Assemblée Nationale: Les députés empêtrés dans les «embarras» du régime

DOUALA - 04 JUILLET 2012
© Serge-Lionel Nnanga | La Nouvelle Expression

Sur des dossiers aussi attendus que le code électoral, la réforme d’Elecam ou la création récente d’une commission d’enquête parlementaire sur le crash de 1995, la représentation nationale a semblé corroborer les vues du pouvoir. Suscitant parfois l’incompréhension de l’opinion publique.

Les faits Assemblée nationale: Les députés empêtrés dans les «embarras» du régime

Sur des dossiers aussi attendus que le code électoral, la réforme d’Elecam ou la création récente d’une commission d’enquête parlementaire sur le crash de 1995, la représentation nationale a semblé corroborer les vues du pouvoir. Suscitant parfois l’incompréhension de l’opinion publique.

Jeudi 14 juin 2012, réunie en plénière, l’Assemblée nationale renonce à débattre sur la proposition de résolution formulée par le Sdf portant constitution d’une commission d’enquête parlementaire au sujet de la non indemnisation des 71 victimes du Boeing 737-200 qui s’est écrasé le 03 décembre 1995 à Douala. Le président de la Chambre, qui préside la séance, aura juste eu le temps de laisser lire, par l’honorable Norbert Amougou Mezang, la motion d’ordre demandant que le texte ne soit pas débattu. Motif, l’indemnisation que souhaite questionner le seul groupe parlementaire de l’opposition à l’Assemblée nationale, a été faite suivant le contrat d’assurance liant la compagnie aérienne à une société bien connue. Il est vrai que la veille déjà, la commission des pétitions et résolutions, qui a examiné le texte au fond, avait rejeté ladite proposition. Mais dans ce jeu où légalisme se dispute avec opportunisme, tous ou presque savent que l’enjeu de la création de cette commission parlementaire est moins dans l’effectivité des indemnisations, que dans la gestion des 32 milliards de Fcfa que l’Etat camerounais a gagné au bénéfice d’un procès intenté à la société sud-africaine Transnet Ltd, chargée de l’entretien des avions la compagnie aérienne nationale. Des révélations sur la traçabilité de cette somme d’argent, faites par l’ancien ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation incarcéré, Marafa Hamidou Yaya, ont laissé des soupçons de corruption et de détournements impliquant des personnalités parmi les plus haut placées du pays. Ce «scandale de la République», dont on avait compris qu’il commençait à embarrasser au vu des réactions de certains pontes du régime, restera cependant enfoui dans les décombres du crash.


Code électoral

Lors de la session de mars 2012, c’est l’adoption du code électoral qui vient embarrasser la Chambre. Outre qu’il comporte des dispositions anticonstitutionnelles, le code électoral ferme les yeux sur un certain nombre de revendications formulées par l’opposition et la société civile, lesquelles ont pourtant fait l’objet de consultations avec le Premier ministre Philémon Yang, désigné par le Président de la République pour confectionner le projet de loi. Les lacunes de la proposition initiale provoquent tout d’abord un retrait forcé du texte, lequel est réintroduit deux jours plus tard. Fait inédit, le texte recueille 300 amendements de la part des députés. Les discussions, qui achoppent pendant un temps sur le caractère non impératif du mandat de député, sont entrecoupées par des réunions du groupe parlementaire majoritaire avec les hautes autorités du pays. La «fronde» des députés, saluée par une frange de l’opinion, retombe cependant très vite. Le texte est adopté avec des amendements minimum. Ni l’âge électoral à 18 ans, ni l’élection à deux tours, ni le redécoupage électoral, ni l’utilisation du bulletin de vote unique entre autres n’auront été adoptés. «Ces évolutions relèvent d’une modification de la Constitution», se contente un député de la majorité pour justifier le statu quo. D’autres font état de pressions qui seraient venues de l’Exécutif.


Elecam

Les mêmes pressions se font ressentir lors des sessions de mars et de juin 2011. Lors de celles-ci, outre que le texte portant création, organisation et fonctionnement d’Elecam revient consécutivement pour être modifié ; une modification en particulier agite l’opinion. L’article 6 de la nouvelle loi ôte en effet à l’organisation chargée de l’organisation et de la supervision de toutes les opérations électorales et référendaires, toute compétence dans la publication des «tendances enregistrées à l’issue du scrutin». Pour en confier l’exclusivité au Conseil Constitutionnel. La mesure, explique t-on alors, veut être conforme à la Constitution qui dispose que «le Conseil constitutionnel veille à la régularité de l’élection présidentielle, des élections parlementaires, des consultations référendaires. Il en proclame les résultats». Mais en lui interdisant même la publication des tendances, la mesure est un camouflet à l’esprit d’Elecam dont on souhaitait l’autonomie sur tout le processus électoral. Ici point d’amendements, la mesure a été votée au cours de sessions extraordinaires qui auront duré deux jours.



Commentaire: Le peuple en otage

Dans cette gué-guerre dont l’aspect le plus visible donne à croire (à tort) qu’il s’agit d’une opposition politicienne entre groupes parlementaires, nul ne saura jamais où est la part du peuple. D’un côté comme de l’autre, les tenants d’une telle ou d’une telle autre thèse s’en approprient le tout, sinon la grande part. Il est vrai que l’article 2 de la Constitution précise que «la souveraineté nationale appartient au peuple camerounais qui l’exerce soit par l’intermédiaire du Président de la République et des membres du Parlement, soit par voie de référendum». Mais de ce peuple qui est si souvent invoqué, beaucoup ignorent peut-être que le même article 2 de la Constitution ajoute qu’«aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice». D’après un habitué des joutes verbales et rhétoriques de l’Assemblée nationale, l’étude d’un texte de loi tient compte de plusieurs paramètres dont les plus importants sont politiques et politiciens. Mais dans ce jeu trouble où le statu quo et l’omerta sont souvent préférés à l’offensive, qui du régime, de la majorité ou de l’opposition est donc à blâmer ?

Le régime, que l’on peut identifier à la nomenklatura au pouvoir, peut-être. Il est vrai qu’aucun pouvoir n’a jamais souhaité quitter les prébendes et les dividendes liées à sa position. En cela, les pressions régulièrement exercées sur les députés de la majorité (indirectement associés au régime) se conçoivent surtout lorsque l’on tient compte des scandales et autres affaires qui sont susceptibles d’en éclabousser mêmes les pontes les plus insoupçonnés. Pour cela, les nombreux avantages matériels et pécuniaires concédés ou demandés aux/par les députés coulent aussi de sens.

Mais les députés de la majorité, qui se sont rendus spécialistes du blocage des initiatives de lois les plus «inquiétantes», sont tout autant concernés. Certes la large majorité dont dispose le Rdpc lui donne tous les «droits», même s’il y en a qui sont concernés au premier chef par l’accusation de «pantin de l’Exécutif» qui colle à la peau des députés, ce sont bien eux. La «fronde» sur le projet de code électoral a montré qu’il leur reste tout de même quelques bonnes intentions. Difficiles cependant à mettre en musique.

L’opposition, minoritaire et teigneuse, est elle aussi à blâmer. Certes de bons profils intellectuels y figurent. Mais comment expliquer les erreurs de forme basiques qui se sont glissées dans la proposition de résolution visant la constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur le crash de 1995 ?

S-L.N

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Comment comprenez-vous le tollé suscité par les positions récentes de l’assemblée nationale sur certains sujets à gros enjeux ?

Quand vous parlez de tollé, ça veut dire que ça engage la grande majorité des camerounais. Or je ne pense pas que ça soit le cas. L’homme de la rue, parfois, n’est pas très bien informé de ce qui se passe. Nous savons aujourd’hui qu’il y a des médias qui véhiculent un certain nombre d’informations qui parfois ne sont pas fondées. Dans ce cas, il y a de fortes chances que vous soyez surpris par les décisions de l’Assemblée nationale. Je crois que l’Assemblée nationale travaille en responsable. Elle est quand même l’incarnation de la légitimité populaire. Il est vrai que ce sont les partis politiques qui y délèguent leurs représentants, mais ceux-ci sont élus par le peuple. Je ne pense pas que l’Assemblée nationale puisse, de prime abord, se dire qu’elle va prendre une décision à l’encontre de ceux qui l’ont élue. Je crois que c’est un problème d’information. En ce qui me concerne, je dois dire que lorsqu’il y a un texte qui arrive à l’Assemblée nationale, il y a plusieurs paramètres qui rentrent en ligne de compte. Il y a le parti et il y a le peuple. A ma connaissance, lorsque l’Assemblée rejette un texte, c’est soit par intérêt de ce peuple, soit parce qu’elle veut protéger son gouvernement. N’oubliez pas que la majorité parlementaire à l’Assemblée aujourd’hui est constituée des députés du Rdpc. Et quel que soit le sujet qui est abordé, la majorité va d’abord voir si la décision à prendre va dans les intérêts de son parti, ou alors de son Exécutif.


La logique de groupe peut-elle vraiment tout expliquer ? Ne peut-on pas considérer qu’il s’agit là d’une sorte de démission face à des cas qui peuvent être considérés comme des patates chaudes ?

Non je ne pense pas qu’il s’agisse d’une démission. Revenons sur la proposition de résolution du Sdf en vue de la constitution d’une commission d’enquête parlementaire. Ceux qui l’ont proposée l’ont fait sur la base d’une lettre qu’ils ont reçue, qu’on a tous lue dans les journaux. Les faits sont peut-être avérés (il y a eu un crash, 71 personnes ont péri), mais sur la suite qui aurait dû constituer le fondement de la commission d’enquête, notamment l’effectivité de l’indemnisation des victimes, le gouvernement a dit oui. Dans ce cas, les députés ne peuvent pas dire non. Sur le plan maintenant de la procédure parlementaire, ce qui s’est passé est normal. Le Sdf a déposé une proposition de résolution que la Conférence des présidents a acceptée. La Commission des pétitions et résolutions a examiné et a rendu compte à la plénière. Il y a un député qui a soulevé une question préalable. Ce sont là les procédures parlementaires. Le règlement de l’Assemblée dit que si la question préalable est votée favorablement, on ne continue même plus les débats. C’est ce qui s’est passé. Sur tous les plans, je ne crois pas qu’on puisse dire que l’Assemblée rame à contre courants. C’est davantage une mauvaise connaissance des procédures parlementaires et de la réalité.

Sur cette affaire du crash de l’avion Camair en 1995 précisément, le malaise porte sur la gestion des 32 milliards obtenus par le Cameroun par suite de procès. S’il est admis que la proposition de résolution présentait des problèmes sur la forme, l’Assemblée aurait pu tout de même susciter une deuxième étude de ce texte après corrections …

Je dois dire, pour ce qui me concerne, connaissant les procédures parlementaires, que le Sdf s’y est mal pris. Il avait dans un premier temps la possibilité d’interpeller le gouvernement en posant les questions qu’il a voulu résoudre dans la commission d’enquête. Il pouvait le faire par les questions orales au gouvernement ou les questions écrites. Moi je crois que si le gouvernement refusait de répondre à ces interpellations, en ce moment, le Sdf aurait même pris les députés du Rdpc à témoin pour dire qu’il ne reste qu’à demander une commission d’enquête.


Pour ce qui concerne Elecam par exemple, le texte organique a été modifié par deux fois, au cours de deux sessions parlementaires extraordinaires consécutives. Ce retour permanent des mêmes textes, n’es-ce pas finalement une marque de subordination du Législatif à l’Exécutif ?

Je comprends que cela puisse effectivement susciter des inquiétudes. Une même loi qui revient au cours de deux sessions consécutives, c’est comme s’il y avait un peu de fébrilité du Législatif. Mais non. Je crois que les textes n’ont pas été suffisamment mûris. C’est comme ça que je vois les choses. Et on ne peut que le regretter car ça veut dire qu’on n’est pas sérieux quelque part. Mais sur le plan politique par contre, je trouve que cela est fort possible. Voyez-vous, entre la dernière modification d’Elecam et l’actuelle, sur le plan politique, il y a eu une évolution. Il y a une dynamique de la vie politique du pays. Il peut arriver qu’aujourd’hui, on ne pense pas changer les lois qui constituent le cadre législatif électoral du Cameroun et que demain, parce que des informations nouvelles sont parvenues, que l’on change d’avis en se disant que l’on peut faire un code électoral unique. Donc je ne pense pas que le fait qu’on ait eu la même loi, pendant deux sessions consécutives, veuille dire que les députés soient à la merci de l’Exécutif.


Sur le code électoral cette fois, on sait qu’il a été retiré une première fois de manière illégale. Les querelles qui ont suivi son étude se sont davantage focalisées sur les avantages personnels des députés. Certains députés ont justifié cet immobilisme par l’argument que les demandes de l’opposition nécessitaient une révision de la constitution. Pourtant ces mêmes députés ont modifié la constitution en 2008 …

Ce n’est pas comme ça je vois l’affaire. Je dois vous dire d’abord que le mandat impératif ne relève pas du code électoral, mais de la Constitution. Donc il est impossible d’adopter une autre loi qui lui est contraire. Je ne pense que ce soit pour le seul avantage des députés, c’est pour tout le monde. En ce qui concerne le taux de cautionnement des candidatures à la présidentielle qui est venu de 5 millions de Fcfa de l’Exécutif, les députés l’ont ramené à 3 millions. Il est vrai que l’Assemblée nationale et le Président de la République ont l’initiative législative. Mais l’Assemblée avait-elle en vue la modification de la Constitution ? Es-ce qu’il y a eu une proposition de loi initiée par certains députés demandant qu’on modifie d’abord la Constitution avant d’adopter le Code électoral ? Je n’en ai pas entendu parler. L’Assemblée nationale travaille selon un cadre législatif bien défini. Il reçoit un projet de loi de l’Exécutif et il lui appartient simplement de s’assurer qu’il n’y a pas de dispositions contraires à la Constitution. Maintenant, si les députés veulent modifier la Constitution, il leur appartient d’initier des propositions de loi dans ce sens.

Entre la nécessité de représenter le peuple et la logique de groupe qui appelle à des calculs politiciens, le député est finalement dans un étau. Peut-il en sortir ?

Mon point de vue là-dessus est clair. Si nous voulons avoir à l’Assemblée nationale des députés qui représentent effectivement les populations, il faut des élections transparentes. Dès lors qu’il y a eu des élections transparentes, que le peuple souverain a élu, en toute transparence, ses députés, s’il y a une majorité qui se forme à l’Assemblée, nous ne pourrons que subir la dictature de la majorité. A charge d’attendre les cinq prochaines années pour voir si cette Assemblée peut être renversée. Mais tant que, à la suite d’une élection transparente, il y a une forte majorité, il se trouvera toujours des gens pour dire que l’Assemblée ne roule plus en faveur du peuple. Mais la réponse est claire : si, cette majorité roule en faveur du peuple qui lui a donné mandat.

Propos recueillis par S-L.N



05/07/2012
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