Alerte: Paul Biya maintient la main mise sur le futur Conseil constitutionnel

DOUALA - 15 NOV. 2012
© Rodrigue N. TONGUE | Le Messager

Le chef de l’Etat a transmis à l’Assemblée nationale, le 13 novembre 2012, un projet de loi visant à adapter la loi portant fonctionnement du « Conseil des sages de la République » à la modification constitutionnelle de 2008. Laquelle modification inféodait déjà le Conseil constitutionnel au pouvoir exécutif et limitait le champ de liberté de ses membres.

Le débat est vieux de 4 ans déjà. Mais alors que la classe politique l’avait quelque peu relégué au second plan, le président de la République l’a ranimé. Paul Biya redit à la nation toute entière sa volonté de placer le Conseil constitutionnel sous sa coupe. Comme il l’avait déjà clairement indiqué en 2008 au moment de la modification constitutionnelle, le président est revenu à la charge en invitant les députés aux toilettages de la loi d’avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel. Le chef de l’Etat réitère que les mandats des membres dudit Conseil sont renouvelables. Alors même qu’à l’origine –de par la constitution de 1996- ces mandats ne l’étaient pas. Ce qui du point de vue juridico-politique garantissait l’indépendance des personnalités chargées de statuer sur la constitutionalité des lois ou de proclamer les résultats des élections. Car comme le suggère Gérard Amougou, chercheur en sciences politiques, « un conseiller qui sait qu’il ne court pas après un autre mandat agit plus librement que celui qui attend qu’éventuellement que son donneur d’ordre le gratifie d’un nouveau mandat avec les avantages joints »

Bien plus, la loi fondamentale prévoyait initialement (en 1996) que les « sages » sont inamovibles. Et donc que leurs mandats ne pouvaient être ni révoqués ni renouvelés. Seulement, depuis les modifications de 2008, la mention « leurs mandats ne peuvent être ni révoqués ni renouvelés » a été rayée par le législateur. Alors que la loi de 2004, antérieure à la modification constitutionnelle de 2008 intègre encore cette mention là. Si le texte de loi portant modification de la loi de 2004 est adopté telle quelle, la Constitution et la loi portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel sont désormais en harmonie. Sur le plan purement juridique toujours, le texte qui sera ainsi toiletté en ses articles 9, 7 et 22 ; porte sur des choses déjà dites. A l’instar de la durée du mandat des conseillers qui passe de 9 ans à 6 ans et le remplacement des membres démissionnaires exclus ou décédés.


Exclusion

Mais vu sous le prisme politique, ce « bis repetita» du Prince affiche aux yeux du monde la volonté de Paul Biya de « garder la main » sur l’organe sensé être le plus indépendant de la République. Car sur simple demande du ministre de la Justice, les 11 membres du Conseil constitutionnel peuvent décider « à la majorité simple » de l’exclusion d’un de leur pair. Puisque comme le dispose l’article 10, « Sauf cas de flagrant délit ou de condamnation définitive, aucune mesure d'arrestation ou de détention d'un membre ne peut intervenir sans autorisation du Conseil constitutionnel. Mais dans les cas autres que ceux visés à l'alinéa ci-dessus, le ministre chargé de la Justice saisit le président du Conseil Constitutionnel dans les meilleurs délais. » Mais la loi n’est pas explicite sur ces « cas autres que ceux visés ». Ce qui laisse une marge de manœuvre importante à l’Exécutif qu’incarne le président de la République, s’il voulait avoir la tête d’un « sage » un peu « récalcitrant ».

Le socio-politiste Mathias Eric Owona Nguini ne se fait pas d’illusion. « Si les motifs et les procédures d’exclusion ou d’interpellation d’un conseiller ne sont pas clairement définis, cela est très problématique », commente-t-il. Quant à Jean Michel Nintcheu, un des députés du Wouri, il se dit chagriné que le président réitère un vœu antidémocratique au moment où une partie importante de la classe politique revendique le toilettage du code électoral. De même qu’il questionne, le timing et l’opportunité politique de ce dépôt de texte. De nombreux autres commentateurs politiques expliquent cette autre sortie du président de la République par son dessein de mettre bientôt sur pied le Conseil constitutionnel. Mais qu’avant d’y arriver, Paul Biya s’est souvenu qu’une pièce du puzzle (la loi de 2004) est inadaptée à l’architecture juridique nécessaire pour se tailler un Conseil constitutionnel sur mesure.



15/11/2012
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