Affaire Vanessa Tchatchou, affaire d’Etat - Par Sindjoun Pokam

YAOUNDE - 21 MARS 2012
© Sindjoun Pokam, Philosophe | Le Jour

C’est désormais au cœur de l’Etat qu’est posé le problème du vol de bébé Vanessa Tchatchou. C’est à Paul Biya qu’il revient de faire éclater la vérité sur l’histoire du bébé volé à l’hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique de Yaoundé.

C’est désormais au cœur de l’Etat qu’est posé le problème du vol de bébé Vanessa Tchatchou.

C’est au sommet de l’Etat et à celui qui l’incarne, le président de la République Paul Biya qu’une opinion publique informée, cultivée, avisée s’adresse avec impatience, intransigeance traversée par une volonté de savoir la vérité et avec l’intime conviction que seul le président de la République Paul Biya la détient. Cette vérité, le président de la République la doit au Peuple souverain qui jouit ontologiquement d’une souveraineté absolue. Le président de la République Paul Biya a tous les moyens de l’Etat pour savoir ce qui s’est passé à l’Hôpital gynéco-obstétrique de Yaoundé le 20 août 2011 quand un réseau maffieux s’est emparé de l’enfant de Vanessa Tchatchou.

C’est donc le président de la République Paul Biya qui a l’ultime obligation de dire la vérité à un peuple assoiffé de justice et décidé de savoir où est, à l’heure actuelle, le bébé Vanessa, qui brusquement est devenu l’enfant de tout un peuple en colère.

Le président de la République Paul Biya est ici confronté à deux logiques violemment contradictoires. Une logique maffieuse que décrit si fortement Me Hippolyte Meli Tiakouang qui écrit : « Ce n’est rien qu’une violence assimilable à la torture, une barbarie de plus à la suite de plusieurs précédents actes qui ont infligé des souffrances physiques, corporelles, psychologiques et morales à ma jeune cliente, victime de l’enlèvement de son nourrisson à l’accouchement par des trafiquants des personnes humaines. Rien ne justifie de tels actes qui heurtent la conscience humaine, individuelle et collective ».

La logique maffieuse use et abuse de la violence à travers les instances étatiques, politiques et judiciaires qu’elle a investies, perverties et infectées. Aujourd’hui, c’est cette logique maffieuse qui instruit l’affaire Vanessa. Face à cette logique maffieuse se dresse une logique portée par l’immense majorité du peuple camerounais qui veut tout savoir dans cette affaire tragique. L’homme d’Etat Paul Biya est historiquement sommé d’avoir à trancher entre ces deux logiques contradictoires et antagoniques.


Artistes

Cette logique du peuple assoiffé du couple éthique Vérité/Justice est portée par des voix diverses dans lesquelles chacun de nous peut se reconnaître et s’identifier. Il y a la voix de ces artistes qui portent le Cameroun en tant que corps de vérité, et en tant que corps éthico-politique en construction dans leurs cœurs effondrés, mais décidés à se battre. Apprenant la nouvelle de la violence dont Vanessa vient d’être victime récemment à l’Hôpital gynéco-obstétrique, notre compatriote, la chanteuse Koko Ateba écrit : « […] J’en ai pleuré, tellement c’est moche ! Est-ce que c’était vraiment utile ou nécessaire d’utiliser la force et toute cette brutalité pour déloger une enfant qui ne fait que réclamer son droit le plus naturel, à savoir rentrer simplement chez elle avec le bébé qu’elle a naturellement mis au monde dans un hôpital ? […] Nous continuerons de soutenir Vanessa, parce que son combat est juste et nous le ferons jusqu’au bout ! Que ceux qui font souffrir cette enfant et cette famille aujourd’hui sachent que dans très peu de temps, ils paieront la malédiction qu’ils attirent sur ce pays […] Nous sommes toutes et tous des Vanessa et nous ne les laisserons pas faire ».

Qui du peuple camerounais ne se reconnaît dans ces paroles fortes portées par un désir fort de vérité et de justice ? Ecoutons cette autre voix d’artiste, celle de Valsero, très engagé dans l’affaire Vanessa. « Je suis déboussolé et j’ai honte. Je ne savais pas qu’on pouvait arriver à un tel manque d’humanisme. J’ai beaucoup plus de honte d’être Camerounais. J’ai honte des gouvernants, j’ai honte des populations. Je suis épuisé. Je ne savais pas que je pouvais atteindre ça. Cette expulsion réveille en moi beaucoup de haine et de rage et en même temps, je me sens impuissant. J’aurais voulu faire autre chose, mais je suis impuissant et ça me fait mal. Un gouvernement aussi inhumain, c’est une honte. Le Cameroun s’est encore couvert de honte. Il s’était déjà couvert de honte quand ils ont volé le bébé […] On a pensé à une avancée avec les mesures du président de la République, mais il s’agissait d’une manœuvre politicienne pour passer à autre chose ».

Ici, l’artiste populaire Valsero semble avoir rompu avec le Prince Paul Biya. Il ne croit plus à tout acte que pose le Prince machiavel qu’est Paul Biya désormais confronté à la gestion d’une colère du peuple souverain aux prises avec une maffia qui vole, tue et corrompt. Le président de la République, Paul Biya, affronte ici deux exigences contradictoires, antagoniques irréconciliables. Paul Biya, PRINCE au sens du philosophe politique Machiavel, incarne un Etat corrompu au sein duquel se déploient violemment les forces maffieuses. Le destin politique de Paul Biya se joue dans cette dialectique cruelle où l’homme d’Etat qu’il est doit choisir son camp : celui du peuple, souverain absolu ou celui de la maffia qui vole, tue, et dont l’ambition de plus en plus affichée est de s’emparer de l’Etat dans et par la violence.

Machiavel peut-il encore être de quelque utilité pratique pour le prince régnant Paul Biya ? Est-il possible de réformer et d’inscrire la vérité, la justice et la liberté dans un Etat absolument corrompu et qui vit de la corruption ? A l’homme politique et l’homme d’Etat Paul Biya de relire Machiavel en cette circonstance tragique et cruelle pour notre pays.

Machiavel écrit : « Si l’on eût voulu conserver la liberté à Rome au milieu de la corruption, il eût fallu que, comme en raison de l’altération de ses mœurs, elle avait changé ses lois, elle changeât aussi ses formes constitutionnelles. Il faut à un malade un régime différent de celui qui convient à un homme sain, et la même forme ne peut convenir à une matière devenue toute contraire. La Constitution d’un Etat, une fois que l’on a découvert qu’elle ne peut servir, doit donc être changée, ou d’un seul coup, ou peu à peu, avant que tous en aperçoivent les vices. Or l’une et l’autre de ces manières est presque également impossible. En effet, pour que le renouvellement se fasse peu à peu, il faut qu’il soit opéré par un homme sage qui décèle le vice dans son principe, et avant qu’il se développe. De pareils hommes peuvent très bien ne naître jamais ; et s’il s’en rencontre un, il ne pourra pas persuader les autres de ce que lui seul a pu déceler, car les hommes habitués à suivre certains usages se déterminent difficilement à en changer, surtout lorsque les inconvénients auxquels on veut parer ne tombent pas sous les sens, mais sont présentés comme des conjonctures.


Constitution

Quant au changement à opérer tout à coup dans la Constitution, lorsque chacun reconnaît qu’elle ne peut plus servir, je dis que, quoique généralement senti, son défaut n’en est pas moins difficile à réformer. Les moyens ordinaires non seulement ne suffisent plus, ils nuisent même dans ces circonstances. Il faut recourir à des mesures extraordinaires, à la violence, aux armes ; il faut avant tout se rendre maître absolu de l’Etat et pouvoir en disposer à son gré. Mais le projet de réformer un Etat dans son organisation politique suppose un citoyen généreux et probe. Or, devenir par la force, souverain dans une république suppose au contraire un homme ambitieux et méchant : par conséquent il se trouvera bien rarement un homme de bien qui veuille, pour parvenir à un but honnête, prendre des procédés condamnables, ou un méchant qui se porte tout d’un coup à faire le bien, en faisant un bon usage d’une autorité mal acquise.

De toutes ces causes réunies, naît la difficulté ou l’impossibilité de maintenir la liberté dans une république corrompue, ou de l’y rétablir de nouveau. Qu’on ait à l’y introduire ou à l’y maintenir, il faudra toujours en pousser le gouvernement plutôt vers l’Etat monarchique que vers l’Etat populaire, afin que les hommes que leur insolence rend indociles au joug des lois, puissent être en quelque sorte arrêtés par le frein d’une autorité presque royale. Vouloir y réussir autrement serait une entreprise tout à fait cruelle, ou tout à fait impossible ».

Monarchie constitutionnelle comme expression de la philosophie politique la mieux indiquée pour combattre l’Etat corrompu et fonder un système politique où triomphe la séquence programmatique VERITE/JUSTICE/LIBERTÉ. Tel est le conseil que Machiavel donne au Prince.

Un jour, à la suite du philosophe français Jean Bodin, Machiavel découvre à son tour l’Egypte pharaonique nègre et la pose comme la philosophie politique, théologique et éthique de référence.

L’Afrique noire doit revenir à sa tradition philosophique, politique, ontologique, théologique et éthique pour bâtir un corps politique durable, équitable, libre où des femmes, des hommes responsables et dignes assument leur destin historique.

Le débat ne fait que commencer.

Sindjoun Pokam, Philosophe



22/03/2012
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