Affaire Franck Biya: Qui entretient la confusion?

Yaoundé, 30 Novembre 2012
© Martin Moane Ehindi (Express Ebdo) | Correspondance

En s'attaquant au fils du président de la République, c'est en fait son père qu'on veut éclabousser et discréditer l'opération Épervier. Mais toutes les explications données peuvent-elles suffire à dissiper l'amalgame et la confusion entretenus par ceux qui veulent tirer profit de cette «affaire»?


C’est une association presqu’inconnue du grand public, mais qui a bien pu être mise en place pour les besoins de la cause, qui jette le pavé dans la marre début novembre. Franck fils du chef de l'Etat camerounais serait impliqué dans une affaire d'achat de titres pour la rondelette somme de 100 milliards de F CFA. L' «affaire» est tout de suite relayée par des organes de presse. Les tabloïds vont s'en donner à cœur joie, alors que sur les plateaux de radio et de télévision, elle provoque des gorges chaudes. Les montants en jeu sont extrêmement importants pour laisser indifférent. Le personnage principal n'est pas n'importe qui: c'est le fils du chef de l'Etat. On ne parle pas beaucoup de lui en ville, mais Franck a l'heur de porter le nom de son père, le chef de l'Etat camerounais qui a engagé une lutte difficile et pas toujours comprise contre les détournements des deniers publics et qui, de ce fait, ne s'est pas fait que des amis. La chronique judiciaire se nourrit ces derniers temps de nombreuses affaires qui impliquent des personnalités influentes de la République.

Mais au fait, de quoi s'agit-il ? Nous sommes en 2005. L'Etat du Cameroun doit à Camtel 80 milliards de F CFA. Il paye cash une partie de cette dette à hauteur de 24 milliards de F CFA. Le reste, soit 56 milliards de F CFA chacun. La période de validité de ces titres est répartie entre 2011 et 2017. Selon les spécialistes, si Camtel attend la période de maturité, les 56 000 titres peuvent lui rapporter 75 milliards de F CFA, soit un bénéfice de 19 milliards.


Une affaire de titres

Mais Camtel préfère vendre ses titres avant terme. Selon le journal Repères du 28 novembre 2012, la Société financière africaine, qui appartient à Yves Michel Fotso, acquiert 35 400 titres contre un prêt de 4,7 milliards de F CFA. Le reste des actions est acheté par un certain nombre d'institutions-financières parmi lesquelles les banques SCB-Cameroun, Afriland First Bank, NSIA Gabon, NSIA Benin, les Assurances Activa. Le Journal soutient que ces titres sont vendus en dessous de leur valeur réelle, entre 350 000 et 400 000 F CFA au lieu d'un million de F CFA.

En 2006, Camtel décide de rembourser par anticipation les 4,7 milliards de la SFA. Et c'est en ce moment, écrit Repères, qu'Afrione entre en scène. La société qui appartient à Frank Emmanuel Biya rachète auprès de SFA 9400 titres de Camtel à 3,5 milliards de FCFA. Afrione se tourne par la suite vers le ministère des Finances, huit ans avant la période de maturité de ces titres. En les vendant maintenant, Franck Biya court le risque de perdre les intérêts et une partie du principal. Il ouvre alors des négociations avec le ministre des Finances. L'accord qui en résulte stipule qu’Afrione perd l'avantage de 3% annuels d'intérêts et subit une décote sur le principal de 30% N. En clair, chaque titre est racheté 700 000 par le ministère des Finances contre un million sa valeur officielle. Franck Biya encaisse alors 6,580 milliards de F CFA, soit un gain de 3 milliards de F CFA. S'il avait attendu 2014, il aurait empoché 12 milliards de F CFA...


Où est donc le problème?

Ceux qui ont fait éclater l'affaire savaient très bien qu'elle allait faire mal dans la mesure où elle implique Franck Biya et qu'elle ne manquerait pas d'éclabousser son père. D'ailleurs, que le nom du Directeur général de la Caisse autonome d'amortissement, M. Evou Mekou, le cousin de Franck Biya, y apparaisse ne saurait être fortuit, ce d'autant que le DG de Camtel, M. Nkoto Emane, est lui aussi de la même circonscription administrative.

A côté de la presse, certains politiques se saisissent du dossier. Le député SDF du Wouri, Jean Michel Nintcheu promet d'adresser la-question devant l'Assemblée nationale. L'élu interpelle le Tribunal criminel spécial et l'invite à s'autosaisir de cette affaire.

La réaction officielle se fait attendre. Franck lui-même garde le silence. Il en est de même de Cameroon Télécommunications (Camtel) et de la SRC, la Société de recouvrement des créances. Il faut sauver le soldat Frank Mais la ligne de défense parait à la fois informelle et imprécise. Elle tente de montrer qu'il s'agit d'une «vraie fausse affaire», d'ion pétard mouillé. C'est un patron de presse, Amougou Belinga, propriétaire de l'hebdomadaire l'Anecdote, de la chaîne de télévision Vison 4 et d'une radio urbaine, qui réagit le premier à travers une tribune publiée par le quotidien gouvernemental Cameroon Tribune. Mais la signature du «socio-politiste» est trop marquée pour rassurer une opinion avide de scandales. Au contraire.

Le 26 novembre dernier, c'est le quotidien Le Messager qui revient à la charge en soutenant que le gouvernement est à la peine. Le lendemain, c'est le ministre de l'Enseignement supérieur par ailleurs secrétaire à la communication du Rdpc, le parti présidentiel, le Pr Jacques Fame Ndongo, qui décide de monter au front.

Que doit-on en conclure? Que la communication sur cette affaire n'a pas toujours été bien menée. Ce qui a été dit à ce sujet a plus souvent relevé de l'amalgame. Le Camerounais ordinaire en a appris que le fils du président de la République a détourné des fonds publics et ne comprendrait pas qu'il ne soit pas poursuivi par la justice. Or, à vrai dire, il ne s'agit pas de cela. Il va sans dire que Franck Biya, du haut de sa position de fils du président, a pu obtenir des informations qui n'étaient pas à la disposition de tout le monde. Et qu'il en a par ailleurs probablement profité pour obtenir ce que d'aucuns peuvent considérer comme un traitement de faveur.

Dans un environnement marqué par toutes sortes de coups bas, il est normal que d'aucuns veuillent en profiter pour discréditer la politique que mène son père contre la corruption. On pourrait dire que c'est de bonne guerre. A chacun de prendre ses précautions. Pour l'instant, comme d'habitude en pareille circonstance, Paul Biya fait le dos rond, en attendant que le mauvais vent qui souffle passe.


02/12/2012
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