Alain Fogué Tedom: "La démission de Maurice Kamto va accélérer la guerre de succession"

YAOUNDE - 30 JAN. 2012
© Georges Alain Boyomo | Mutations

La démission du Pr Kamto pourrait avoir un certain effet sur le septennat d'abord parce que c'est le septennat de trop pour un régime qui depuis 30 ans est incapable de garantir aux populations le minimum de confort.

Le politologue décrypte l’acte de démission des ministres au Cameroun.


Qu'est ce qui peut réellement pousser un ministre à démissionner dans une société camerounaise ou le poste ministériel est considéré comme un couronnement, une manne du ciel?

La démission d'un ministre est effectivement un évènement exceptionnel dans l'histoire de notre pays. Elle peut être le résultat d'une démarche politique ou plutôt relever de considération personnelle. Si elle est politique, elle exprime un désaccord entre le démissionnaire et le système gouvernant. En clair, le ministre qui démissionne dans ce contexte ne souhaite plus assumer la responsabilité historique d'une politique qui est contraire à ses vues.


En dehors de Garga Haman Adji, Titus Edzoa et Maurice Kamto, peu de ministres ont démissionné sous le Renouveau, qu'est ce qui peut expliquer cela?

Le système de gouvernement qui caractérise le régime en place ne favorise pas de tels actes. En effet, le niveau de compromission de ceux qui sont aux affaires est élevé que le pouvoir détient un important levier de dissuasion contre tous ceux de ses grands serviteurs qui seraient tentés par l'acte de démission qu'il considère d'ailleurs comme un acte de défiance et par conséquent, le traite de façon impitoyable. La nature peu démocratique du système le conduit à assimiler la démission à la trahison. Si donc les démissions sont rares c'est parce que les potentiels candidats redoutent les foudres du pouvoir.


Comment jugez-vous les trajectoires politiques des ministres qui ont démissionné sous le Renouveau?

Généralement, les ministres qui ont osé démissionner ont, à défaut de subir des ennuis judiciaires que le pouvoir s'est efforcé à cantonner à leur gestion passée, été victime d'ostracisme. On les peint en pestiférés ou alors on s'acharne à violer leurs libertés politiques. Dans l'ensemble, ces démissionnaires fustigent des tares du Renouveau.


Pensez-vous que leur démission a changé quelque chose dans la manière d'agir du régime en place?

Les démissions n'ont pas jusqu'ici changé la marche du pays. L'explication tient au fait que très souvent, les démissionnaires ont souffert des manœuvres d'intimidation du pouvoir ou alors n'ont pas su capitaliser l'aura né de leur démission.


Parlant de la démission de Maurice Kamto, qui annonce ses ambitions politiques, comment cela peut-elle peser sur la suite du septennat actuel?

La démission du Pr Kamto pourrait avoir un certain effet sur le septennat d'abord parce que c'est le septennat de trop pour un régime qui depuis 30 ans est incapable de garantir aux populations le minimum de confort. Ensuite, parce que le Pr Kamto, après avoir souligné les tares du système gouvernant ne fait pas mystère des ses propres ambitions politiques. Il semble clair que celui - ci est déjà engagé pour la course à la succession du président Biya dont l'art de gouverner se résume malheureusement à couper les têtes de ceux de ses serviteurs qui nourrissent l'ambition de prendre sa relève. L'acte de Maurice Kamto va certainement accroître les trépignements dans les rangs de ces nombreux serviteurs qui brûlent d'envie de se positionner dès à présent pour la course à la succession. L'impatience va en effet gagner ceux là, nombreux, qui secrètement rêvent de battre leurs concurrents à l'arrivée de la course de 2018. L'accueil plutôt favorable de l'adresse de Maurice Kamto dans l'opinion, peut aussi mettre le régime sous pression, lui qui a l'habitude d'agir comme s'il était maître du temps.

Propos recueillis par G.A.B



Gouvernement: Que sont devenus les ministres démissionnaires sous Paul Biya ?

Dans l’imagerie populaire camerounaise, être ministre est considéré comme une véritable «grâce», un «geste de magnanimité» que le chef de l’Etat accorde à des personnalités triées sur le volet. Dès lors, accéder à ce poste juteux est perçu comme un exploit, en démissionner un scandale.

Mutations explore dans le présent dossier les circonstances, les discours de démission et les trajectoires des ministres qui se sont retirés du gouvernement sous le Renouveau. Une enquête de Georges Alain Boyomo.

La liste n’est pas longue, mais elle ne témoigne pas moins du paradoxe qu’est devenu le régime de Renouveau incarné le président de la République, Paul Biya. En effet, depuis 1982, en dépit de récriminations proférées par certains ministres sous cape contre le système en place et la tendance manifeste du chef de l’Etat de nommer et de dénommer les membres du gouvernement à une fréquence et en fonction de critères dont lui seul maîtrise le secret, seulement trois ministres ont déjà pris leur courage à deux mains, puisqu’il faut l’écrire ainsi, pour se retirer du gouvernement.

L’Histoire retiendra que Garga Haman Adji, alors ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative est le premier à poser un tel acte de «bravoure». 27 août 1992. Le Cameroun est en attente de la première élection présidentielle depuis le retour au multipartisme. Après avoir «asphyxié» le pays à travers l’opération «villes mortes», dont le pouvoir n’obtiendra la levée qu’après l’organisation de la rencontre tripartite, l’opposition gagne du terrain dans le cœur des Camerounais, face à un régime qui s’accroche désespérément. C’est cette date que Garga Haman Adji, haut fonctionnaire réputé intègre et doté d’une expérience administrative plutôt fournie, dans la préfectorale, au sein de la Sureté nationale et dans le monde de la finance décide de la claquer la porte. Certains analystes, proches du pouvoir, brandiront que ce peuhl né le 24 janvier 1944 à Maroua, convaincu de ce que Ni John Fru Ndi, le chairman du Social democratic front (qui est devenu une véritable coqueluche à travers le pays avec son poing levé), allait vaincre Paul Biya lors de l’élection présidentielle d’octobre 1992. A cet égard, il aurait, d’après ces analystes, pris langue avec le candidat Fru Ndi afin d’intégrer son équipe après la victoire et ainsi continuer à traquer les baleines, ce d’autant plus que le pouvoir en place venait de lui retirer le Contrôle supérieur de l’Etat auquel il tenait particulièrement.Sur sa page Facebook, mais également dans ses certains des ouvrages qu’il a déjà publiés, Garga Haman Adji prend le contre-pied de ses allégations. «…Traqueur des réseaux et des techniques de corruption, adepte invétéré du culte du travail bien fait, il se distingue tout au long de sa carrière par son esprit pétillant d'initiatives, son sens élevé de l'Etat et sa probité sans faille, toutes choses qui font de lui l'une des figures emblématiques de sa génération. Homme public et du public, homme de caractère et de conviction, le ministre Garga Haman Adji s'illustrera au sein du gouvernement camerounais par ses positions responsables, ses décisions intrépides et sa lucidité visionnaire. Ses idées souvent en avance, jamais publiquement ni intelligemment combattues, ne sont parfois acceptées qu'avec retard.

Ulcéré par les pesanteurs absurdes de l'administration, Garga Haman Adji a cru devoir tirer doublement la sonnette d'alarme, dans le but de secouer cet appareil d'Etat somnolant et statique en remettant au président de la République sa démission du gouvernement le 27 août 1992».Celle lecture des faits est globalement partagé par le dictionnaire en ligne Wikipedia, dans la page consacrée à Garga Haman Adji : «Dans le gouvernement, Garga a travaillé pour combattre la corruption. En tant que chef de l'Audit suprême d'Etat, il a indiqué que plusieurs hauts fonctionnaires devait au total de 357 millions de Fcfa les fonds manquants, identifiant 42 d'entre eux qui étaient présumés ont volé un million de francs CFA ou plus. Garga a fait valoir que les hauts fonctionnaires devraient être mis en procès pour démontrer que la corruption ne serait pas tolérée, mais aucune mesure n'a été prise contre eux. Le portefeuille ministériel Garga a ensuite été modifié le 9 avril 1992, quand il a été nommé ministre de la Fonction publique et réforme administrative. Il a donc perdu son autorité sur l'Audit suprême de l'État. Selon Garga, Biya n'a pas expliqué au Garga pourquoi il avait modifié les responsabilités de Garga, mais Garga a estimé qu'il a été fait parce Biya et ceux autour de lui désapprouvé position intransigeante Garga contre la corruption. Frustré par la situation et le sentiment que Paul Biya n'avait pas confiance en lui, Garga a démissionné du gouvernement sur __le 27 août 1992. Il a nié qu'il était persuadé de démissionner en chef de l'opposition John Fru Ndi, mais il a fait campagne en faveur de la candidature de Fru Ndi lors de l’élection présidentielle de 1992».


Limogeage

Après sa démission du gouvernement, Garga Haman essuiera quelques foudres du régime. C’est ainsi qu’en mai 1996, invité dans Les Heures fugaces, une émission de débat sur la radio la chaîne urbaine Crtv Fm 94, pour une discussion sur la mort de Ahmadou Ahidjo, il ne pourra dire sa part de vérité, car l’édition querellée de ce programme sera censurée ; «en raison de documents incomplets» selon la direction de Fm 94. Ce qui ne l’empêchera pas en 1997 de dénoncer les fraudes et irrégularités ayant terni l’élection présidentielle. Sous la bannière de l’Alliance pour la démocratie et le développement (Add), formation politique qu’il fonde en 1992, il défie Paul Biya lors du scrutin de cette année là, mais la moisson sera bien maigre. En effet, Garga Haman Adji n’obtiendra 3,7% des voix à l'élection présidentielle et pointera au 4e rang. En 2011, la seconde tentative d’être khalife à la place du khalife se soldera par autre échec. Le «chasseur de baleines» se classe 3e avec un score de 3,21%. L’ancien ministre précise cependant qu’en dehors de la présidentielle, il ne sera jamais candidat à une autre consultation électorale : «On ne descend pas d’un cheval pour monter sur un arbre», clame-t-il.Malgré la «séparation inattendue» de 1992, Paul Biya a du reste nommé Garga Haman Adji le 15 mars 2007 membre de la Commission nationale anti-corruption (Conac). Après quelques saillies jugées «indigestes» sur le travail au sein de cet organe, le patron de l’Ong Bonne Conscience a conduit quelques travaux d’enquête sur le terrain pour cette Commission, le plus célèbre étant celui sur le chantier de la route Ayos-Bonis.

Si Garga Haman Adji continue de jouir de sa liberté de déplacement et d’expression, ce n’est pas le cas de Titus Edzoa, autre ministre démissionnaire sous le Renouveau. Secrétaire général de la présidence de la République de juillet 1993 à septembre 1996, l’ancien médecin personnel de Paul Biya créé la sensation sur la scène politique camerounaise le 20 avril 1997 en démissionnant de ses fonctions de ministre de la Santé publique, après moins d’un an à la tête de ce département ministériel. Le chirurgien agrégé de médecine, expliquent des sources introduites, n’aurait pas du tout apprécié, que son ancien «patient», l’éjecte du fauteuil de Sgpr (il a appris son limogeage de ce poste alors qu’il se trouvait en Europe) pour lui confier les rênes du ministère de la Santé publique.

De retour de la Baule en France le 20 avril 1997, il annonce sa démission du gouvernement, 8 mois après son départ de la Présidence et après 14 ans d’amitié avec Paul Biya. Plus important, il se porte candidat à l’élection présidentielle, fort de son diagnostic faisant état de la «faillite» du régime. La démission de Titus Edzoa fera davantage trembler l’establishment que quelques jours auparavant, Victor Ayissi Mvodo, collègue et «rival» de Paul Biya sous Ahidjo, avait s’est déclaré candidat au même scrutin. Le «front beti» s’en tirait ainsi fissuré, ce d’autant plus que Titus Edzoa entreprendra un rapprochement avec Ayissi Mvodo (qui décédera avant l’élection) et … Ni John Fru Ndi.Danger dans le camp présidentiel qui réagit tout de suite en assignant l’ancien Sgpr à résidence surveillée. Deux semaines après sa démission, Titus Edzoa est interpellé en dépit de la création et la mobilisation d’un mouvement de libération du citoyen Edzoa conduit par l’écrivain Mongo Béti (aujourd’hui décédé), le pouvoir est inflexible. L’ancien ministre de l’Enseignement supérieur sera plus tard inculpé et condamné à 15 ans de prison pour corruption, détournement des fonds publics et trafic d’influence.

Avec Michel Thierry Atangana, son homme de main, Titus Edzoa est incarcéré au Secrétariat d’Etat à la Défense depuis 15 ans. Son procès vole de reports en reports, se complexifiant un peu plus à chaque audience. L’ancien Sgpr, à défaut de demander la grâce présidentielle, semble curieusement s’abriter derrière le «droit de réserve» pour ne plus éclabousser le président Biya.Démissionnaire du gouvernement le 30 novembre 2011, le ministre délégué auprès du vice-Premier ministre en charge de la Justice, Maurice Kamto est «rentré dans l’histoire». Sa démission est intervenue dans un contexte post-élection présidentielle alors que le peuple camerounais attendait un remaniement ministériel. « «J’ai l’honneur de porter à la connaissance du peuple camerounais ma décision de me retirer de mes fonctions de ministre délégué auprès du ministre de la Justice, à compter de ce jour, 30 novembre 2011. Cette décision n’est pas –et ne saurait en aucune manière être interprétée comme- une remise en cause de l’issue de l’élection présidentielle du 09 novembre 2011 [lire 09 octobre 2011, ndlr] à laquelle je n’étais du reste pas candidat. J’entends continuer, autrement, à apporter ma modeste contribution à l’œuvre exigeante, mais combien exaltante d’édification de l’avenir de notre cher et beau pays, le Cameroun, dans la paix et l’attachement aux valeurs et principes républicains», écrivait l’auteur de «L’urgence de la pensée»… au peuple camerounais.





30/01/2012
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