Allemagne, Félix Kama : Les camerounais d’Allemagne travaillent au « Famla »

Marabout:camer.beNote de l’auteur : cher lecteur, une interdiction cardinale: au vu des statistiques des compatriotes décédés, toute accusation de tribalisme eu égard à la sphère culturelle d’origine du famla serait de votre part un saut périlleux que vous pourriez regretter au terme de la lecture de cette réflexion. D’accord ? Bon, on y va. C’est malheureusement la mort (encore !) d’un compatriote à Karlsruhe qui m’inspire cette macabre réflexion. Pour éviter toute polémique, il y a 2-3 vérités qu’il faut avoir l’honnêteté de dire :

D’abord, les hommes sont mortels, quelle que soit la latitude ou la longitude. Or les Camerounais étant des hommes, donc les camerounais sont mortels. Aristote et la syllogistique vous saluent bien.

Ensuite, la population d’immigrés camerounais en Allemagne est de plus en plus grande. Donc la probabilité de mortalité dans notre communauté est de facto en hausse.

Enfin, aucune statistique ne prouve que parmi toutes les communautés des étrangers vivants dans le pays de Hitler, les camerounais sont les plus prompts à aller à « ndong bivól la gouffre du silence».

Conclusion rapide : faut pas battre le tam-tam funèbre de sinistrose contre un supposé épiphénomène de mort récurrente de Camerounais.

Cela étant, je m’en voudrais de ne pas savoir que chez nous là-bas d’où nous venons (et où nous repartirons grâce aux cotisations de la communauté pour rapatrier le corps au pays), même la mort d’un Mathusalem n’est pas naturelle. Le cancer, le sida, l’accident de circulation ou l’autre accident à la mode-là, heuuu l’ACV ? Ah mouf ! ça c’est pour les Blancs. On sait qu’ « on t’a mangé au village et on est parti camoufler ça derrière la maladie ». D’abord, le dernier cité même est une maladie qui a tous les noms possibles : tantôt ACV (accident cardio vasculaire), tantôt AVC (accident vasculaire cérébral), tantôt infarctus du myocarde, akaa, nous, au village on a décidé d’appeler la sale bête l’arrêt cardiaque.

Ce que par contre les statistiques prouvent, c'est que la population camerounaise en Allemagne est composée en majeure partie des étudiants et de jeunes travailleurs. Elle est extrêmement jeune, particulièrement dynamique et intelligente. La preuve : presque tous sont des ingénieurs. Si on faisait les statistiques des personnes retraitées d'origine camerounaise (67

ans en Allemagne), on atteindrait certainement des scores de 0,00 quelque chose pour cent. Je peux donc, au vu de cela conclure qu'il y a une forte mortalité de la population... juvénile camerounaise au pays de Goethe ! Voilà alors où mon cœur me dit qu'il y a quelque chose d'anormal. Là, mes racines bantoues phagocytent le syllogisme aristotélicien, étranglent la cartésianisme de Descartes et rendent même absurdes les thèses de l'évolution des espèces du menteur Charles Darwin. Car, si l'homme descendait du singe, il y a des siècles que la race des primates aurait disparu, tous les singes étant devenus des humains. Un enfant du cours moyen 2 comprendrait cela. A moins que les humains n'accoucheraient en secret des singes pour perpétuer leur race d'origine par nostalgie... Vraiment, si ce pithécanthrope au cerveau hypertrophié avait vécu dans notre siècle, je lui aurais décerné le prix no bell (en anglais) de cacahuètes. mais ne nous égarons pas. Revenons à nos moutons, heuu à nos morts.

Dans le rituel des cérémonies du deuil chez les peuples Bantou, il y a le « nsili awú », séance très dure de questions qui visent plus à déterminer la main criminelle que les causes du décès. La vie du « défunté » est passée au crible des investigateurs plus soupçonneux que ceux de la CIA, du FBI, du MOSSAD et du père feu Mfochivé réunis. Au cas rarissime où on ne trouve pas de coupable, on doit pouvoir conclure que c'est toi-même qui as provoqué la mort ou bien que c'est la mort qui t'a provoqué.

Comme les camerounais d'Allemagne veulent cacher les causes de leurs décès anticipés, moi je vais selon la tradition vous révéler ce qui nous tue : c'est « nous-mêmes qui tuent nous-mêmes » you´ ba fe'a ? Les Bantou disent que le secret de la mort de l'antilope Sô se trouve caché sous sa patte. Le stress nous tue ici. Quand tu pars du Cameroun, tu crois que tu ne connais pas ce mot. Pourtant, il est enfoui dans tes bagages, dans les désidératas non formulés de ceux pour qui l'obtention de ton visa est synonyme d'assurance tous risques, de pension retraite. Tu es le messie, l'élu de Dieu. Il y a la peur d'échouer là-bas et son corollaire, le qu'en dira t-on ? Le stress est omniprésent dans les mises en garde de tes parents, dans les « pactes-d'adieux-ne-m'oublie-pas-on-va-se-marier » des petites ; il y a du stress dans le vol vers l'inconnu, le froid, la langue. Enfin, il y a le méga stress du remboursement de l'argent emprunté pour ta caution, et que tu dois rembourser le plus tôt possible dès ton arrivée en Allemagne. Tes parents l'ont promis juré chez l'usurier, dans la tontine, à la banque. Les garanties sont la croissance exponentielle des intérêts, les huissiers de justice et la prison. Et puis, il y a ton oncle Pa'a Ndjomo qui « a fait la valise »,

expression d'origine bafoussam qui en camerounisme signifie « l'avaliste » et en bon français, c'est ton oncle qui a avalisé le crédit qui t'a permis de partir au paradis en Occident.

C'est ainsi que le Tchiméni nouveau débarque à l'aéroport : montrez-moi où on peut « jobber » ici. Pendant les cours de langue, les conversations avec les camarades ne sont dignes d'intérêt que si on parle de job. Dativ, akkusativ et genitiv s'illustrent avec le verbe rembourser l'ag'gent. Dans les journaux, les 1ers mots allemands que Ngo Bekogo connaît sont « Putzstelle » tandis que son cousin de voyage Belinga connaît par cœur « Umzug ». Bouba est spécialiste des « Nachtschicht » et Angwafor « Türsteher ». Ekwalla est un DJ d'élite. Tous courent sous la neige sous le soleil en bavardant seuls : ma'a ca'cui... ma'a plan ! ma'a ca'cui... ma'a plan. Me trale ba di ke lo, a ke zin vrai djieu, n'impok'te comment, ngan' ! ça n'donn pas ! yieuuih, la fin du mois-ci est encore arrivée, je sais que je vais faire comment avec la tontine? Yieuch ! Les fêtes de Noël arrivent, je sais que ma mère va manger quoi ? Les rentrées approchent, est-ce que mes petits-frères vont aller à l'école ? Wèèèè ! Le taxi que j'ai laissé à mon peri-frère est en panne, il dit qu'on doit changer le moteur. Il faut envoyer quelque chose à l'huissier pour qu'il retarde jusqu’au mois prochain l'exécution de la saisie des biens de ton père. Wèèèkèèè ! Ton cousin ne veut pas rembourser le crédit que tu as pris à la banque ici pour le faire venir. Entre temps, tu as changé de statut en montant dans l'avion : tu as été promu au grade de chef de famille. Le 1er réflexe d'un camerounais normal qui débarque dans une ville où il est nouveau en Allemagne est de savoir où se trouvent les agences de transfert d'argent. Tu as cimenté ta place de titulaire dans les rangs à Western Union et tu possèdes la carte de Major à Moneygramm.

Bèbèla zamba mon frère, les Français eux-mêmes doivent en savoir sur le famla. Sinon, ils n'auraient pas inventé l'adage : partir, c'est mourir un peu. Le principe du famla consiste à mourir vraiment sans mourir vrai vrai et aller travailler jour et nuit dans un monde parallèle afin d'enrichir celui qui t'a tué, jusqu'à ce que ta vraie mort s'en suive là-bas. Monter donc dans l'avion pour un Camerounais, c'est mourir pour venir travailler au famla jour et nuit en Occident pour les tiens restés au pays, jusqu'à ce que mort s'en suive.

Ta part de stress du pays natal vient s'accoupler avec l'autre grand-frère qui t'attend en Allemagne : la langue de Goethe, les Ausländerbehörde, Arbeitsamt, Finanzamt, la Police, la recherche de chambre à louer, le racisme, les voisins, les préjugés, les bailleurs, l'hiver, la boîte aux lettres

bourrée de factures, les amendes, la culture de la ponctualité et l'hygiène et salubrité, l'éthique, les mœurs, la solitude, les bip du pays, les vieux et vieilles allemandes, le kongossa des autres camerounais, les nourritures synthétiques fades, mais bourrées d'hormones. Tu as emprunté des milliers, puis des centaines, ensuite des cinquantaines, et même des vingtaines jusqu'à des dizaines d'euro de gauche à droite dans la communauté. Tu as « bouffé le njangui ». Incapable de rembourser, tu as appris à dribbler tes créanciers kougna kougna en rasant les murs : sous-marin dans les « sissonghos »! Mon frère, le stress va me tuer dans ce pays. Parce que selon toi, tu n'es pas encore mort ? Aah mouf mi dé !

Cahin-caha, tu as quand-même pu terminer douloureusement tes études, in extremis après 11 semestres. Pourquoi dans le mot « semestres » on peut ressortir le mot stress ? Je demande moi seulement ooo ! Rester ? Rentrer ? Tes parents, tes amis et le fonctionnement des choses au pays t'envoient un sms clair : tu peux venir au pays en vacances nous « farotter », mais ne tente pas de rentrer définitivement. On va te tuer ici. Et pour couronner le tout, ta fiancée que tu es allé épouser au pays est venue t'abandonner en route pour se chercher elle-même ici. Si ce n'est pas le famla, on appelle ça quoi ?

Écrasé par le marteau de la famille africaine et écrabouillé par l'enclume de la vie en Occident, le Camerounais d'Allemagne travaille dans le famla alors qu'il se croit en liberté et vivant. Tu aides tes gens au pays, on te tue ; tu les ignores, on te tue également au famla, au kong ou au mgbèl. Tout ça pour un seul cœur !! Quelqu'un part dormir tranquillement sa part le soir, le matin il ne se réveille même plus. Parti continuer le famla dans l'au-delà. C'est ça qui se cache derrière la crise cardiaque.

* Famla signifie dans le jargon camerounais, cercle exotérique

© Correspondance : Félix Kama


15/12/2012
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