Afrique: Qu’avons-nous appris du vent révolutionnaire d’Afrique du Nord ?

Afrique: Qu’avons-nous appris du vent révolutionnaire d’Afrique du Nord ?

Amougou Thierry:Camer.be2011 restera une année politique extraordinaire pour certains peuples du monde arabe. Les révolutions tunisienne et égyptienne sont des cas d’école en la matière et devraient, au-delà des luttes partisanes intra africaines, nous donner des enseignements sur la nature des dictatures, la dynamique de leurs soutiens extérieurs quand l’histoire se déchaîne, le cocktail déclencheur des révoltes, et le rôle des NTIC dans les luttes de libération au 21ème siècle.Un peuple qui se soulève en masse transforme les soutiens externes de la dictature en forces alliées pour le changement

Les révolutions tunisienne et égyptienne ont ceci de positif qu’elles redonnent de l’espoir aux peuples africains en démontrant l’extrême fragilité des régimes iniques et dictatoriaux qu’on pensait intouchables. Ces révolutions mettent aussi en évidence le fait que les soutiens externes aux dictatures sont légion quand tout va bien, mais fondent comme neige au soleil une fois que le peuple se lève en masse pour dénoncer le caractère infréquentable du régime qui l’asservit depuis longtemps. Dès lors, la dictature fait face à deux adversaires dont « l’effet ciseau » a asymptotiquement raison d’elle : un ennemi interne qu’est son propre peuple « esclavagisé », et un ennemi externe constitué des soutiens externes qui se désolidarisent une fois que le dictateur devient un boulet pour eux. Ben Ali, Hosni Moubarak et Kadhafi ont été pris en tenailles par ces deux dynamiques et n’ont rien pu faire malgré leurs milliards en banque. Les anciens soutiens externes d’hier s’alignent du côté du peuple par purs intérêts machiavéliques, étant donné qu’ils veulent préserver de bons rapports avec le pays et ses nouvelles forces vives. Cette dynamique montre, tant toute la vanité et la malléabilité des soutiens extérieurs si le peuple se soulève en masse, que la bêtise du dictateur qui pense que les pays développés le soutiennent moins par intérêts que par amour.

Chaque dictateur encore en place pense toujours que ça n’arrive qu’aux autres

Si nous faisons une petite lecture rétro-prospective, il apparaît que chaque dictateur pense toujours que son congénère chassé par la rue l’a été parce qu’il ne s’est pas bien organisé comme lui. Mobutu s’est convaincu que c’en était fini de son pouvoir uniquement  lorsque Laurent Désiré Kabila était à quelques kilomètres de Kinshasa. Ben Ali en prenant l’avion comptait mettre sa famille à l’abri et revenir prendre son poste. Sans doute qu’Hosni Moubarak se demandait comment Ben Ali pouvait se faire avoir comme un néophyte jusqu’à ce qu’il se rende compte que le peuple ne fait jamais dans la dentelle quand il décide de prendre son destin en main. Les armées sont obligées de s’aligner car tuer des citoyens ne devient qu’un combustible qui ravive la révolte et sa radicalisation. Moralité, de nombreux dictateurs encore en poste en Afrique Noire vivent toujours dans l’illusion d’invincibilité et de toute puissance qu’avaient encore des Mobutu, Ben Ali, Hosni Moubarak et Kadhafi alors que le glas de leur parcours avait sonné. En conséquence, si le changement n’est pas anticipé quand il faut à la tête de l’Etat parce qu’on veut s’y éterniser, il est déjà toujours trop tard lorsque le peuple se réveille car on ne peut que le subir.

La longue durée des dictatures peut se mettre fin en très courte durée

La dictature et le temps constituent un couple ami/ennemi. Le principal ennemi des dictatures est leur longue durée au pouvoir. Celle-ci fait que les uns et les autres perdent le sens des réalités et pensent être nés pour être Président et les autres citoyens, des moutons qu’on mène aux enclos à son rythme et selon ses choix. Avoir le pouvoir et donner des ordres aux autres devient tellement une habitude que cela devient une seconde nature. Cependant, alors que les dictateurs se plaisent dans une fonction présidentielle qu’ils prennent soin de privatiser toute la vie, le peuple lui ronge son frein. Le temps vécu du dictateur dans l’amour du pouvoir est un temps subi par la majeure partie de son peuple dans la souffrance de la carence. La logique implacable ici est que le temps qui permet au dictateur de jouir de la détention du pouvoir est le même qui sédimente les paramètres favorables à sa fin.

Les révolutions tunisienne et égyptienne prouvent l’extrême puissance d’une révolution populaire en ce sens qu’elles contractent, non seulement l’espace de la dictature en choisissant des places symboliques pour la contester, mais aussi, le temps de la dictature en faisant chuter celles-ci en un temps record : le pouvoir en longue durée de la dictature est donc annulé et anéanti en très courte durée par le pouvoir du peuple. Le peuple est ainsi une force de réaction rapide qui se transforme en « une arme de destruction massive » des dictatures.  En voici des preuves statistiques tirées de l’histoire immédiate :

- il a fallu 23 ans à Ben Ali pour construire sa dictature, mais seulement 1 mois au peuple tunisien pour y mettre fin définitivement ;

- il a fallu 30 ans à Hosni Moubarak pour diriger l’Egypte d’une main de fer, mais seulement 18 jours au peuple égyptien pour le mettre à genou ;

- il a fallu 42 ans à Kadhafi pour instaurer « la grande Jamahiriya libyenne populaire socialiste », autre nom de sa dictature, mais seulement  deux semaines au peuple libyen pour qu’il ne contrôle plus que Tripoli et son bunker. Le fait que nous puissions avoir des réserves sur l’intervention de la coalition en Libye n’enlève rien au fait que Kadhafi est un affreux criminel que toute âme éprise de liberté devrait combattre.

Par conséquent, la révolte populaire est un véritable tsunami social qui contracte le temps et l’espace des dictatures et les asphyxie avec une célérité inouïe. Les fondations des dictatures sont donc peu profondes et peu solides parce que basées sur l’exploitation et l’injustice du plus grand nombre. Ce dernier devient une énorme force politique ravageuse une fois qu’elle est mise en branle.

Un cocktail mobilisateur et déclencheur de la révolte existe

Les cas tunisien et égyptien sont aussi les preuves par neuf qu’un certain cocktail est nécessaire pour mettre le feu aux poudres grâce au caractère mobilisateur du désespoir. Le malheur a besoin de compagnie mais les peuples en souffrance refusent celle des dictatures, causes de leur malheur. Ceci étant, de la chute de Ben Ali et d’Hosni Moubarak, surgit un cocktail mangeur de dictatures et de dictateurs. Il est constitué, grosso modo, de quatre éléments qui sont autant de mèches allumées.

Ce sont :

- la très longue durée de la dictature et le ras le bol en latence depuis longtemps au sein de la population ;

- l’étendue du prolétariat cognitif constitué de hauts diplômés sans emplois ;

- le chômage de masse des petites gens ;

- le coût rédhibitoire et la misère de la vie quotidienne ;

- L’organisation clanique du pouvoir en place qui construit automatiquement un clan des exclus à celui-ci.

Chose fondamentale, il faut un fort sentiment d’indignation pour que tout ceci fasse un mélange explosif. Ce n’est donc pas où tombe le dictateur qu’il faut chercher les causes de sa chute, mais à l’endroit où il a depuis longtemps trébuché. Chercher la cohésion sociétale au Cameroun ne doit pas se confondre à chercher ses clés sous le lampadaire comme un saoulard attiré par l’endroit où se trouve la lumière alors que ses clés sont tombées dans l’obscurité. Ben Ali et Hosni Moubarak ont négligé le long processus de flux et de reflux des rancœurs et des souffrances populaires dont leurs derniers jours au pouvoir n’ont été que l’apothéose. Le cocktail explosif dont je parle est le résultat de ce long processus que le pouvoir empêche à ceux qui l’ont depuis longtemps de percevoir, tellement ils sont dans leur bulle.

Pas de révolution sans prix à payer en vies humaines

Celui qui veut la liberté est bien obligé d’en payer le prix parfois très lourd en vies humaines. C’est l’autre message qui nous vient d’Egypte et de Tunisie. Bien sûr les pertes en vies humaines ont été réduites grâce à des armées responsables et ayant le sens de l’histoire, mais la perte d’un seul Tunisien, d’un seul Libyen ou d’un seul Egyptien est déjà énorme et atroce pour les familles. Ce sont les dictatures qui, jusqu’au bout, continuent à tuer en comptant ressusciter grâce à une politique anthropophage et cannibale. Maille leur en prend car le sang qui coule fertilise le sol des révolutions et devient un combustible pour ceux qui restent en vie. Plus le sang coule, plus le volcan populaire crache des larves qui balaient les dernières poutres de la dictature. Ceux qui meurent s’en vont effectivement dans le feu de l’action parce qu’ils ne veulent pas reculer et permettre à « la Bête politique » de continuer son travail d’esclavage en plein 21ème siècle. Ce sont des graines humaines qui vont sous terre pour que la révolution vive et triomphe. Comme le dit le philosophe, celui qui n’a pas encore trouvé ce pourquoi il peut se sacrifier ne mérite pas d’être en vie. La contre-révolution esquissée par les partisans de Moubarak n’a servi à rien face au courroux du peuple égyptien déterminé à périr ou à triompher du mal.

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont de puissants vecteurs d’une démocratie d’opinion et d’excellents supports à l’organisation citoyenne

Critiquer, dire sa colère, partager sa misère et s’organiser ont besoin de supports communicationnels. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont de ce fait devenues la bête noire des dictatures du monde. La démocratie d’opinion se porte bien et les services secrets n’ont aucun moyen pour interrompre Internet, Twitter, le matériel informatique, les téléphones portables, face book et bien d’autres canaux de communication qu’offrent la révolution cybernétique et la cyberdémocratie. Les peuples peuvent être mis en cage chez eux mais être complètement capables de s’organiser à distance grâce à ces outils du capitalisme moderne. Comme quoi, la mondialisation n’a pas que de mauvais côtés en faisant du monde « un grand village ». Les Africains peuvent donc combattre les dictatures de chez eux à distance en échappant ainsi à leurs basses polices qui ne tardent jamais à penser à l’élimination physique de ceux qui ne jouent pas au « griotisme » national consacré en gagne pain des esprits appauvris, clochardisées et contraints au vote censitaire.

NB: Certains intertitres sont de la rédaction de Camer.be.Il anime également un blog perso  thierryamougou.blogs.nouvelobs.com/

© Correspondance : Thierry AMOUGOU, Président de la Fondation Moumié


23/03/2011
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