Banques: La CBC menacée par une main basse

Douala, 10 Dec. 2010
© Souley ONOHIOLO | Le Messager

Hold–up ou guerre des tranchées


1- La tragédie du lézard pris dans l'étau de la poule

La mythologie des peuples manguissa (entité ethnique qu'on retrouve dans le département de la Lékié dont est originaire le ministre des Finances Essimi Menye), nous renseigne que le lézard s'est retrouvé un jour, coincé dans le périmètre où la poule régnait sans partage. Usant de la raison du plus fort, la poule s'est mise à le faire souffrir en le picorant de façon intermittente jusqu'à ce que mort s'en suive. Affaibli et indigné par une douleur atroce, le reptile s'en est senti irrité au point de demander à la poule de l'avaler une fois pour lui épargner la douleur. Le ministre des Finances qui use de l'appareil de l'Etat, a-t-il utilisé cette métaphore pour anéantir Yves Michel Fotso?

A l'analyse des multiples sorties du ministre camerounais des Finances dans les médias, il y a un faisceau d'indices qui peut amener à croire que l'arrestation de Yves Michel Fotso était planifiée et même programmée longtemps à l'avance: On a rarement vu un ministre aussi dur et violent à l'encontre d'un homme d'affaires. Lundi 29 novembre 2010, quelques jours après la lettre ouverte de Yves Michel Fotso, Essimi Menye a fait tomber le masque au cours d'une émission spéciale aux antennes de la Crtv-télé. «La seule chose que nous voulons, c'est que ceux qui ont fait les erreurs de gestion, se mettent de coté et qu'on laisse les professionnels de la banque gérer cette banque. On ne peut pas laisser qu'un simple individu comme celui qui est le promoteur de la Cbc, puisse se jouer des millions de Camerounais et par la suite comme il parle bien et facile, il va raconter qu'on lui en veut. Il n'y a personne qui en veut à Mr le banquier Fotso».

Soufflant le chaud et le froid, le ministre des Finances se noie dans un fleuve de contradictions, lorsqu'il évoque la possibilité du règlement pacifique de la crise. «Nous attendons qu'ils viennent nous faire les propositions concrètes pour rembourser les fonds qui ont été dilapidés et ce sont des fonds assez importants. Ce serait bien que nous traitions ce dossier en hommes responsables. Les débiteurs sont connus, on veut les retrouver et on va leur demander de restituer l'argent qui appartient aux autres Camerounais qui sont plus faibles qu'eux. Ecoutez Mr Ibrahim Sheriff, vous prenez l'argent et les gens l’utilisent en faisant semblant d'acheter les biens à l'extérieur, on ne voit pas ces biens revenir. Ils ont pris cet argent, on n'a pas vu ce qu'ils ont fait...». En grattant le vernis de cette réponse, le ministre des Finances reconnaît implicitement qu'il ne s'agit pas des détournements, mais des dettes. Et dans le cas d'espèce, la banque tant qu'elle existe encore, doit (à travers ses services juridiques) proposer le plan de collecte de cette créance. Quand bien même elle serait dissoute, des structures existent pour (la société de recouvrement des créances par exemple) pour poursuivre les débiteurs. Ce n'est pas du devoir de l'Etat de se substituer aux instances à charge d'opérer ces missions.


2- Et si la messe était dite depuis longtemps?

«(...) La Cbc n'est plus la banque Fotso, parce que Fotso n'a plus rien dedans. Zéro. Il ne faut pas que les gens se trompent...». Ces propos sentencieux du ministre des Finances Essimi Menye remontent au 6 décembre 2009. Il y a presque un an, jour pour jour. Et c'était un mois après la notification de la décision de mise sous administration provisoire de la Cbc par la Cobac, l'organe de régulation du secteur bancaire. Alors que la clientèle était gagnée par la psychose liée à l'incertitude de la gestion et des issues des administrations provisoires au Cameroun, alors que les caisses de la banque s'amenuisaient comme peau de chagrin du fait des retraits massifs des fonds opérés, retraits évalués à plus de 20 milliards de Fcfa en l'espace de trois semaines d'après des sources bien introduites dans la banque, Essimi Menye est resté aérien, essentiellement théorique.

Même si répondant à Ibrahim Shériff, il affirme avoir écrit «à tous les établissements qui avaient des comptes à la Cbc, pour ne pas retirer leur argent parce que le gouvernement instruit par le Chef de l'Etat a le devoir de maintenir cette banque en vie». Chacun peut évaluer les efforts faits par le gouvernement jusqu'ici pour maintenir la Cbc en vie.

Faisant semblant de s'apitoyer sur l'avenir de la Cbc, on découvre un ministre des Finances déterminé à éjecter les responsables de la Cbc. Il en arrive à fixer des ultimatums. Sa réponse à la CrtvTélé en dit long. «Je leur donne jusqu'à vendredi de cette semaine pour qu'ils viennent et qu'on traite ce dossier à l'amiable. Dans le cas contraire, je serai prêt à m'adresser aux structures répressives pour que cet argent soit rétrocédé. On va restructurer, on recherche quelqu'un de compétent qui peut gérer la banque en question. C'est ce que nous faisons» affirme le ministre.

A elle seule, cette déclaration est révélatrice du climat qui a prévalu ces derniers temps entre les promoteurs de la banque et l'autorité monétaire dont le jeu trouble a été démasqué bien avant même les décisions de mise sous Ap des différentes banques du Groupe Fotso. La sentence ayant été ainsi prononcée, n'importe quel naïf a compris que les carottes étaient cuites depuis longtemps. Yves Michel Fotso a continué à se battre contre les moulins à vent.

Après avoir traîné les pieds pour soutenir une institution en difficulté, le Minfi, effectue une sortie dont on comprend mieux aujourd'hui la portée et qui explique l'ensemble de sa démarche dans la conduite du processus de restructuration de la Cbc: bouter hors de cette banque et de l'actionnariat, Yves Michel Fotso et son groupe et céder l'institution à un repreneur. Scénario classique déjà rodé dans le cadre de la cession de Amity Bank à Banque atlantique, dans les conditions peu orthodoxes. Qui ont du reste valu à la Cobac, les foudres de la Cour commune de Justice de la Cémac qui a condamné l'organe de régulation en déclarant «nul et non advenue le protocole conclu entre la Cobac et le Groupe Atlantique Banque le 10 janvier 2008» et toutes les décisions subséquentes... A l'analyse de ces prises de position, comment ne pas soupçonner le ministre d'être devenu à l'évidence le bras armé d'une machination qui s'est précisée au fil des jours à travers divers actes et diverses sorties médiatiques qui laissaient augurer de sales temps pour le promoteur de la Cbc. Nos sources révèlent que les dernières passes d'armes entre le ministre et Yves Michel Fotso remontent au 22 novembre et surtout le 29 novembre 2010. Soit 48 heures avant la mise en détention du promoteur de la Cbc.


3- Manipulation et désinformation de l'opinion

Joint après les sorties du ministre, l'entourage du promoteur de la Cbc parle d'une campagne de désinformation ourdie par le Minfi. Car dit-il, «Monsieur Fotso n'a par exemple jamais présenté de plan de restructuration à la Cobac qui ait été rejeté Ceux présentés l'année dernière et qui avaient du reste été jugés perfectibles par la Cobac l'avaient été par les directions générales en place. Depuis la mise sous administration provisoire chu banques, c'est aux Ap qu'il revenait de proposer des plans de restructuration validés, par l'assemblée générale des actionnaires... Pour le cas spécifique de la Cbc, M. Martin Luther Njanga Njoh, l'Ap, n'a pas pu en un an, proposer un plan qui emporte l'adhésion des actionnaires. Il y a donc une sorte de blocage qui a amené M. Fotso à se rapprocher directement de la Cobac pour faire ses propositions. Le 25 octobre dernier, la Cobac, réunie en session ordinaire à Douala, a auditionné M. Fotso et s'est engagé, par la voix de son président à examiner un plan de restructuration alternatif à celui de l'Ap et qui serait proposé par l'actionnaire majoritaire, M. Fotso. C'est totalement faux pour le Minfi de faire croire à l'opinion que M. Fotso a `prétendu pouvoir présenté un plan, mais que ce plan a été rejeté», explique une source proche de Yves Michel Fotso.

Poursuivant dans ses propos, la même source évoque les démarches qui ont suivi le passage du promoteur de la banque devant la Cobac. Une série de réunions auraient ainsi été organisées dans les services du Premier ministre les 28 et 29 octobre 2010 dans le cabinet du Minfi, avant les séances de travail tenues par les collaborateurs du Minfi, de la Cobac et de Yves Michel Fotso, pour obtenir «l'étendue de l'engagement de l'Etat dans le plan de restructuration» que compte proposer l'actionnaire majoritaire à la Cobac.

Depuis le début du mois de novembre jusqu'à ce jour, explique un autre proche de Yves Michel Fotso, le Minfi a sur sa table trois projets de plans de restructuration issus des concertations sus évoquées. «Il ne s'est encore prononcé sur aucun de ces plans. Des trois, deux sont soutenus par l'actionnaire majoritaire, qui propose des garanties de près de 55 milliards de fcfa correspondant au montant des «créances douteuses» de la Cbc; des garanties tirées du patrimoine personnel de Yves Michel Fotso». Quelques spécialistes des questions bancaires que nous avons approchés, affirment que leur mise en œuvre aurait l'avantage, de permettre à l'Etat de ne pas injecter de l'argent dans la restructuration de cette banque. Ce d'autant que l'apport en argent frais se ferait à travers l'entrée dans le capital de la banque, des partenaires de références.


4- Entre dénigrement et méprise

Face à l'indolence et au laxisme suspect de l'administrateur provisoire, les promoteurs de la Cbc ont mis le cap sur des partenaires étrangers, quasiment trouvés à la fin du mois d'octobre dernier. La Qatar Islamic Bank et le Groupe ouest africain Nsia, dans leur lettre adressée à M. Fotso respectivement les 22 et 26 octobre 2010, ont clairement manifesté leur intérêt à entrer dans le capital de la Cbc et les autres banques du Groupe Fotso. Informés sur ces intentions fortes de ces institutions, ni l'administration provisoire sensée donner le Ok pour les missions préalables d'audits, ni la Cobac et encore moins le Minfi, n’ont daigné y donner suite. On accuse l'administration provisoire de la Cbc d'avoir mené une campagne de dénigrement de l'actionnaire majoritaire auprès de ces éventuels partenaires. Dans une correspondances qu'il a adressée dans ce sens à l'administrateur provisoire le 22 novembre 2010 pour s'interroger sur les «informations négatives transmises aux potentiels investisseurs dans la restructuration de la Cbc sur la situation personnelle et la moralité du promoteur sur l'état supposé de la banque», Yves Michel Fotso s'offusque de ce que des individus se prévalant de la proximité et de la confiance de l'Ap auraient approché ces potentiels partenaires pour les dissuader de poursuivre des pourparlers directs avec le représentant de l'actionnaire majoritaire qu'il est. Ils auraient fait état, d'après ce qui est repris dans la correspondance dont nous avons pu avoir copie, de ce que «...Monsieur Fotso n'est pas fiable»; que le Groupe Nsia « n'a aucun intérêt à traiter avec lui...» ; Bien plus que «l'organe de régulation (Cobac) et l'Autorité monétaire ont décidé de prolonger la période de restructuration de la Cbc, uniquement parce qu'ils ont eu l'assurance de ce que l’arrestation de M. Yves Michel Fotso était imminente et permettrait par la suite, de mener de manière plus sereine le processus de restructuration de la Cbc...»

Depuis le 1er décembre, Yves Michel Fotso croupit dans les geôles de Kondengui à Yaoundé. Une arrestation qui vient à tout le moins, de par son timing, confirmer les propos ci-dessus qui, eux-mêmes renforcent à souhait les thèses d'un complot savamment ourdi par ceux qui veulent faire main basse sur la banque des Fotso pour la brader à des repreneurs contre de fortes commissions, comme ce fut le cas pour Amity Bank. Plus que jamais privé de liberté, Yves Michel Fotso va certainement assister, impuissant, à la braderie de sa banque, comme planifié par Essimi Menye depuis décembre 2009. A Moins de deux semaines de la fin de la prorogation de 45 jours du mandat de l'administrateur provisoire, la menace de retrait de l'agrément de la banque plane plus que jamais... Après Amity Bank, la Cbc est visiblement en passe de subir une cession planifiée et minutieusement programmée par la Cobac et le Minfi.


12/12/2010
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