Alternance - Alliance régionale dans la gestion du pouvoir: Paul Biya et l’Ouest peuvent-ils s’entendre?

DOUALA - 28 Aout 2012
© Michel Michaut Moussala | Aurore Plus

Craignant de voir le Grand Nord revenir au pouvoir après son départ, le chef de l’Etat a jeté son dévolu sur la région de l’Ouest pour lui barrer la route.

I- Un soutien sans faille à Paul Biya

Lors de sa première visite officielle dans ce qui était alors la province de l’Ouest, Paul Biya avait déclaré le 18 mars 1983 à Bafoussam, chef-lieu de cette partie du pays: «Les populations de l’ouest ont une morale traditionnelle des affaires; une morale basée sur le respect de la parole donnée, une morale basée sur la solidarité dans l’effort. Cette morale, faite d’intégrité et de solidarité, doit être exaltée, cultivée, pratiquée en vue d’assurer ici, comme partout au Cameroun, une activité économique vigoureuse, mais saine et harmonieuse… » Cette visite de Paul Biya, dans la province de l’Ouest quelques mois seulement après son arrivée à la tête du pays (6 novembre 1982), mais surtout les propos fort élogieux qu’il avait tenus à l’endroit de ses hôtes témoignaient que le courant passait entre Paul Biya et les Bamiléké. C’était également et surtout une réponse au soutien massif que cette ethnie lui avait apporté quand il succédait à son prédécesseur Ahmadou Ahidjo. Car ne l’oublions pas, la section Unc (l’Union nationale camerounaise, le parti unique sous Ahidjo) du département de la Mifi (province de l’Ouest) avait été l’une des toutes premières du pays avec celles de la Bénoué (Nord natal d’Ahidjo), de la Mefou (Centre) et de la Sanaga Maritime (Littoral) à envoyer une motion de soutien au nouveau président de la République qu’était Paul Biya.

Tenant compte de ce soutien, Paul Biya avait renvoyé l’ascenseur aux fils et aux filles de l’Ouest en nommant, dès le 11 novembre 1982 l’un d’entre eux, Daniel Kamgueu, comme secrétaire général adjoint de la présidence de la République. Le 13 avril 1983, il remplace Daniel Kamgueu par un autre Bamiléké qui lui est très proche et qui est devenu au fil des ans un ami (très) personnel qui le tutoie en privé en la personne de Jean Nkuete, actuel secrétaire général du Comité central du Rdpc au pouvoir. Jean Nkuete, un Dschang de Balessing, département de la Ménoua, docteur en économie formé en Italie est un vieux collaborateur de Paul Biya quand il était le Premier ministre d’Ahidjo de 1975 à 1982. Jean Nkuete a été directeur des affaires économiques et conseiller technique du Premier ministre Paul Biya de 1975 à 1980. Paul Biya va le nommer secrétaire général du gouvernement le 21 novembre 1986 au grand dam des milieux Beti/Fang qui vont très mal prendre cette promotion. Il est à noter ici que depuis le décès en 2010 de Paul Tessa, un autre Dschang, lui aussi très ami avec Paul Biya, Jean Nkuete s’est imposé comme le parrain politique de toute la région de l’Ouest.


II- 1992: le non respect de la parole donnée

Jusqu’en 1990, le soutien de l’Ouest est sincère envers Paul Biya mais il ne doute pas que quelque chose se prépare dans son dos avec l’arrivée du multipartisme : c’est la naissance et la montée en puissance d’un parti, le Sdf, et d’un homme, Ni John Fru Ndi son Chairman (président). C’est le grand tournant. Les populations de l’Ouest vont se rallier massivement au nouveau parti dans lequel les fils de l’Ouest comme Hameni Bieleu seront bien représentés dans l’état-major de cette formation politique. On connaît la suite: la province de l’Ouest va donner moins de 8% de ses voix à Paul Biya lors de l’élection présidentielle de 1992. C’est un camouflet pour Paul Biya, une haute trahison. Les cadres Rdpc de l’Ouest sont atterrés. Paul Biya avait senti le vent venir quand il avait déclaré dans un discours que: «Le Cameroun se fera avec l’Ouest ou ne se fera pas».

Les conséquences seront assez graves pour l’Ouest dans le gouvernement formé par Paul Biya le 28 novembre 1992, des fils de cette partie du pays vont perdre leurs postes, tel le vice-Premier ministre en charge des Mines, de l’Eau et de l’Energie cumulativement avec ses fonctions de directeur général de la Sonel, Marcel Niat Njifenji. Dans ce gouvernement, l’Ouest est représentée par Augustin Kontchou Kouomegni, ministre d’Etat en charge de la Communication, Dieudonné Monthé au Plan de stabilisation et de Relance économique. Comme secrétaire d’Etat il y a Jean Fochive à la Sécurité intérieure. Ce dernier n’est pas Bamiléké mais de l’ethnie bamoun. Voilà tout un gouvernement où il n’y a que deux Bamiléké. Paul Biya a frappé très fort pour faire comprendre à l’Ouest qu’il reste le patron, le seul maître du jeu. A l’Ouest, on a compris le message: on ne badine pas avec Paul Biya. Qui a été reconduit à la tête du pays sans son soutien. Les fils, sont coupés entre les deux anciens amis, il faut les renouer. Certains cadres Rdpc l’ont compris et vont se mettre au travail pour que l’Ouest regagne la confiance auprès du chef de l’Etat. Ce travail va payer puisqu’en 1997, le score de Paul Biya va augmenter à la présidentielle de cette année-là.


Alternance - Alliance régionale dans la gestion du pouvoir - Une autre présence bamiléké dans l’entourage présidentiel

Quand l’Ouest se réunit donc à Bafoussam le 16 août 2003, au cours d’une rencontre qualifiée des forces vives, c’est pour demander à Paul Biya d’être son candidat pour l’élection présidentielle d’octobre 2004. Les résultats seront bons pour Paul Biya au cours de ce scrutin présidentiel. Et lors du double scrutin législatif et municipal de 2007, le Rdpc est aux premières loges dans la région de l’Ouest avec 29 mairies sur les 40 que compte cette région, ce qui donne 848 conseillers municipaux sur 1216 et 19 députés sur les 24 de la région. De 1997 à 2007, le nombre de ministres originaires de l’Ouest augmente dans les différents gouvernements de Paul Biya. Prenons des gouvernements comme ceux du 30 juin 2009 et du 9 décembre pour confirmer que la région a gagné quelques points auprès de Paul Biya. (Voir doc ci-contre). Ce n’est là qu’un échantillon des postes occupés par les Bamilékés dans le régime Biya hormis les postes ministériels. Même si ça ne représente pas grand-chose par rapport aux postes occupés par les régions du Centre et du Sud natal du chef de l’Etat.



III- Une autre présence bamiléké dans l’entourage présidentiel

Il y a quelque chose que les analystes ne perçoivent pas bien: l’Ouest est bien présente dans le premier cercle du président Paul Biya à travers sa belle-mère Mme Mboutchouang Rosette Marie et son épouse Chantal. Cette dernière a auprès d’elle un fidèle parmi les fidèles en la personne de Jean Stéphane Mbiatcha, originaire du département du Ndé, même comme les deux personnalités ont des problèmes ces derniers temps. En effet Jean Stéphane Mbiatcha, ci-devant secrétaire exécutif des Synergies, une organisation mise en place par la première dame, président du comité de gestion du centre international de référence Chantal Biya et adjoint de l’épouse du ministre des Sports et de l’activité physique, Bidoung Mkpatt, à la Fondation Chantal Biya est accusé pour détournements de fonds. Ce qui aurait mis la première dame dans tous ses états. Au total, on évalue ses distractions de fonds à environ 250 millions de Fcfa.

Jean Stéphane Mbiatcha qui est un professionnel de la survie saura probablement rebondir. N’avait-il pas été mis à l’écart il y a quelques années par la première dame avant de regagner ses faveurs, sa confiance? A l’époque, on l’accusait, à tort ou à raison de sortir l’épouse d’un oncle de la première dame, ce qui lui avait valu les foudres de cette dernière. Il s’était défendu pour laver son honneur en montrant que c’était un coup monté par ses détracteurs, des jaloux. On oublie souvent de mentionner Mbiatcha comme conseiller technique au cabinet civil de la Présidence de la République depuis décembre 2002. Mais selon certaines sources, le professeur de lycée d’enseignement général de profession n’occupe plus de fonctions là-bas et se consacre entièrement aux activités de sa patronne.

L’autre Bamiléké qui a ses entrées au Palais de l’Unité même s’il y met rarement les pieds est Ernest Mboutchouang le mari de la mère de Chantal. Ce bamiléké originaire du département des Hauts-Plateaux a une première épouse bien de chez lui et avait pour concubine attitrée la mère de Chantal Biya. L’homme est très intelligent et saisit tout l’intérêt qu’il a à renforcer ses relations avec Rosette Marie, génitrice de Chantal quand il apprend que celle-ci va devenir l’épouse du président Biya. Il demande tout simplement à la future belle-mère du chef de l’Etat de devenir son épouse. Elle accepte et le tour est joué. Ernest Mboutchouang ou «papa Ernest» comme on l’appelle familièrement devient ainsi le beau-père du président Paul Biya. Quand sa première épouse va réagir on lui fait comprendre en famille qu’il est de son intérêt de s’aligner compte tenu des intérêts financiers et autres enjeux. Ce qu’elle fit. Malin comme le diable Ernest Mboutchouang a tout fait pour faire élire sa dulcinée comme maire de la commune de Bangou dans le département des Hauts-Plateaux. A travers ce mariage d’intérêt, l’Ouest a un pied dans le premier cercle du président Biya. Et puis la famille de «papa Ernest» a beaucoup gagné dans cette affaire. Les enfants de cette famille n’ont pas de problèmes pour trouver un emploi ou de l’argent pour financer une affaire quelconque, «maman Rosette» volant toujours à son secours.

Alternance - Alliance régionale dans la gestion du pouvoir - L’Ouest peut-elle valablement faire contre-poids au Grand Nord?

IV- L’Ouest peut-elle valablement faire contre-poids au Grand Nord?

Le poids démographique

En 2010, le Grand Nord était peuplé de 6.546.365 habitants, soit le tiers des 20 millions de Camerounais et répartis de la manière suivante: - Adamaoua: 1.015.622 habitants - Extrême-Nord: 3.480.414 habitants; - Nord : 2.050.229 habitants. A elles seules ces trois régions du Grand Nord ont donné 1.610.997 suffrages valablement exprimés à Paul Biya sur un total de 3.761.928 soit environ 42% des suffrages valablement exprimés. L’Ouest avait donné 329.246 suffrages valablement exprimés à Paul Biya, environ 25% de ce que le Grand Nord lui avait donné. Encore que dans ce résultat, il faut enlever le Noun qui avait donné à Biya 48.552 voix. En faisant la soustraction, l’Ouest bamiléké a donné à Paul Biya rien que 280.694 voix. Bien entendu, il faut le reconnaître certains Bamiléké du Moungo, du Wouri dans la région du Littoral, du Mfoundi dans la région du Centre, ont voté pour Paul Biya mais combien étaient-ils ? Sur le plan purement démographique, la région de l’Ouest pesait 1.785.285 habitants en 2010 en tenant compte que le département du Noun a à lui seul compte 455.083 habitants en 2010. Ce qui réduit la population bamiléké à 1.350.000 âmes compensée par l’importante diaspora de cette communauté dans les départements du Moungo, du Wouri et du Mfoundi.


La volonté politique

En faisant une analyse fine, les régions du Centre et de l’Ouest ne pourront pas faire élire un candidat du Rdpc à l’heure actuelle ou en 2018 comme le duo Grand Nord – Centre qui a donné à Paul Biya 2.303.103 suffrages valablement exprimés contre le duo Centre-Ouest qui ne lui a donné que 1.021.352 voix. Même en ajoutant les 250.860 voix du Sud natal de Paul Biya, ça ne fait pas le compte. C’est ici que la volonté politique pourrait entrer en jeu en 2018. En effet pour qu’un candidat du Rdpc gagne en 2018, il faudrait que les Bamiléké des quatre coins du Cameroun votent massivement au cas où l’alliance Biya-Grand Nord ou Sud-Grand Nord serait cassée. Et cela n’est possible que si le Rdpc présente un candidat bamiléké. Si le candidat est bamiléké, est-ce que les autres régions du pays vont le voter en respectant la discipline du parti? ça n’est pas évident. Les Bamiléké veulent le pouvoir et ont déjà mis en marche des stratégies savantes et bien huilées pour le conquérir par tous les moyens.

C’est donc une équation très difficile à résoudre pour Paul Biya et son parti. Pour gagner les Bamiléké sa cause, il a nommé un de ses fils au poste très stratégique de Secrétaire général du Rdpc et un autre Emmanuel Nganou Djoumessi au ministère de l’Economie et du Plan. Est-ce que l’Ouest va mordre à cet appel? Ce n’est pas sûr.


Le Cameroun se fera avec le Grand Nord ou ne se fera pas?

Le Grand Nord est donc incontournable dans la succession de Paul Biya et il le sait très bien. Qu’est-ce qui nous dit que demain en homme politique retors qu’il est de déclarer à Garoua, Maroua ou Ngaoundéré au cours d’une tournée: «Le Cameroun se fera avec le Grand Nord ou ne se fera pas?» Comme il l’avait fait en 1992 avec l’Ouest.

Le Grand Nord est incontournable quand on jette un coup d’œil sur les suffrages exprimés en faveur de Paul Biya lors du scrutin présidentiel du 9 octobre 2011. Dans les dix premiers départements, le Grand Nord aligne sept départements. (Voir doc 2). Le premier département bamiléké les Bamboutos n’apparaît qu’à la 18e place avec 67.470 suffrages en faveur de Paul Biya. Et son département d’origine le Dja et Lobo n’apparaît qu’à la 10e place. Même comme Amadou Ali le vice-Premier ministre en charge des Relations avec les Assemblées avait déclaré que le Grand Nord ne peut pas s’allier avec les Bamiléké, qui sait ce que la politique nous réserve d’ici à 2018 ou bien avant? Oui, en politique on n’est jamais sûr de quelque chose, les choses bougent tellement vite, parfois dans un sens contraire au bon sens, à la raison qu’il faut croiser les doigts et attendre. Ce d’autant plus qu’avec l’arrestation de Marafa Hamidou Yaya ancien ministre d’Etat de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, la situation va se compliquer davantage.


Gouvernement du 30 juin 2009

*Secrétaire général-adjoint des services du Premier ministre: Emmanuel Nganou Djoumessi

*Vice-Premier ministre chargé de l’Agriculture et du Développement rural: Jean Nkuete

*Développement Urbain et Habitat: Clobert Tchatat

*Energie et Eau: Michael Tomdio Ngako

*Recherche scientifique et Innovation: Madeleine Tchuente

*Ministre délégué à la Justice et Grade des Sceaux: Maurice Kamto

Le Secrétaire d’Etat aux Transports de ce gouvernement Mefiro Oumarou n’est pas Bamiléké mais Bamoun.

Gouvernement du 9 décembre 2012

Economie, Planification et Développement: Emmanuel Nganou Djoumessi

-Recherche scientifique et Innovation: Madeleine Tchuinté

-Développement urbain et Habitat: Jean Claude Mbwentchou

-Ministre délégué auprès du vice-Premier ministre chargé de la Justice: Jean Pierre Fogui

Le Bamoun Mefiro Oumarou est toujours secrétaire d’Etat aux Transports.

Dans les autres postes non ministériels, l’Ouest est bien représentée.

*Adolphe Lele Lafrique est gouverneur de la Région du Nord-Ouest

*Adrien Kouambo est ambassadeur en Afrique du Sud.

*Pierre Samobo est général

*Michel Tommo Monthé est le représentant permanent du Cameroun à l’Onu (New York)

*Michael Ngako Tomdji est le directeur général de l’Office national des zones franches industrielles (Onazfi)

*Christophe Eken est président de la Chambre de commerce (Ccima)

*André Tientcheu est secrétaire général de l’Université de Ngaoundéré

*Pierre Njiné Djonkam est général.

*Luc Sindjoun est conseiller spécial du président de la République

*Richard Maga est Dga de Camtel

*Emmanuel Kamdem est directeur de l’Essec

*Augustin Simo est directeur général de l’Anrp

*Mambou Deffo et Hector Tsemo sont généraux

*Pierre Mouafo est Dg de l’hôtel Mont Fébé

*L’Ancien ministre Maurice Tchuente est Pca de l’Université de Buea

*Calvin Foinding est l’un des vice-présidents de l’Assemblée nationale

*Jean Nkuete est secrétaire général du Comité central du Rdpc

*Anaclet Fomethé est recteur de l’université de Dschang

*Joseph Mbafou est ambassadeur en Algérie

*Joseph Tedou est Dg de l‘Institut national des statistiques (Ins)

*Maurice Nkam est Dg du Chu

*Robert Nyonse, Dga de la Semry

*Jean-Marie Dongo, directeur de l’Ecole nationale supérieure des Postes et télécommunications (Enspt)

*Lisette Ngatchou est Dga de la Cnps

*Francis Kemgni Weté est Dga de la Crtv

*Francis Tapounou est Dga de l’Arsel

*Faustin Clovis Noudjio est Dga de la Société immobilière du Cameroun (Sic)

*Lucien Nana Yomba est Dga de Campost

*Laurent Nya Finké est Sg de la Cour suprême


01/09/2012
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