Après le coup d’Etat manqué d’avril 1984: Yaoundé est-elle à l’abri d’un autre putsch ?

Douala, 08 avril 2013
© Souley ONOHIOLO, Florette MANEDONG | Le Messager

En choisissant d’étouffer dans l’œuf, d’endurcir ou de radicaliser par orgueil, arrogance et impertinence, les contestations, les revendications et le mécontentement général des populations, le régime du Renouveau de Paul Biya, en plus de créer sa propre tombe, est sous la menace d’un putsch populaire qui rappelle celui du 06 avril 1984.

« Comme on fait son lit, l’on se couche…» Enseigne l’adage. Mais dans un «je m’enfoutisme» qui caractérise le régime du Renouveau depuis des décennies, rien ne semble être fait pour répondre efficacement aux contestations, à la mal vie et aux diverses doléances qui s’enchaînent, s’aggravent et s’amoncellent pour être une source de pression populaire. «Tous les indicateurs et méfaits, sont aujourd’hui réunis pour que ce pays crame. Mais Dieu protège encore le Cameroun», avait déclarer feu président Ahmadou Ahidjo. Parmi les récents évènements « macabres » ou «ensanglantés» qui ont failli dégénérer, sinon emmener le pays à flamber, comment ne pas se souvenir des émeutes de février 2008. L’on en était rendu à un doigt de la guerre civile. Le régime a accusé le coup et a rapidement fermé les yeux sur des revendications évidentes qui n’ont de cesse de connaître une montée galopante au point où, ces émeutes suscitent craintes et frayeurs que seul le sérail ne voit pas. L’année 2008 par exemple, a été une année mouvementée sur le front social. Partie sans tambour ni trompette, elle débouche deux mois après sur une grève mémorable, historique. Yaoundé est touchée en plein cœur par des émeutes de la faim qui sont en réalité, une accumulation de rancœur et de ressentiment. A cela s’ajoutent : «le chao sécuritaire», l’amendement de la Constitution dès le mois de mars qui est la lame de fond des émeutes de février ; la colère estudiantine avec «le scandale de l’Ens de Maroua».

Face à toute cette conjonction d’évènements pour le moins malheureux, il y a eu une mauvaise lecture des décideurs qui n’ont pas vu venir la grogne de cette jeunesse-là qui, en 1982, n’était pas née lorsque le chef de l’Etat accède au pouvoir ; mais qui aujourd’hui, a 30 ans et est confrontée au mal vivre ; lequel constitue une bombe à retardement. Et pourtant, il faut comprendre le message de cette jeunesse désespérée , qu’on dit être manipulée, alors qu’elle ne fait que crier son mal-être, son envie de vivre, d’avoir droit à un emploi, à une vie de famille... On peut aussi évoquer le malaise dans les prisons camerounaises qui sont pour la plupart, des voltiges coloniaux ; des structures obsolètes et submergées. «Tant que Yaoundé respire, le Cameroun vit» laissait croire le président de la République, Paul Biya au plus fort de la crise sociale de 1990-1991. Il y a quelques mois, l’on a assisté à des mouvements d’humeur incontrôlables qui ont échappé à la vigilance des pouvoirs publics, au point où, au prétexte du manque d’eau (qui s’observe et pourrit la vie des populations de Yaoundé et ses environs) au palais d’Etoudi, les hommes de troupes et quelques hauts gradés de l’armée camerounaise, ont failli mettre le pays à feu et à sang. La tornade et le séisme ne sont pas totalement estompés. Il fume encore, le volcan qui pourrait donner lieu à une éruption consécutive à la mise aux arrêts du trésorier-payeur général de Yaoundé. Personne ne semble vouloir aller le plus loin possible sur cette enquête qui risque de troubler les commandants et colonels magistrats du tribunal militaire. Que dire de la scène de colère d’un homme de troupe ayant ouvert le feu sur le cortège du président de la République, Paul Biya ?


Soulèvement populaire

Il y a comme une contagion de malaises qui s’ouvrent sur des mouvements incontrôlables. Jusqu’ici, on avait pensé pour reprendre Montesquieu, que le pouvoir arrête le pouvoir par la disposition des choses ; mais avec beaucoup de recul, l’on s’aperçoit qu’entre l’exécutif et le législatif, il y a un concubinage malsain. On a également frôlé le pire avec cette farce bien orchestrée devant aboutir à la suppression des subventions des prix de carburants. Mais les conséquences qui se profilaient à l’horizon, ont découragé les initiateurs de cette prétention «macabre ». Les fiches de renseignement qui circulaient en ce moment, dans les services spécialisés, ne plaidaient pas à l’avantage d’une telle option. La mal vie, la vie chère, l’indigence et le mécontentement généralisé des populations ayant atteint le paroxysme de l’insoutenable, l’on a vu le risque de déstabilisation du pays, au travers d’un soulèvement populaire qui devait être difficile à contenir.

Dans son projet de grandes réalisations dont le fil conducteur et l’objectif étaient de conduire le Cameroun à la victoire contre la pauvreté, par la croissance et l’emploi, la suppression des subventions était le meilleur moyen de rouvrir les portes de l’austérité et la morosité sociales. Si Paul Biya a entendu cette fois-là, le cri des acteurs sociaux, et a réussi à éviter un malaise social, le « messie de 1982 » n’a pas réussi jusqu’à ce jour, à réduire le train de vie de l’Etat, à explorer d’autres niches de recettes publiques (la fiscalisation des finances et des grandes fortunes). Le mécontentement généralisé se poursuit avec l’avalanche des délestages, l’augmentation des prix de l’énergie électrique (qu’on reçoit avec beaucoup de peine), les nombreux incendies ayant fait plusieurs morts à cause de l’éclairage avec des bougies. Et puis ces crimes rituels de Mimboman et l’affaire Vanessa Tchachou… Autant d’autres « offenses » et l’indifférence du régime du Renouveau qui ont fait craindre le pire et le chaos. Comment oublier le football qui dépérit de jour en jour, happé par la spirale des improvisations, de l’amateurisme, de l’inorganisation et des impostures.


L’avalanche des défaites de ce qui tient encore lieu de l’équipe nationale (les Lions indomptables) ajoutée à toutes les incertitudes liées à l’organisation du football local, ont aussi meurtri une population camerounaise qui de la balle ronde en avait fait son « opium » de ralliement. La malédiction actuelle, doublée de lynchage et d’anthropophagie politique du peuple camerounais sur Iya Mohammed, récemment épinglé par le conseil de discipline budgétaire et financière.


Devoir de conscience

L’opération épervier comme on l’a baptisée, dans sa spectacularisation apparaît comme une opération de liquidation politique de personnalités devenues trop ambitieuses ou gênantes. Il s’agit d’une opération plus politique que judiciaire. Sur le plan économique, la bataille contre la vie chère reste un slogan creux, les prix continuent de grimper sur les marchés, les ordonnances du chef de l’Etat ne sont pas respectées. Finalement on est dans une espèce de puits sans fond. On admire le volontarisme du ministre Magloire Mbarga Atangana mais c’est un ministre qui n’a pas toutes les manettes entre ses mains. S’agissant du monde urbain, il y a tout un prolétariat urbain qui s’est développé dans nos villes aujourd’hui : le secteur informel. C’est un prolétariat urbain dynamique, parfois des jeunes diplômés du supérieur qui se sont reconvertis dans l’auto-emploi. Ce sont des gens qui se battent au quotidien, des gens qui n’attendent plus rien d’une élite qui s’est fondue dans les grosses cylindrées. Le Cameroun est devenu un pays de l’anormalité, du « tout est possible », un pays où, les dirigeants se jouent avec désinvolture des espoirs et de la patience des populations.

Pour ce pays qui se délite, on ne peut envisager un développement économique, des progrès scientifiques et techniques durables qu’à travers une véritable prise de conscience et des solutions consensuelles à la crise politique. La démocratie qu’on présente aux yeux du monde, est une apparence. Il n’y a pas de démocratie sans calendrier électoral connu longtemps à l’avance de tous les acteurs politiques, pas de démocratie lorsque les stratégies personnelles ou partisanes prennent le pas sur les lois de la République. Pour en finir avec le mal africain, il y a lieu de régler les questions sur la mal-gouvernance, l’exclusion, la corruption, la concussion, les forfaitures impunies et la désagrégation de notre corps social. On pourrait alors exulter de joie, si on parvenait à détruire les chaînes de révolte de la barbarie à visage humain d’une élite de hauts fonctionnaires milliardaires, dans un pays pauvre et très endetté. Or le Cameroun dont on a besoin, a une âme. Il faut la chercher dans le feu bouillant sous la croûte du Mont-Cameroun, dans les forêts épaisses de l’Est et des profondeurs du Sud, sur les hauts plateaux de l’Ouest, dans le château d’eau de l’Adamaoua, dans la steppe du Nord, sur les hauteurs du Mont Mandara…


Vox Pop:

Olivier Kpama, instituteur de l’enseignement général, 44 ans: «Les gens confondent l’Etat à des institutions familiales»

Le 6 avril 84 a été un moment plutôt difficile dans l’histoire du Cameroun. Et ça a démontré à suffisance notre immaturité, parce que nous pensons que la démocratie c’est parfois une dictature déguisée. Alors que pour moi, c’est d’abord une entente, les gens doivent se comprendre et savoir ce qu’ils veulent. Faire des choix pour le bien de la nation. Et quand nous regardons ce qui s’est passé ce jour-là, on a l’impression que les gens confondent l’Etat avec des institutions familiales. Au lieu de faire la grève, nous devons nous asseoir autour d’une table pour exprimer nos idées et regarder dans une même direction. Nous ne pouvons certes pas toujours être d’accord dans les choix, et c’est même ça le sens de la démocratie. Mais, l’essentiel c’est que, chacun apporte sa pierre à l’édification du pays. Je crois que le 6 avril, c’est un moment qui ne devrait plus exister, parce que ça nous fait reculer, au lieu d’avancer.


Moussa Njoya, documentaliste, 63 ans: «Quelque part, c’est la dictature qui développe un pays»

D’avance je condamne la violence. Parce que, nous avons vécu de 1954 à 1970 la violence au Cameroun, et nous n’avons pas apprécié. C’est vrai que la gestion était catastrophique, mais nous n’avons pas apprécié la violence. En termes de répercussion, nous avons pris du retard. Mais il faut le dire, ce retard a plutôt consolidé le fait de mieux gérer le pouvoir, en lieu et place de la gestion catastrophique d’antan. Surtout qu’à ce moment, le Camerounais était mécontent du dénigrement qu’on faisait de l’ancien régime. C’est vrai que c’était des dictateurs, mais quelque part, c’est la dictature qui développe un pays. Qu’on le veuille ou pas, les autres sont passés par la dictature pour développer leurs pays. Mais il y a eu un impact, ce d’autant plus que, les jeunes aujourd’hui, n’ont plus d’avenir. Les gens qui nous gouvernent prétendent que c’est à cause du 6 avril, or c’est faux. Ils ne veulent pas faire des orientations, c’est la mauvaise gestion. Qu’ils sachent dès aujourd’hui que c’est la chose publique, c’est la Res-publica qu’ils gèrent, ce n’est pas pour eux. Ils en font une gestion familiale, ce n’est pas normal. L’avenir est sombre. Mais si c’était à recommencer, je dirais non, car nous sommes tous Camerounais, et même s’ils partent, de nouvelles personnes viendront gérer.


Benjamin Edou Oyono, adjoint d’administration, 53 ans : « C’est une situation déplorable qu’il faudrait éviter à l’avenir»

A nos jours, ce genre de situation ne devrait plus arriver. Je ne l’ai pas vécu directement dans la ville de Yaoundé, mais ceux qui l’ont vécu, disent que c’est une situation à déplorer, qu’il ne faudrait pas encourager. Parce que les Putschistes n’ont pas fait un bon travail. Il est vrai que pour leurs raisons inconnues, ils l’ont fait, mais c’est une situation déplorable qu’il faudrait éviter à l’avenir. Si on regarde ce qui se passe dans les pays voisins, tel que récemment, en République centrafricaine, ce n’est pas une bonne chose. Ce que nous voulons, c’est qu’ils passent toujours par des négociations, pour aboutir au consensus qui pourra aboutir à la paix.


Bolivie Kamdem, informaticien, 45 ans : « Nous devons oublier les évènements d’une telle nature»

Le 06 avril 1884 c’est une date à oublier au plus vite, parce que ça a été un évènement très triste. Comme beaucoup d’autres personnes, je crois que, nous sommes appelés à ne plus essayer une telle expérience. Nous devons désormais regarder vers l’avenir et oublier les évènements d’une telle nature. Ce fût un évènement à vraiment oublier. Car, pour ceux qui l’ont initié, ils avaient l’intention de segmenter le Cameroun, mais eux-mêmes en ont pris un sacré coup, et si c’était à recommencer, ils ne recommenceront pas.


Jean Marie Evina, opérateur économique, 40 ans : «Malgré tout, le Cameroun a quand même progressé depuis le temps»

Le souvenir qui reste jusqu’aujourd’hui, c’est celle d’une guerre que je n’avais jamais vécue auparavant. Une guerre qui a duré deux jours, mais pendant ces deux jours, c’était l’enfer. Je n’ose imaginer ce que vivent ceux qui font une semaine, un mois, voire des années de guerre. C’est un très mauvais souvenir, et une expérience qui ne devrait plus être renouvelée. Même si beaucoup de choses ont changé depuis 84, comme l’avènement de la démocratie. Mais aussi, beaucoup de secousses comme la crise économique mondiale. Malgré tout, le Cameroun a quand même progressé depuis le temps.

Souley ONOHIOLO et Florette MANEDONG


08/04/2013
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