Amalgames autour du putsch manqué

Amalgames autour du putsch manqué
(Le Messager (Sn) 07/04/2010)


Certains commentaires avancent l’idée selon laquelle les putschistes auraient été piégés ! C’est une contrevérité. Le putsch fut préparé, planifié et exécuté par une poignée d’officiers de la garde Républicaine avec l’aval du dictateur Ahmadou Ahidjo et le soutien du Directeur général du fond national du développement rural (FONADER).

Le dictateur le confirma le même jour du 6 avril dans une interview à RFI : « si ce sont mes partisans, ils auront le dessus ». Dans une interview au Messager datée du 5 avril 2004, Dakolé Daïssala confirme que le putsch fut bien l’œuvre d’officiers de la Garde Républicaine. Dakolé révèle que depuis Dakar où il s’était volontairement exilé en 1983, Ahidjo ne cessait de pousser les officiers peuhls de la garde Républicaine à perpétrer un coup d’Etat. Ainsi, présenter aujourd’hui Ahidjo comme un patriote, c’est faire de la minable autosuggestion. Ceux qui aujourd’hui présentent Ahidjo comme un patriote feraient donc bien de se raviser. L’homme a dirigé le Kamerun par la terreur et le sang, provoquant l’exil de milliers de Kamerunais, il a fini sa carrière en essayant de plonger son pays dans la guerre civile. En cas de victoire des putschistes, il est clair que nous serions entrés dans une ère de guerres civiles interminables, le Kamerun se serait disloqué.

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Coup d’Etat progressiste ou coup d’Etat réactionnaire ?

Les propos d’un personnage controversé comme Guerandi qui se présente comme un officier progressiste et s’attribue le rôle de promoteur du coup d’Etat d’avril 1984, créent un amalgame insupportable ; surtout lorsque le même Guerandi affirme que son initiative a été détournée de son objectif par les Ahidjoïstes ! La vérité doit être lue à l’envers de ce que déclare Guerandi. Si officiers progressistes il y avait à la Garde Républicaine, c’est plutôt eux qui ont pensé détourner de son objectif le coup d’Etat réactionnaire qu’ont perpétré les officiers Ahidjoïstes. Guerandi et ses amis doivent admettre leur incompétence. Moins de douze heures après le début du coup de force, les putschistes étaient obligés de battre en retraite dans une débandade qui prouve qu’ils étaient mal préparés et certainement incompétents.

Le caractère réactionnaire et antipopulaire du putsch est confirmé par deux éléments. Ahidjo reconnaît dès la mi-journée du 6 avril qu’il est le parrain des putschistes. Or Ahmadou Ahidjo a été le dictateur sanguinaire, détesté de la quasi-totalité des Kamerunais. Son départ du pouvoir le 4 novembre 1982 a créé un ouf de soulagement dans tout le pays y compris dans le Grand Nord où l’écrasante majorité des Kamerunais de cette région croupissait dans l’analphabétisme et la misère. La bourgeoisie de la minorité peuhle musulmane dominait sans partage, exerçant une terreur noire sur la majorité de la population, et surtout les kirdi animistes. La caution morale qu’Ahidjo donna au coup d’Etat d’avril 1984 fut ressentie comme une insulte par les Kamerunais qui disqualifièrent dès lors les putschistes.

Le deuxième élément qui confirme le caractère réactionnaire du putsch est le communiqué lu à la radio à 13 heures le 6 avril. Les putschistes, qui croient s’adresser à l’ensemble des Kamerunais à travers le réseau national condamnent « la bande à Biya » accusée de sectariste et de gabegie, puis tout de suite après, font l’apologie de la gestion ahidjoïste du pouvoir !En clair, ils nous proposent un retour en arrière. Que M. Biya ait géré l’avant-putsch par l’hésitation, par le refus de promouvoir tout de suite les libertés et la démocratie dont les Kamerunais avaient soif, par le refus de choisir entre l’ancien et le nouveau, tout cela a exaspéré les Kamerunais ; mais personne de lucide ne pouvait souhaiter le retour d’Ahidjo dont on avait expérimenté 22 ans de dictature cruelle et d’aliénation politique et économique.

Qu’en fut-il de la gestion de l’après-putsch ?

Le bilan des affrontements militaires est une chose. Un autre est la répression qui a suivi la victoire des loyalistes et qui s’est abattue sur les ressortissants du Grand Nord, militaires et civils. A l’époque, le MANIDEM condamna cette répression aveugle prévenant qu’elle aurait de graves conséquences sur l’unité du pays. L’amalgame qui fut fait entre la poignée d’officiers Ahidjoïstes auteurs du coup d’Etat et l’ensemble de nos compatriotes du Septentrion a durablement affaibli notre pays, laissant des plaies béantes qui ont du mal à se cicatriser et, le discréditant à l’extérieur. On a aujourd’hui une réponse à cette dérive répressive qui s’abattit sur nos compatriotes du Grand Nord. C’est le général Asso’o Emane et le leader du MDR Dakolé Daîssala qui nous la donnent dans deux interviews parues dans les cahiers de Mutations et dans le Messager.

La tentative de putsch avait laissé vacant le pouvoir à Yaoundé. Certains officiers supérieurs, encouragés par les caciques de l’ancien régime tel Andzé Tsoungui, tentèrent de s’emparer du pouvoir. Ils firent face à la résistance d’officiers restés loyaux jusqu’au bout. M. Biya reprit le pouvoir mais dut laisser la gestion de l’après-putsch aux militaires. Ceux-ci, sans se soucier des conséquences politiques de la répression qu’ils déclenchèrent, traitèrent le problème sur un strict plan militaire, usant d’une « justice » expéditive, donnant l’impression de régler des comptes et procédant à une chasse aux sorcières.

Le résultat fut catastrophique. Nombre de nos compatriotes du Grand Nord qui n’avaient rien à voir avec le putsch perdirent leur emploi et leurs biens et furent même parfois emprisonnés. Il en résulta un profond sentiment de frustation et d’injustice.

Lorsque la politique reprit le dessus après 1990, M. Biya eut l’intelligence politique de faire voter en 1991, une loi amnistiant tous ceux qui étaient impliqués dans le putsch de 1984 ; cette loi prévoyait en outre la re-intégration des militaires « putschistes » dans l’Armée, et la restitution des biens à ceux qui en avaient été dépouillés.

Force est de constater que, fidèle à son habitude, le « Renouveau » n’a pas appliqué complètement sa propre loi. Si les « putschistes » sont effectivement sortis de prison, la réintégration des militaires dans l’Armée ne s’est faite que partiellement et de nombreux biens ne sont toujours pas restitués à leurs propriétaires. Quant au rapatriement de la dépouille de M. Ahmadou Ahidjo, son épouse et son fils ayant enfin accepté son transfert, il conviendrait que le « Renouveau », s’inspirant de nos traditions bantu et dans le souci de la réconconciliation nationale, organise des obsèques officielles au premier président du Kamerun.

L’échec du « Renouveau » justifie-t-il à posteriori le putsch de 1984 ?

Le putsch de 1984 était d’inspiration réactionnaire et revancharde. Rien de noble ne le justifiait. Il doit donc être fermement condamné.

Il doit être d’autant plus condamné qu’il a, en partie, précipité le régime du « Renouveau » dans la dérive qui a fait tant de mal à notre pays depuis 1982, on peut sans risque de se tromper, affirmer qu’il était plein de bonnes intentions.

En 1982, M. Biya veut tourner la page de la répression sauvage du régime d’Ahidjo. M. Biya veut démocratiser le régime politique au Kamerun. D’ailleurs, les ouvertures démocratiques à l’intérieur du parti unique dès 1986 l’attestent. Ses déclarations et celles de ses principaux collaborateurs dès 1983, concernant le retour des exilés, et les contacts établis avec l’Opposition à l’extérieur le prouvent. M. Biya veut moraliser, dès son accession au pouvoir, la gestion des affaires publiques.

Au-delà des discours, M. Biya s’entoure de personnalités nouvelles telles Georges Ngango, Philippe Mataga, Titus Edzoa etc. Il prend ses distances avec la plupart des caciques de l’ancien régime.

Le putsch de 1984 vient détruire tout cet édifice léger certes, mais promotteur. Il braque M. Biya et le précipite dans une dérive sécuritaire.

Pour protéger, consolider et conserver son pouvoir, M. Biya ramène aux affaires les hommes de l’ancien régime, les caciques d’Ahidjo. Certes la dérive régionaliste est bien là mais elle ne constitue pas l’aspect fondamental du socle du régime de M. Biya après 1984.

Le putsch a favorisé le retour en arrière, l’encerclement du chef de l’Etat par les services de sécurité, le retour des barons de l’ancien régime tels Fochivé, Andzé Tsoungui, Denis Ekani, J.M. Menguemé, Enoch Kwayep, Sadou Daoudou etc., tous les ingrédients étaient là pour refermer la petite porte, une lueur d’espoir que la démission d’Ahidjo a entrouverte.

Inventer de toutes pièces les objectifs promonitoires du putsch d’avril 1984, c’est tenter délibèrement de confondre les conséquences et les causes. C’est vouloir réécrire cette triste page de l’histoire de notre pays, pour de mesquins calculs politiciens en cette période de campagne électorale.

Autant le régime d’Ahidjo n’a pas servi les intérêts de l’écrasante majorité des Kamerunais y compris ceux du Septentrion, autant celui de Biya ne sert ni les intérêts des Kamerunais dans leur ensemble, ni ceux de la grande région du Centre-Sud-Est.

Le fait toutefois que des Kamerunais de foi soient amenés à mettre sur la même balance le « Renouveau »et les putschistes, donne l’ampleur de la déception et du ressentiment qu’éprouvent bon nombre de nos compatriotes à l’égard de M. Biya. Tout au long de l’année 1983, il ne s’est pas matérialisé la liberté d’expression chèrement conquise par les kamerunais à partir de 1990. Le « Renouveau » s’est transformé en cauchemar pour la majorité de nos compatriotes.

L’échec du « Renouveau » est patent ; il englobe tous les secteurs de la vie du pays et des citoyens. Après 23 ans au pouvoir, le RDPC, ses alliés et son chef alignent un bilan en dessous de zéro. L’économie du pays est sous ajustement depuis 1988 et aucune perspective de sortie d’ajustement n’est proposée aux Kamerunais. Tous les secteurs sociaux sont en lambeaux : 50% de la population active est en chômage d’après le ministre Nkili ; la pauvreté touche 2 Kamerunais sur 3. L’espérance de vie est descendue en dessous de 50 ans ! L’accès à l’électricité ne concerne que 3 millions de Kamerunais sur les 16 que sous sommes. Quant à l’eau potable, elle n’est accessible qu’à moins de 2 millions de Kamerunais. L’école est payante de la Maternelle à l’Université ; elle est de mauvaise qualité. Le déficit en logements sociaux est estimé à 2 millions d’appartements : la SIC n’a pas construit une maison depuis 15 ans ! Les infrastructures sportives et de loisir sont inexistantes ; le Kamerun n’a pas un seul palais de sport, ni une piscine olympique !

L’Aménagement du térritoire n’a jamais été une préoccupation du « Renouveau ». Le Sud du pays est coupé du Nord faute de routes et de chemin de fer. La plupart des villes petites et moyennes, sans parler des villages, sont enclavés. Même la radio et la télévision nationales ne sont pas reçues sur l’ensemble du territoire national.

Sur le plan diplomatique, le Kamerun n’est respecté que sur les ondes de Radio-Cameroun. L’inertie diplomatique du Kamerun est légendaire, et l’absence du chef de l’Etat à toutes les réunions africaines devient insultante pour les autres pays du Continent.

Sur le plan moral, quelle catastrophe ! Chaque année, le Kamerun se dispute la première place du hit-prade de la corruption avec son grand voisin, le Nigeria. Le pays n’a ni repère, ni idéal, ni dessein.

L’échec du « Renouveau » est si patent et si immense qu’il faut désormais craindre que de nouveaux aventuriers, sous le prétexte de sortir le pays du gouffre, l’enfoncent plutôt dans les profondeurs de la guerre civile et du chaos. Le RDPC et son chef devraient tirer les leçons du putsch de 1984. Pousuivre la politique actuelle d’injustice sociale, de gabegie, de corruption, de refus de l’alternance politique en plombant le processus électoral, d’abandon de toute souveraineté économique par les privatisations sauvages, poursuivre dans cette voie de pilotage à vue et de mépris des souffrances et des aspirations des Kamerunais, c’est la meilleures manière de préparer le désordre généralisé.

Toutefois, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’échec du « Renouveau » sur le plan économique et social peut sceller la réconciliation des Kamerunais. Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, pour l’écrasante majorité des kamerunais, c’est la précarité, c’est le chômage, c’est la pauvreté, c’est la misère. Ce dénominateur commun doit être le socle de la combativité retrouvée des Kamerunais pour ouvrir de meilleures perspectives au Kamerun et à ses fils et filles.

Voilà toute l’explication de la démarche stratégique du MANIDEM.

Par lemessager



07/04/2010
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