Afrique, Crise ivoirienne : plus que trois scénarios possibles

Afrique, Crise ivoirienne : plus que trois scénarios possibles

Kakmeu Pideu:Camer.beA ce jour,  quelques positions peuvent être considérées comme acquises dans la crise ivoirienne. On sait que la communauté internationale continuera à soutenir le candidat Ouattara d’une part et que Laurent Gbagbo ne quittera pas le pouvoir de son plein gré d’autre part. L’impact des pressions médiatiques et diplomatiques de la communauté internationale s’est avéré négligeable sur le camp Gbagbo et la pression financière ne vient juste que d’entrer sur la scène. On observe aussi la difficulté du camp Ouattara à mobiliser la foule en Côte d’Ivoire malgré l’isolement international de son rival.

Même à Paris, seule « une poignée [une dizaine] » d’Ivoiriens ont « pris le contrôle de l’Ambassade de Côte d’Ivoire » selon la chaîne publique France 2. Enfin, on constate que les affrontements entre les différentes parties se sont transférés sur un terrain autre que celui des élections. Au niveau de l’opinion internationale, la « légitimité démocratique » chez les uns (la France et ses alliés) et « l’ingérence des forces extérieures » chez les autres (les anti-impérialistes) sont prises comme prétextes pour intervenir dans la crise électorale ivoirienne. De prétextes en prétextes, on se retrouve devant une grosse machine manipulatoire qui laissera probablement des séquelles dans l’histoire des relations internationales.

Toutefois, on ne saurait oublier les fondamentaux qui régissent les relations internationales. La diplomatie est conditionnée de nos jours par la realpolitik et/ou les rapports de force entre Etats au sujet de leurs intérêts respectifs. En triangulant les informations issues des différents médias et des différentes sources diplomatiques, on peut encore s’imaginer trois scénarios possibles en Côte d’Ivoire :

Scénario 1 : On déloge Gbagbo par force.

Une intervention militaire est le scénario le moins probant pour l’instant. Le cercle des tiers-perdants d’une telle action est énorme. Il inclurait entre autres : la population ivoirienne, les frontaliers et la France. Un raid sur le palais de Gbagbo créerait un génocide compte tenu de ce que la capacité de mobilisation de son camp reste importante. Ensuite, la guerre ainsi engendrée touchera les pays voisins dont les ressortissants constituent jusqu'à 30% de la population Ivoirienne. De plus, comme la Côte d’Ivoire représente 1/3 du PIB de la sous-région, une déstabilisation durable de ce pays engendrerait automatiquement une déstabilisation de la sous-région entière. Dans les faits, beaucoup de pays dépendent du port d’Abidjan en matière d’approvisionnement et il n’y aurait pas de solution de rechange pertinente dans la sous-région. Le réseau routier au départ du port de Conakry pour le Mali ou le Burkina Faso par exemple n’est pas praticable.  Enfin, une telle intervention militaire aurait une incidence directe sur la France en particulier et la communauté internationale en générale. Nicolas Sarkozy prendrait le risque de diviser son camp et son électorat pour les présidentielles de 2012 en France et la communauté internationale prendrait le risque de se montrer diviser sur la question de son intervention en Côte d’Ivoire. Il est probable que beaucoup de gouvernements et une bonne partie de l’opinion qui rejette Gbagbo pourtant, s’y opposent quand même en raison du désastre humain que cela engendrerait. Malgré tout, l’opinion des pays émergents membres du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et futurs maîtres du monde, restent très réservée et peut devenir opportuniste à tout moment selon la tournure des choses.

Scénario 2 : On trouve un compromis entre les camps Gbagbo et Ouattara.

 C’est le scénario le plus probant. On observe que la communauté internationale est en train d’avancer vers là où elle aurait dû commencer. Les « forces extérieures » se retranchent progressivement derrière la médiation africaine. Toutefois, il faut dire la sanction financière de la Cédéao est un couteau à double tranchant car, les salariés affamés pourraient autant se dresser contre Gbagbo comme contre Ouattara qui n’arrive pas toujours à les mobiliser. De plus, une population ivoirienne affamée pourrait aussi diviser la communauté internationale dont une bonne partie avait été choquée par les images de la guerre du Biafra. Certains pays pourraient jouer des rôles troubles. Par exemple, la Libye du Colonel Kadhafi pourrait entrer dans le jeu simplement pour « embêter » les occidentaux qui avaient bombardé son palais en son temps. On sait qu’il avait promis deux ans de prise en charge ainsi que plusieurs milliers de militaires à la Centrafrique du dictateur Bokassa en 1979 pendant l’opération Barracuda et que le désastre humanitaire avait été évité par le simple fait que l’empereur autoproclamé avait refusé de lutter contre ses frères d’armes français. De même, l’Angola vient de promettre le financement pour le budget de la Guinée Bissau et ses prises de position contre la communauté internationale ne font l’ombre d’aucun doute. Donc, il ne serait pas étonnant que ce pays, accusé déjà à tort ou à raison d’envoyer des mercenaires, vole au secours de la Côte d’Ivoire en cas de famine. Par ailleurs, les accusations fondées ou non adressées à l’égard du Mali sur une éventuelle intervention pour le paiement des salaires de décembre 2010 en Côte d’Ivoire, sont révélateurs des couloirs peu harmonieux de la diplomatie ouest-africaine. Si le Ghana, le Bénin et la Mali sont des modèles de la démocratie en Afrique Noire Francophone de nos jours, il faut aussi reconnaître que les Présidents de ces pays sont réputés ne pas se faire dicter leurs positions à partir de l’Extérieur. Il est donc probable que les négociations continuent sans qu’on ne laisse Abdoulaye Wade, Blaise Compaoré et Goodluck Jonathan régler leurs comptes personnels avec le Président Gbagbo.

En l’état, il est acquis que Laurent Gbagbo n’acceptera pas de céder le siège de « Président de la République » et qu’Alassane Ouattara accepterait d’occuper le poste de « chef de l’exécutif ». Dans les faits, cela veut dire que les négociateurs devraient travailler à éventrer du poste de « Président de la République », l’essentiel des prérogatives pour composer un poste de « Chef de l’exécutif » responsable de la gestion courante des affaires du pays. Cela consoliderait la position de ceux qui pensent que le problème ivoirien en particulier et africain en général, est institutionnel. En clair, on passerait d’un régime présidentiel à un régime parlementaire dans lequel il existe un Président de la république à titre honorifique et un Chef de l’exécutif appelé selon les cas « Premier ministre », « Chancelier » ou « Président du conseil ». C’est la solution idéale et probable à cette crise si l’on ne veut pas créer un désastre humanitaire. C’est le meilleur cadeau que Dieu pourrait donner aux Ivoiriens pacifistes en 2011. Cela serait cohérent avec les actes déjà pris par le camp Ouattara notamment dans la nomination des ambassadeurs et des représentants dans les institutions internationales.

Toutefois, le lobby des impérialistes n’accepterait pas de suite une telle solution parce que la consolidation de leurs intérêts économiques à travers ce régime parlementaire ne serait plus un simple jeu de passe-passe. Sinon, dans l’ensemble, tout le monde s’en sortirait gagnant. Les défenseurs de la démocratie auraient une grande récompense à leurs combats en ce sens qu’il n’y aurait plus de Super-Président en Côte d’Ivoire en particulier et pourquoi pas progressivement en Afrique Noire Francophone en général. En l’état, si le candidat Ouattara est installé au pouvoir sans un changement d’institution, la démocratie ne gagnerait pas beaucoup car, il se passerait simplement un changement de clans politiques. Ouattara limogerait de suite le président de la cour constitutionnelle pour installer un de ses plus proches fidèles et le cycle du cercle vicieux recommencera. Pourtant, dans la solution parlementaire, mêmes les anti-impérialistes seraient rassurés un peu plus par la possibilité qui sera offerte au Parlement de démettre le « Chef de l’exécutif » en cas de « haute trahison ».

Scénario 3 : On tue Laurent Gbagbo. Ce scénario revient par défaut mais, sa concrétisation relèverait d’un exploit car, pour l’accomplir, il faudrait réussir à infiltrer son entourage immédiat.

En l’état, l’armée n’est pas sereine dans tous les camps (Force nouvelle, Onuci et Forces légales) et les dérapages peuvent surgir de tous les côtés. Toutefois, on sait que Laurent Koudou Gbagbo est le président de la Loge maçonnique de Côte d’Ivoire. Cela signifie que son entourage serait constitué des fidèles dont il est le seul à maîtriser le type de rites d’intronisation qu’il leur fait passer. Ce « boulanger » au sens de Robert Gueï est un opposant historique au sens propre du terme c’est-à-dire qu’il a préparé ce moment précis depuis plus de trente ans et qu’on ne peut pas méconnaître sa dextérité à « rouler les gens dans la farine ». Au demeurant, on sait aujourd’hui que la seule façon pour la communauté internationale de refuser sa « main tendue » est de provoquer sa mort car, de son vivant, il tiendra jusqu’au bout. Il n’acceptera pas, à l’image de Robert Mugabé, les portes de sortie que les négociateurs pourraient lui présenter. Il aurait pu accepter depuis la tentative de putsch de Guillaume Soro en 2002 alors qu’il se trouvait en visite à Rome, le « refuge » que la France lui proposait. Il refusera, comme Mugabé, la « retraite luxueuse et paisible à l’étranger » car, depuis son acception à la magistrature suprême, il est l’un des rares Présidents africains qui passent leurs vacances dans leurs pays. De plus, il n’acceptera pas une porte de sortie au sein de l’Union africaine comme l’a fait le putschiste Sékouba Konaté « bombardé » à la tête de la Force africaine. Il est peut-être triste de constater que Gbagbo n’est pas « légitime » mais, il a démontré qu’il est fort et tenace. L’occident n’acceptera jamais de perdre la main dans ce rapport de force mais, l’assassiner le rendra « martyr » ou « héros ». En tant qu’historien de formation, il est plausible de penser que Gbagbo le souhaite.

En leurs temps,  l’opinion était toujours divisée sur la pertinence du combat que menaient les nationalistes africains. Thomas Sankara par exemple, étaient une « honte » pour l’Afrique aux yeux de certains à cause de ses déclarations péremptoires. De même, de nos jours, l’opinion est très divisée au sujet de Gbagbo. On peut s’attendre à ce que cette opinion tourne plus tard en sa faveur parce que la prétendue communauté internationale qui est un nébuleuse dont on ne connaît exactement ni la tête ni la queue, ne va pas cesser de décevoir dans ses prises de positions à l’avenir. Avant la fin de l’année 2011, ses prises de position dans les contentieux électoraux qui seront enregistrés dans d’autres pays de l’Afrique Noire Francophone, en diront davantage.

En attendant, on peut constater que la crise ivoirienne est déjà entrée dans l’histoire. Désormais, sur le plan politique, les oppositions africaines auront une jurisprudence pour contester les élections. Ensuite, sur le plan académique, le concept de « légitimité démocratique » sera institutionnalisé. De plus, il ne sera plus possible d’enseigner de façon pertinente le droit international public ou le droit constitutionnel sans faire état de la Côte d’Ivoire. Dans tous les cas, on ne peut que souhaiter l’apaisement entre les deux parties dans le but d’éviter à l’humanité, la reproduction d’un autre génocide rwandais dont les conditions se remplissent au jour le jour.

© Correspondance : Louis-Marie Kakdeu


28/12/2010
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