Biya réélu, et après? L’après-Biya déjà en marche

 

En septembre 2011, peu avant l’élection présidentielle, la révélation par WikiLeaks d’un entretien entre un diplomate américain et le ministre camerounais de la Justice, Amadou Ali, proche du président Biya, a levé le voile sur les scénarios possibles pour assurer une transition pacifique en cas de retrait de Paul Biya de la scène politique.

 
Présentée comme le vote de tous les dangers, l’élection présidentielle camerounaise s’est déroulée le 9 octobre 2011 dans le calme malgré quelques incidents isolés. Sans surprise, elle a vu la réélection au premier tour de Paul Biya avec 77,9% des suffrages face à ses 23 adversaires.
 
Une élection jouée d'avance
 
Sans surprise également, la crédibilité du scrutin a été remise en question par l’opposition, ce à quoi la Commission nationale électorale (Elecam) a répondu qu’aucun «dysfonctionnement majeur» n’a entaché son déroulement. Le seul développement inattendu aura été que la réélection de Biya a été critiquée par les deux puissances du Nord qui donnent le ton en ce moment en Afrique.
 
Rompant avec la tradition de légitimation quasi-automatique des précédents scrutins, les Etats Unis, mais surtout la France, principal soutien occidental du régime de Biya, ont souligné des «irrégularités à tous les niveaux» ainsi que de «nombreuses défaillances».
 
L’absence de suspense du scrutin ne signifie pas que celui-ci était dénué d’enjeux. Cette élection devait servir à vérifier si le «modèle camerounais» présenté comme un pays stable doté de l’un des systèmes politiques les plus efficaces du continent, a atteint un niveau de maturité à même de lui permettre d’amorcer sereinement le nécessaire virage vers l’après-Biya.
 
Bien que sa réélection ait confirmé le contrôle étroit du système politique qu’il a mis en place durant les 29 dernières années passées à la tête du pays, Biya doit dorénavant composer avec deux facteurs majeurs: le temps et le contexte international. A 78 ans, il sait qu’il n’est pas éternel et qu’il lui faudra envisager la fin, quelle que soit par ailleurs la solidité de son emprise sur son système.
 
Assurer ses arrières
 
Le politicien expérimenté qu’il est n’ignore pas les limites de la rhétorique du «moi ou le chaos» mises en évidence par les chutes spectaculaires de Ben Ali, Moubarak, Gbagbo et Kadhafi. L’enjeu majeur du nouveau mandat du président sera celui de confirmer son habileté en préparant un schéma clair de succession.
 
Biya saura-t-il éviter une crise de succession comme d’autres pays africains ont pu en vivre après la disparition de présidents régnant pendant des décennies? La classe politique camerounaise, si prolixe lorsqu’il s’agit de défendre les vertus de son système, saura-t-elle discerner les potentiels risques d’implosion qui le guettent? A ce titre, le scrutin apporte un début d’explication à tous ceux qui s’interrogent sur l’absence d’écho du «Printemps arabe» en Afrique subsaharienne.Un système stable, mais marqué par la rhétorique de la peur.
 
Une campagne tendue
 
Les mois précédents l’élection ont été marqués par une montée de tensions inhabituelle. Sans que l’on sache exactement pourquoi, cette élection était appréhendée comme celle de tous les dangers. Aux scénarios du pire esquissés par un certain nombre d’activistes de l’opposition ont répondu des mises en garde du gouvernement aux «fauteurs de troubles et leurs relais extérieurs». Au sein des cercles dirigeants, une tension feinte ou réelle semblait régner, liée au faux suspense sur une nouvelle candidature de Biya qui laissait planer le doute.
 
Le déroulement de la campagne électorale et du scrutin ont démenti le chaos annoncé et mis en lumière les techniques de contrôle du pouvoir qui, associées à une offre politique médiocre du côté de l’opposition, expliquent l’absence de soulèvement populaire à la tunisienne ou à l’égyptienne dans ce régime de 29 ans.
 
Néanmoins, jusqu’à la proclamation des résultats une certaine tension a continué de régner, tension révélatrice des paradoxes d’un pays où la stabilité va de pair avec l’existence de nombreux clivages visibles ou latents: ethniques entre «nordistes», Bétis et Bamilékés; linguistiques entre anglophones et francophones et régionales entre le Centre-Sud et l’Ouest. Cette première expérience contestable d’Elecam et la maîtrise totale du processus électoral par le pouvoir ont renforcé les crispations entre partisans et adversaires du président sortant.
 
Une élection tenue par le pouvoir
 
Dès la nomination de ses membres en 2008 par Biya, Elecam a suscité des doutes sur sa capacité à conduire le processus électoral de façon politiquement impartiale et techniquement irréprochable.
 
Son président, Samuel Fonkam Azu’u, a été secrétaire général adjoint de l’assemblée nationale sous la bannière du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC). Même s’il a affirmé par la suite avoir démissionné du parti, il n’a jamais su convaincre de sa neutralité. A la veille du scrutin, Pauline Biyong, une des membres du bureau central d’Elecam a été révoquée après avoir été soupçonnée de mener campagne pour le candidat Biya.
 
Sa société d’affichage avait gagné le marché des affiches du président sortant. Cette situation a révélé le problème de la crédibilité de l’institution. Par ailleurs, Elecam a été dépossédée de ses principales prérogatives, une réforme adoptée en mai 2011 ayant réduit ses pouvoirs en matière de proclamation des résultats et de contentieux électoral au profit du ministère de l’Administration du territoire et de la Cour suprême – deux institutions peu suspectes de prendre position contre le parti au pouvoir.Cette réforme a prouvé la volonté du pouvoir de s’assurer un contrôle sans faille du processus électoral.
 
Une opposition en berne
 
Les dysfonctionnements constatés au cours du scrutin ont entamé définitivement la crédibilité de l’ensemble du processus électoral. Cette situation a conduit l’opposition à introduire des recours en annulation totale qui n’avaient aucune chance d’aboutir tant la Cour suprême chargé de se prononcer était verrouillée par le pouvoir et l’organisation d’un nouveau scrutin supposait la remise en cause de tout le mécanisme.
 
Biya a finalement gagné sans avoir réellement eu besoin de livrer bataille, la marge de manœuvre de ses opposants étant réduite par leur impossibilité à influer sur un processus contrôlé en amont et en aval. Déjà affaiblis par cette emprise, ces mêmes opposants ont compliqué davantage leur impossible mission en s’avérant incapables de proposer une stratégie commune.
 
L’essentiel du débat politique (ou plutôt son absence) a été marqué par un face-à-face distant entre un pouvoir assuré de maîtriser totalement la mécanique électorale et des activistes de la diaspora appelant à des soulèvements. L’opposition traditionnelle représentée par John Fru Ndi a joué un rôle de simple accompagnement avec parfois des prises de position à contretemps de la stratégie cohérente attendue d’elle.
 
Cantonné dans son fief anglophone et son statut protocolaire «d’opposant historique», Fru Ndi en a découragé plus d’un au sein de son parti en s’avérant incapable de développer un discours rassembleur dressant le bilan négatif du régime.
 
Quant aux autres candidats, leurs scores insignifiants s’expliquent par le fait que, n’étant pas soutenus par des partis à l’assise populaire forte, leur discours a uniquement consisté à vanter des qualités personnelles qu’aucune véritable expérience politique n’a permis de vérifier. Bref, du côté de l’opposition, l’offre politique était – et c’est un euphémisme – peu attractive.
 
Le parti au pouvoir a su exploiter les craintes de la population inquiète de l’explosion promise et de la possibilité que des crises violentes comme celles qui se déroulent dans certains pays africains n’affectent le Cameroun. Le RDPC a développé un discours contradictoire consistant à vanter la stabilité à toute épreuve du Cameroun incarné par le «rassembleur national» tout en attisant la peur vis-à-vis d’acteurs déstabilisateurs «jaloux du modèle camerounais».
 
Ce faisant, le RDPC a démontré son incapacité à dépasser le personnalisme politique comme si les enjeux futurs du pays tout entier se résumaient à la personne de Biya. Paradoxalement, il a aussi, sans le vouloir, mis en relief le caractère relatif de la stabilité du Cameroun qui ne semble se poursuivre qu’en raison de l’emprise de Biya sur l’appareil d’Etat.
 
Cette stratégie met en lumière les faiblesses d’un «modèle» où les débats de fonds comme la gouvernance, la question linguistique, les divisions ethniques, l’avenir du système politique et l’accaparement de tous les leviers de décisions par une élite vieillissante, sont occultés. Elle accroît le sentiment que les mises en garde faites aux hypothétiques fauteurs de troubles extérieurs ne servent qu’à masquer le fait que le véritable danger du Cameroun pourrait surgir du Cameroun lui- même.
 
L’après-Biya: éternelle question taboue?
 
En septembre 2011, peu avant l’élection présidentielle, la révélation par WikiLeaks d’un entretien entre un diplomate américain et le ministre camerounais de la Justice, Amadou Ali, proche du président Biya, a levé le voile sur les scénarios possibles pour assurer une transition pacifique en cas de retrait de Paul Biya de la scène politique.
 
Selon le récit de cet entretien, Amadou Ali aurait admis qu’une entente entre les élites du Nord du pays (dont lui-même fait partie) et celles du Centre-Sud (fief ethnique du président sortant) pourrait être envisagée pour éviter une implosion du régime actuel et, par la même occasion, empêcher les Bamilékés (groupe ethnique de l’ouest numériquement majoritaire dans le pays) de revendiquer le pouvoir suprême. Loin d’être neutralisés par le règne de Paul Biya, les démons de la politique ethnique sont donc toujours au cœur du régime actuel.
 
Si jusqu’à présent, Biya a réussi à imposer le black-out sur sa succession, il ne peut empêcher qu’elle soit dans tous les esprits, qu’elle conditionne les stratégies politiques (notamment à l’intérieur du RDPC) et domine son mandat à venir.
 
Avec un nouveau septennat qui portera à trente- six ans la durée de son règne, le président aurait de plus en plus de mal à résister aux pressions réclamant de sa part, sinon son retrait, du moins, au minimum, de mettre en place un dispositif constitutionnel clair de succession. A ce titre, les réserves françaises et américaines sur le déroulement de l’élection du 9 octobre sont un début d’avertissement.
 
Le dispositif constitutionnel actuel prévoit qu’en cas de vacance du pouvoir, l’intérim devrait être assuré par le président d’un sénat qui n’a jamais été mis en place. Biya a entretenu le flou quant à l’avenir du système camerounais en cas de retrait volontaire ou forcé. Une telle situation laisse le champ libre à tous les scénarios.
 
Le président camerounais prend surtout le risque d’un pourrissement alors qu’il a actuellement toutes les cartes pour éviter au Cameroun l’évolution qu’ont connue certains pays d’Afrique où 20 ou 30 ans de règne présidentiel sans partage ont abouti à une crise de succession parfois sanglante.
 
Comme Biya l’a lui-même promis, son septennat sera celui des «grandes réalisations». Pour assurer la continuation du développement pacifique au Cameroun, il devrait nécessairement réformer un système à bout de souffle qui n’a, de plus en plus, que la rhétorique de la stabilité comme argument face à son incapacité à relancer le développement et à rassurer les investisseurs.
 
Il devrait aussi et surtout tenir rapidement les engagements de son discours-programme d’investiture du 3 novembre 2011 en mettant en place les institutions prévues par la constitution de 1996 mais qui n’ont toujours pas été créées (le Sénat, le Conseil constitutionnel et les Régions) et en révisant complètement le dispositif électoral actuel en vue des scrutins législatifs et municipaux de 2012 (Voir le rapport Afrique de Crisis Group N°161, Cameroun, les dangers d’un régime en pleine fracture, 24 juin 2010).
 
Les prochaines années s’annoncent décisives quant à la pertinence de «l’exception camerounaise». Biya a certes été réélu «dans un fauteuil» mais son mandat risque d’être décisif pour l’avenir du Cameroun.
 
Saad Adoum d'international Crisis group
 © SlateAfrique
 


22/11/2011
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