Bienvenue en Europe! «Si tu rencontres un camerounais là-bas, trace seulement.» Prudence ou méfiance chez les compatriotes de la diaspora?

Bienvenue en Europe! «Si tu rencontres un camerounais là-bas, trace seulement.» Prudence ou méfiance chez les compatriotes de la diaspora?

Florence Tsague:Camer.be«Si tu rencontres un camerounais là-bas, trace seulement» Ceci semble être désormais un bagage standard, un bagage encombrant non déclaré. Y a-t-il amalgame entre prudence et méfiance? C’est bien la question que nous devons nous poser aujourd’hui en tant que Camerounais procurant des conseils aux voyageurs pour l’Allemagne. «Si à l´entrée d´un métro vous observez deux Africains qui se regardent de loin et détournent leurs regards lorsqu’ils s´approchent, vous saurez que ce sont des Camerounais.» C’est une remarque faite souvent par les compatriotes pour verser du vitriol sur un manque mutuel de politesse. Or la chose la plus normale serait de voir la «minorité visible» d’Africains en Allemagne vivre dans un esprit d´entraide et de solidarité. La courtoisie devrait rester un code d’appartenance et d’identité. La politesse a une importance et une connotation socioculturelles qui dépassent l’apparence et la taille des regroupements humains. A Yaoundé, à Douala, à Francfort ou à Berlin, un « bonjour, pourrais-je vous être utile?» a la même signification. Et pourtant…

Aujourd’hui en Allemagne, lorsque vous rencontrez un jeune camerounais planté devant une gare avec les bagages, l’air un peu désorienté, votre première pensée c’est de lui venir en aide. C’est l’hospitalité et la solidarité qui l’exigent. Vous vous approchez de lui pour savoir s´il a besoin d´une information ou d´une orientation dans la ville. Il articule à peine un mot pour répondre à votre bonjour et affiche un air indifférent que vous pouvez interpréter comme arrogant face à votre offre. Vous faites demi-tour en vous maudissant d´avoir laissé libre cours à votre nature. Chose curieuse: il arrive souvent que la même personne qui n´a pas répondu à votre salutation se plaigne de votre “indifférence” chez quelqu´un d´autre, voire de votre “impolitesse”. Abasourdis, vous pensez moins à un univers kafkaïen qu´à un quiproquo ou à la fatigue du voyage. Mais que non! La fatigue du voyage effacerait-elle désormais les codes de courtoisie? L’attention et le petit sourire comme réponse à un autre sourire même inconnu et désintéressé ont-ils changé de sens au-dessus du Sahara? Comment comprendre dans ce contexte la timidité et la réserve?

Rarement on n’écoute pas un «bonjour !». « C’est comment?» et la réponse est quasi-mécanique. Bref, un réflexe. Les temps ont-ils changé? Quel rôle joue le fossé entre les générations dans la perception et le partage des codes de politesse? Peut-on en déduire au-delà du caractère individuel un problème de générations? Des aîné(e)s dans différentes villes en Allemagne se plaignent de l’impolitesse caractérisée chez les jeunes. Les jeunes se plaignent d´un manque de disponibilité chez les anciens à les aider. Comment comprendre ceux d’entre eux (jeunes) qui sont gentils et polis à leur arrivée mais affichent une arrogance indescriptible quelques mois après? Y aurait-il à ce niveau un «excès de familiarité» menant au mépris ou est-ce que cela est justifié par le fait que l’on fait les mêmes jobs et jouent ensemble le «2-0» par exemple? Où est passé le respect de la personne humaine loin du respect du matériel et du statut social?

Donnons la parole aux jeunes pour mieux les comprendre: «On a pris l´avion de Mbeng en détail!»; «Est-ce que quelqu´un nourrit quelqu´un ici?»; «Nous tous, nous vivons Mbeng là ensemble, non?», «Est-ce qu´il y a de grand-frère à Mbeng?»… Le visa pour Mbeng annulerait-il le savoir vivre? Qu’en est-il du droit d´aînesse? Le visa semble faire de beaucoup d´heureux élus des érudits qui de part leur survol du Sahara savent et peuvent tout faire seuls, surtout dans le mépris de toute tradition et de tout ce qui est Camerounais ou Africain… Une approche suicidaire qui ne cache pas l’étendue de l’ignorance. L’ignorance d´une éventuelle vie solitaire et peu satisfaisante hors de la communauté, loin de la communauté, à l´image de cette sagesse africaine pour qui «un homme seul est un homme malade.»

La méfiance notoire puise très souvent ses racines dans les préparatifs du voyage pour l’Europe. «Partir c´est réussir»: le départ d´un enfant pour l´Europe étant à priori perçu comme un succès, il enfanterait l´envie et la jalousie des infortunés. Cette stigmatisation permanente de la jalousie hante certains compatriotes jusqu´à leur sommeil dans le pays d´accueil. A la question de savoir pourquoi ils restent indifférents aux salutations des autres, quelques élèves se préparant pour les études en Allemagne nous ont répondu à Yaoundé qu´ils recevraient des conseils stricts des proches du genre: «Si tu arrives là-bas et rencontres un Camerounais sur ton chemin, il faut seulement tracer. Ce sont les bons noyeurs.» Et à la question de savoir comment est-ce qu´ils comptaient vivre dans une ville sans contact avec les compatriotes et trouver un équilibre, ils ont répondu: «On nous a dit que le blanc aide mieux que l´africain.» Que cette réponse soit saugrenue, fondée ou pas, tel n´est pas le point!

«Un nouveau finit par devenir ancien », l’adage est bien connu! Le nouveau devenu ancien, formule les mêmes plaintes face aux nouveaux. Au fil des ans, il mûrit, cumule les expériences, vit les prouesses et les déboires et finit par comprendre qu´une bonne symbiose avec ses compatriotes est la condition préalable pour un équilibre identitaire et une intégration sûre dans sa société d´accueil. C´est ainsi qu´il arrive à tirer les conclusions que partout au monde, que ce soit en Asie, en Afrique ou en Europe… l´être humain est appelé à affronter les difficultés, à transcender les barrières pour atteindre ses objectifs, à conjuguer les synergies avec les autres pour la réussite et à développer une diplomatie lui permettant de gérer ses rapports individuels et de pallier les situations conflictuelles. Pour tout dire, partout, on trouvera des hommes et femmes de bonne ou de mauvaise foi, bien ou mal intentionnés, polis ou impolis, reconnaissants ou ingrats, généreux ou égoïstes, qu´ils soient européens, africains, américains ou asiatiques. C´est ainsi que “l´enfant prodigue” reviendra, “le front baissé”, aux bras ouverts de la communauté qui bien entendu ne manquera pas de lui prôner quelques bonnes leçons de politesse!
Avec une bonne symbiose entre la communauté et nous, soyons les bienvenus!

© Camer.be : Florence Tsagué A.


20/04/2012
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