Afrique : Les « biens mal acquis » sapent l’Etat de droit, les plaintes participent de son fondement

Afrique : Les « biens mal acquis » sapent l’Etat de droit, les plaintes participent de son fondement

Thierry Amougou:Camer.beEn tout temps, les dictatures partagent cette illusion puérile de se croire intouchables et éternelles. Sans doute parce qu’elles s’évertuent toutes leur vie à saper l’Etat de droit par l’instauration de la loi du plus fort. Et pourtant, rien ne reste identique au fil du temps. Tout naît, grandit, passe par un apogée puis vieillit et meurt un jour ou l’autre. Si la justice sociale, le progrès socioéconomique et la démocratie peuvent être des signes du souvenir positif d’un régime auprès des populations, les fondements iniques et macabres des dictatures, constituent les gènes de leur autodestruction. Les dictatures africaines sont en effet en train de découvrir qu’elles ont, dans leur mégalomanie, donné aux Africains les armes pour mieux les combattre. Ça s’appelle l’effet boomerang !

En faisant main basse sur les ressources de leurs pays, les clans « Bongo », « Obiang », « Sassou » et « Biya », pour ne citer qu’eux, croyaient mettre toutes les chances de leur côté pour opprimer et exploiter leur peuple jusqu’à la lie. Ils creusaient pourtant ainsi leur tombe car les biens acquis frauduleusement depuis des décennies, sont désormais les preuves tangibles de leur constante confusion entre leurs caisses personnelles et celles des Etats qu’ils dirigent.

Au moment où un arrêt autorise la poursuite en France d’une enquête sur les « biens mal acquis » par trois présidents africains (Congo Brazzaville, Gabon, Guinée Equatoriale), et que le dépôt d’une plainte de même nature contre Paul Biya fait perdre le sang froid aux mousquetaires du Renouveau National, la Fondation Moumié se fait un devoir d’affirmer haut et fort que les « biens mal acquis » sapent l’Etat de droit en Afrique quand les plaintes contre ceux qui en sont les détenteurs, participent de son fondement.

D’où sortent ces Présidents très très riches à la tête de pays pauvres et très endettés ?

Un des aspects qui fondent l’absence de l’Etat en Afrique est un paradoxe. Celui de trouver des hommes, des femmes et des clans très très riches dans des pays dits pauvres et très endettés. Si on peut exclure les hommes d’affaires qui parfois ont gagné honnêtement leur fortune, les Présidents africains et leurs clans qui roulent sur l’or lorsque les peules africains traînent « le cul par terre », entérinent qu’ils évoluent dans une zone de non droit et de passe droit. Si non, comment se fait-il qu’on trouve des ressources à gogo uniquement pour eux et leurs familles alors qu’il est de notoriété internationale que les pays africains sont pauvres et très endettés ? Comment certaines premières dames, sans héritage avant ce statut, deviennent des donatrices et des mécènes alors qu’en France, madame Chirac, elle aussi première dame, demande chaque année des pièces jaunes aux Français pour soutenir les maladies orphelines ? Nous connaissons tous ces fils de Présidents, ces cousins et cousines devenus de richissimes hommes et femmes d’affaires juste parce qu’ils appartiennent, soit à la généalogie proche de l’homme fort du pays, soit à son écurie politique. Ne sont-ce pas là des preuves d’une loi de la jungle à la place de celle de l’Etat de droit ?

La réponse à ces questions est simple : Jusqu’à preuve du contraire, devenir Président en Afrique Noire équivaut automatiquement à transformer l’Etat en un canal d’accumulation clanique au détriment des populations hors de son clan politico-familial. Etant donné qu’il serait évident que la rareté des ressources frappe tout le monde dans un pays pauvre et très endetté, il va sans dire que nos richissimes Présidents pillent les Etats qu’ils dirigent. Il n’est pas nouveau que la fortune de certains présidents africains soit supérieure à la dette extérieure de leurs pays. Interrogé l’an passé sur une première plainte contre lui, Sassou Nguésso, hautain comme à l’accoutumée, rétorquait à un journaliste français que les biens en question ne lui appartenaient pas mais aux membres de sa famille qui ont le doit d’avoir des comptes à l’étranger comme tout Congolais. Ce qui est curieux c’est que ce ne sont que des membres de sa famille qui, parmi le Congolais, peuvent avoir de tel niveau de ressources. Il en résulte la honte universelle que connaît le Continent Noir d’être celui qui vit une hécatombe de ses enfants sur les routes de l’immigration clandestine, quand les capitaux devant assurer le développement du Continent dorment dans les banques occidentales. Les plaintes qui sont déposées contre ces fossoyeurs des Etats africains, quelles que soient leurs sources et leurs motivations, contribuent à assurer la justice à tous ces Africains qui périssent dans une misère exécrable induite par des kleptocrates à la tète de nos Etats. Ce sont des recours à encourager car ils ont pour objectif noble de punir ces Princes qui endettent doublement l’Afrique Noire : dette en terme de déficit démocratique, et dette financière que supporteront seules les générations futures.

Néocolonianisme et souveraineté populaire à géométrie variable

Face à l’accumulation frauduleuse et illicite de biens qui revient sur eux comme un boomerang, ceux des Africains dont le pire est devenu une réalité quotidienne applaudissent, quand les profiteurs des pillages crient au crime de lèse majesté. Le procès de ces profiteurs et de leurs leaders au pouvoir est pourtant à la fois de malversations financières et de détournement du sens de la gestion collectives des ressources nationales. Alors montent au pupitre les mousquetaires des hommes forts qui, après avoir privatisé les Etats et le pouvoir judiciaire, veulent ballonner la vérité et ceux qui y concourent. Il apparaît illico un néocolonialisme et une souveraineté populaire à géométrie variable. En effet, alors qu’aucun Président africain ne parle de néocolonialisme lorsqu’il fait allégeance à Nicolas Sarkozy, alors qu’aucun d’eux ne pense à la souveraineté du peuple quand ils truquent les élections, Issa Tchiroma déclare cette semaine que seule le peuple camerounais peut demander des comptes à Paul Biya quand, au Gabon, un communiqué présidentiel déclare : «  au nom de quoi le peuple français serait-il légitime pour juger des faits qui ne le concernent en rien ? ». Ailleurs, les Dépêches de Brazzaville parlent de racisme français  et « d’une ingérence inacceptable dans les affaires d’Etats libres et indépendants ».

Autant de gesticulations et de fausses colères patriotiques qui montrent que les intéressés ne nient aucunement les « biens mal acquis », mais tentent de noyer des faits réels dans des accusations de racisme et de néocolonialisme nulles et non avenues. Comment peuvent-ils oser parler de néocolonialisme lorsqu’ils vont investir et enterrer les capitaux africains dans les banques des anciennes puissances coloniales ? Quelle crédibilité peuvent avoir vos rappels d’être des Présidents d’Etats indépendants lorsque ces plaintes contre vos gouvernances catastrophiques sont justement des preuves que vos justices nationales sont gangrenées de corruption qui entament largement leur crédibilité ?  Quels sont ces anticoloniaux qui se font défendre par des avocats français ? C’est tout simplement honteux et minable comme posture de défense.

Au Cameroun, une plainte peut en cacher une autre

Autant pendant la période coloniale des relais locaux ont vendu leurs frères aux  négriers, autant dans l’Etat postcolonial, des personnages de même nature subsistent et perpétuent leurs basses œuvres. Issa Tchiroma Bakary en constitue le type idéal. Aussitôt la plainte contre Biya déposée, aussitôt il reconnaît subitement l’importance du peuple camerounais qu’il qualifiât pourtant de voyou lorsqu’il manifestât contre la révision Constitutionnelle en 2008. Comme quoi, le peuple camerounais est transformé en bouclier à toute épreuve quand le Prince est pris dans ses propres turpitudes, et ce même peuple est diabolisé quand il revendique ses droits. Ce sont des signes d’un Etat de droit inexistant. Un Etat où les droits des citoyens prennent la forme que veut bien leur donner un gourou du Renouveau National suivant les événements défavorables ou favorables au régime.

Et pourtant, cette plainte contre Paul Biya n’est même pas la plus dangereuse. La plainte qu’il faut craindre, et le Renouveau devrait prier le ciel qu’elle ne voit pas le jour, est historique. C’est celle d’un peuple camerounais qui demanderait des comptes à un régime qui, après trente ans de malversations touts azimuts, présente l’opération épervier comme résultat des courses. Il faudrait alors répondre d’une escroquerie politique de plus d’un quart de siècle même si, comme le dit un autre mousquetaire, Paul Biya est maître de son temps.

La bêtise nègre serait-elle sans limite ?

La bêtise par laquelle je clôture cette autre tragédie nègre que constituent les « biens mal acquis », traite tout simplement du caractère crétin des dictatures africaines. Elles sont aussi brutales qu’irréfléchies. Il aurait été moins nuisible pour l’Etat de droit africain que les capitaux ainsi détournés des caisses des Etats s’investissent sur les territoires nationaux, afin de créer des emplois aux peuples africains. Mais non, ces fonds se retrouvent dans des comptes privés des multinationales bancaires occidentales. Comme quoi, l’Afrique se dit en situation de dépendance, elle se dit pauvre et très endettée mais nos Présidents continuent d’envoyer nos ressources nationales dans les pays riches qui sont aussi nos créanciers et d’où sont chassés des Africains parce que sans-papiers. Les pays riches bénéficient ainsi, non seulement du service de la dette internationale africaine, mais aussi des intérêts des capitaux africains déposés dans leurs banques par nos Présidents : c’est la rente de l’idiotie africaine.

En effet, « Plus de 600 milliards de dollars détournés des pays africains vers les paradis fiscaux entre 1970 et 2004. Dans un article paru dans la Tribune en date du 03Février 2009, deux chercheurs de l’université canadienne de Massachusetts Amherst, Leonce Ndikumana et James K.Boyce ont mené une étude sérieuse qui évalue à 420 milliards de dollars le montant des capitaux ayant fui l’Afrique entre 1970 et 2004 à destination  des paradis fiscaux. La même étude estime que compte tenu des intérêts générés, plus de 600 milliards de dollars dorment sur des comptes étrangers. Selon la Tribune, ce chiffre est supérieur à la dette du continent africain qui s’élevait en 2004 à 398 milliards de dollars. Le même article précise que pour les pays comme, l’Angola, le Nigeria, la Côte d’Ivoire, les sommes détournées représenteraient plus de quatre fois leurs dettes extérieures ».

Que peut-on en conclure si ce n’est que, cinquante ans après les indépendances, nos chefs d’Etats perpétuent la bêtise nègre. Ne même pas investir localement les fonds ainsi détournés est la preuve qu’ils ne font pas eux-mêmes confiance aux pays qu’ils dirigent. Que ceux qui demandent un Plan Marshall appliquent d’abord à eux-mêmes le plan stop aux « biens mal acquis », afin que l’Afrique Noire exploite déjà à bon escient ce qu’elle possède.

© Correspondance : Thierry AMOUGOU, président de la Fondation Moumié, 


26/11/2010
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