.

Les Nations unies reconnaissent Ouattara comme président élu, à l'image de la quasi-totalité de la communauté internationale. Le Canada a à son tour dimanche appelé Gbagbo à partir. L'ONU a opposé une fin de non-recevoir à la demande du président sortant d'un retrait de sa mission dans le pays, l'Onuci. Le secrétaire général Ban Ki-moon l'a averti des "conséquences" s'il s'en prenait à elle.

L' Onuci a toutefois poursuivi dimanche ses patrouilles dans Abidjan. Mais "nous redoublons de vigilance et nous sommes préparés à tout", a dit à l'AFP Hamadoun Touré, porte-parole de l'Onuci. La mission ne veut "pas de confrontation" avec des forces armées loyales à Gbagbo, a-t-il ajouté. Peu avant que Gbagbo n'exige le retrait des Casques bleus (10.000 hommes) et des 900 soldats français de la force Licorne, le siège de l'Onuci à Abidjan avait essuyé des tirs d'hommes armés "vêtus de tenues militaires" dans la nuit de vendredi à samedi, selon la mission.

Le président sortant et les FDS ont accusé l'Onuci d'appuyer militairement l'ex-rébellion des Forces nouvelles (FN) alliée à Ouattara. Mais Ouattara a écrit à Ban Ki-moon pour lui dire qu'il demande le maintien des Casques bleus et que "les décisions de Laurent Gbagbo sont nulles et de nul effet", selon Patrick Achi, porte-parole de son gouvernement.

Le Conseil de sécurité doit se réunir lundi pour évoquer la situation dans le pays et le renouvellement du mandat de l'Onuci, qui expire le 31 décembre. En raison du risque de "violences", le Royaume-Uni a recommandé dimanche à ses ressortissants de quitter la Côte d'Ivoire. Les Etats-Unis ont ordonné aux employés non-essentiels de leur ambassade et à leurs familles de quitter le pays.Le durcissement du régime Gbagbo s'est également traduit par la suspension de la publication de plusieurs journaux favorables à Alassane Ouattara.

Dans le nord du pays, tenu depuis 2002 par l'ex-rébellion dirigée par Guillaume Soro, Premier ministre de Ouattara, la tension était également perceptible avec la crainte d'une reprise des combats entre FN et FDS. A Djébonoua (centre), dernier poste tenu par les FN avant la zone tampon qui sépare le nord du sud tenu par le camp Gbagbo, un élément ex-rebelle a déclaré à l'AFP: "nos hommes sont aux aguets". La montée de la tension entre les deux camps se traduit aussi à l'étranger. En France, où vit une forte communauté ivoirienne, des heurts à Paris entre partisans de Gbagbo et Ouattara ont fait deux blessés, dont un à l'arme blanche.

AFP

Mis en ligne le 20/12/2010

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20/12/2010
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