Affaire Edzoa Titus, Thierry Michel Atangana et Cie

Par lemessager | Vendredi 18 juin 2010 | Le Messager

Le silence de la complicité

Faut-il toujours attendre qu’il y ait mort d’Homme pour que des commissions d’enquêtes soient mises sur pied pour déterminer les responsabilités des uns et des autres ? Et ces commissions d’enquêtes permettraient-elles de ramener à la vie le décédé même si les responsabilités sont établies et les auteurs connus ? N’y a-t-il pas lieu de traiter le problème en amont, c’est-à-dire éviter qu’il y ait des abus de toutes sortes, les prévenir pour qu’on n’ait pas à subir non seulement les pertes en vies humaines, mais aussi les pertes financières, ces commissions étant parfois des gouffres à sous ? Hier, c’était le cas du journaliste Bibi Ngota qui, dans l’exercice de sa profession, voulant authentifier un document relatif aux commissions faramineuses attribuées à certaines personnalités dans le cadre de l’achat d’un bateau, est tombé dans les mailles de la police, sur instruction d’une haute personnalité de la République qui a certainement voulu éviter le scandale. On est allé très vite en besogne en déclarant que le document présenté était faux. Mais aucune commission d’enquête n’a été créée pour remonter le réseau et savoir là où provenait réellement ce document qui mettait à mal le fonctionnement de la République. Or, cela aurait pu être œuvre utile que de démanteler un tel réseau. Avec ses camarades de fortune, il a été jeté en prison sans qu’un jugement soit prononcé et dans l’indifférence totale de toutes les forces vives. Toutefois, sa mort a suscité tellement de remous au point où l’on croyait, qu’à défaut de le faire revenir à la vie, l’administration et l’institution judiciaire allaient s’assagir et engager désormais des procédures selon les règlementations en vigueur. Que non. Plusieurs procès déclenchés ces derniers temps sont émaillés de violations de toutes sortes, sans que cela n’attire l’indignation de quelque groupe que ce soit. Tout se passe comme si l’injustice et ces nombreuses violations s’accommodent avec le fonctionnement des institutions. Au moment où Ban Ki-Moon, le Secrétaire général des Nations unies doit s’adresser aux élus du peuple, les députés de notre Assemblée nationale, auront-ils le courage de lui dresser un état de lieu des droits de l’Homme au Cameroun ? Pourraient-ils lui dire quelles sont les actions qu’ils ont menées pour que ces droits de l’Homme soient respectés ? Pourraient-ils lui dire combien de commissions parlementaires ont été mises sur pied pour faire la lumière sur les nombreuses arrestations, parfois arbitraires, depuis une décennie ? Pourraient-ils lui dire ce qu’ils ont fait depuis que la communauté nationale et internationale dénonce des abus dans le cadre de l’opération Epervier, la taxant tout simplement d’une opération d’épuration politique ? Pourraient-ils lui dire, en le regardant dans les yeux, que le Cameroun respecte toutes les conventions internationales ratifiées dans le cadre des droits de l’homme et des libertés publiques ? Pourraient-ils lui dire que personne n’est inquiété au Cameroun de par ses opinions ?

Démission collective

Même s’ils peuvent répondre à ces questions, force est de constater que l’opinion attend toujours que ces élus du peuple, censés le protéger contre ceux qui l’oppriment, engagent de véritables actions qui démontrent leur indépendance vis-à-vis de l’exécutif. Malgré les dénonciations répétées de certains médias, des leaders d’opinion, aucune motion de censure n’est déposée contre le gouvernement, même envers certains de ses membres qui sont publiquement indexés. Pour ce qui est du cas Thierry Atangana et cie, 13 ans de violation de droits de l’Homme, une commission aurait pu être mise sur pied pour faire la lumière sur cette affaire qui coûte cher à l’Etat, donc au contribuable camerounais, et rendre compte au peuple devant qui il est comptable. Sous d’autres cieux, c’est ce qui se serait passé. L’Assemblée nationale a cette capacité d’interpeller les responsables de cette situation à s’expliquer. A côté de cette institution, l’administration publique brille également par un mutisme complice des initiateurs du rouleau compresseur. Même si c’est l’Etat du Cameroun qui porte plainte à Titus Edzoa et autres, le déclic est venu d’un individu qui, en mal de positionnement et voulant à tout prix sauver sa carrière comme on le connait dans les hautes sphères de la République, a commis une note anonyme qu’il a envoyée à une haute personnalité du pays. Cette dernière a saisi la police judiciaire pour qu’une enquête soit ouverte sur la gestion du Comité de pilotage et de suivi des projets routiers, Copisur. Cette personnalité n’étant pas très imprégnée du dossier, les autres administrations publiques, pourtant très au faite, l’ont « noyée » en lui laissant croire ce qu’elle voulait. C’est ainsi qu’on l’induit en erreur lui disant que c’est le Pr Titus Edzoa qui a créé le Copisur et nommé Thierry Atangana au poste de président dudit comité, alors que c’est le Pr Joseph Owona qui l’a créé et le président du comité, Thierry Atangana, a été nommé par le président de la République Paul Biya. On a laissé croire que le mécanisme de financement mis sur pied pour financer les activités du COPISUR émanait du Pr Titus Edzoa et de Thierry Atangana. Or, le ministère des Finances, la Trésorerie générale de Douala et les autres services financiers au haut niveau de l’Etat savent bien qu’il n’en est pas question. C’est un mécanisme approuvé par le président de la République Paul Biya, confirmé aux opérateurs du secteur pétrolier par l’entremise du Secrétariat général de la présidence de la République, le ministère des Finances et la Trésorerie générale de Douala. Le ministre Bokam Jean-Baptiste le reconnait dans ses dépositions lorsqu’il déclare avoir été appelé par le Pr Joseph Owona, à l’époque Secrétaire général de la présidence de la République, pour l’informer de ce qu’ils ont trouvé un mécanisme pour financer les projets routiers. Le Pr Edzoa Titus n’était pas encore un haut commis de l’Etat. Nombreux sont les ministres et autres hauts commis de l’Etat qui connaissent cette vérité. Mais personne n’ose en parler, de peur d’être dans le collimateur du rouleau compresseur. D’ailleurs, ce silence complice a profité à certains et leur a permis de se frayer une place dans la haute administration, le prix de la trahison. Et c’est chacun qui veut protéger son poste, oubliant que l’injustice qui sévit contre certains aujourd’hui, pourrait se retourner contre eux demain. Certains l’expérimentent déjà aujourd’hui. Atangana Mebara, ex-Secrétaire général de la présidence de la République, croupit en prison, pour ne parler que de lui. Preuve que personne n’est à l’abri de ce système d’injustice mis sur pied.

Institutions aux ordres

De l’autre côté du triangle des pouvoirs se trouve la justice, qui est écartelée entre les magistrats indépendants, qui veulent véritablement faire leur travail, et les autres, carriéristes, à la solde de l’exécutif, et qui laissent penser que la justice au Cameroun est aux ordres. Et pourtant, lorsqu’ils le veulent, les procès sont expéditifs. Titus Edzoa et Thierry Atangana ont été jugés en une nuit et condamnés à 15 ans de prison ferme. Mais depuis que l’ordonnance de non lieu partiel du juge Pascal Magnaguemabé a été rendu en octobre 2008, plus rien. L’on assiste de renvoi en renvoi. Des renvois qui font suite à des cas de maladies de certains membres de la collégialité. Et beaucoup d’observateurs de se demander si un seul magistrat ne peut pas s’occuper de cette affaire tant tous les éléments sont disponibles. En plus, le ministère public tend à jouer au dilatoire en ignorant l’arrêt de la Chambre de contrôle de l’instruction, lequel arrêt a retenu trois chefs d’inculpation. Mais, le ministère public revient sur toutes les charges de départ. Cette attitude de la justice fait dire à certains qu’ils sont nombreux ceux des magistrats ayant compris toute la supercherie de cette affaire et qui refusent d’associer leur image à la mascarade. L’histoire dans tous les cas va en retenir et ce procès peut être appliqué comme un cas d’école. Quelle image pour nos futurs juristes qui devront s’inspirer des actes de justice rendus par leurs aînés. Le juge d’instruction Pascal Magnaguemabe, en rendant son ordonnance de non lieu partiel, a démontré que la justice est un pouvoir indépendant, qu’il peut exercer en marge de toutes les pressions de l’exécutif. Et qu’elle peut même aller plus loin, débouter l’Etat quand celui-ci a tort. Mais face à cette affaire de Titus Edzoa, certaines questions subsistent et ce n’est que la justice qui peut apporter des réponses conséquentes. Pourquoi dans le cadre des chefs d’accusation qui pèsent sur les accusés depuis 13 ans, le Pr Joseph Owona n’a-t-il pas été entendu ? En son temps, pourquoi le ministre Justin Ndioro et le Trésorier payeur général de Douala n’ont-il pas été entendus ? Pourquoi un seul membre du Copisur est arrêté, alors que ce comité était représenté aussi bien par l’Etat et les privés, aucune décision ne pouvant être prise que si les deux parties sont d’accord ? Pourquoi laisser en cavale celui par qui le problème est déclenché, Dieudonné Ambassa Zang ? Pourquoi refuser de prendre en considération les actes du Chef de l’Etat dans le cadre de la création et du fonctionnement du COPISUR? Pourquoi continuer de sacrifier des vies et des familles entières, alors qu’il y a un non lieu, fut-il partiel, qui a été prononcé ?

La France réduite au silence

Dans cette série de démission se trouvent inscrites les organisations de la société civile. Les multiples associations de défense de droits de l’Homme ne disent rien et n’ont rien à dire face à ces violations de droits de l’Homme enregistrés dans le cadre de ce procès. Le mutisme de certains est dû au fait qu’ils estiment que c’est une affaire politique. Est-ce la raison pour laquelle il faut se taire quand des vies sont menacées ? Que ce soient Transparency international avec ses indices de perception de la corruption, le Comité national des droits de l’Homme, les Nouveaux droits de l’Homme, ou encore la plate-forme des organisations de la société civile dont l’offre orange vient d’être présentée, aucune action n’est entreprise publiquement pour dénoncer l’injustice actuelle et les nombreuses violations dont sont victimes les détenus de l’affaire Edzoa. « Cette affaire est compliquée. On ne réveille pas un lion qui dort. Que le politique règle cette affaire, ça ne nous concerne pas », peut-on entendre dire ça et là. Et le contre poids à jouer face au pouvoir alors ? C’est sur le papier, pourrait-on déduire. Les organisations internationales sont également restées inertes, à part certaines déclarations engluées dans un ton diplomatique. Comment peut-on promouvoir un développement durable et véritable dans un pays où les droits de l’homme sont bafoués et où la dignité de la personne humaine est reléguée au second plan, ainsi que les libertés individuelles ? Si la loi physique qui dit que le semblable attire le semblable, on peut donc aisément imaginer le rôle de ces organisations chez nous, exploiter les richesses et abandonner les populations à leur sort. N’intervenir que lorsque leurs intérêts sont menacés. Idem pour les chancelleries et autres représentations diplomatiques accréditées au Cameroun. Et pourtant, au nom du droit d’ingérence, des actions auraient déjà être menées pour que tous les accusés aient droit à des procès équitables, en respectant leurs droits et en se souciant de leur devenir. Depuis plusieurs années, Thierry Atangana, citoyen français pour ne parler que de lui, est interdit depuis des années des visites consulaires. Ce qui est contraire aux dispositions des conventions internationales dont le Cameroun est signataire. Bien plus, sa représentation diplomatique, l’Ambassade de France, n’a pris publiquement aucune position. Elle a abandonné à son sort un de ses ressortissants au nom de la protection des intérêts français au Cameroun. Peut-être parce qu’il est un nègre. S’il était d’une peau blanche, peut-être aurait-on vu des actions d’envergure comme celles menées à travers le monde par Nicolas Sarkozy pour œuvrer à la libération de certains otages ou l’extradition de certains prisonniers de nationalité française. Pourquoi ces interventions à plusieurs vitesses ? La France viole elle-même ses propres principes d’égalité de ses citoyens ? Même les différentes associations para étatiques de lutte contre les discriminations des Français ou celles chargées de l’intégration des Français d’origines étrangères sont restées sans actions significatives. Est-ce une complicité ou simplement un aveu d’incompétence ?

Journalistes sans voix

Les autres leaders d’opinion, journalistes et autres n’auront pas fait mieux. Si à la date de l’incarcération en 1997, il leur était difficile de pouvoir s’exprimer, ne disposant pas de tous les éléments nécessaires pour pouvoir asseoir une conviction, il est quand même étonnant qu’après la publication de l’ordonnance de non lieu du juge d’instruction couplée au scandale des écoutes téléphoniques de 1997, que les différents supports de communication, à qui incombe la mission de reliance sociale, l’incitation à l’action, la dénonciation des maux ou autres qui entravent le développement harmonieux du pays, soient restés presqu’indifférents au cas Edzoa et compagnie. « Si les médias en général n’ont pas eu le courage de dénoncer ce qui se passe dans notre pays, cela tient du fait que beaucoup ne connaissent pas leur rôle dans la société. Les médias servent de courroie de transmission entre les gouvernants et les gouvernés et amènent forcément à une prise de décision lorsque cela est nécessaire. Ailleurs, les médias influencent plusieurs décisions des autorités », commente un observateur de la scène médiatique au Cameroun. Et un autre de poursuivre que « c’est parce que ce genre d’informations ne donnent pas d’argent. Au contraire, elles exposent leurs auteurs à la furie de ceux qui ne voudraient pas que leurs frasques soient mises à nu ». Quoiqu’il en soit, chaque acteur doit jouer son rôle afin que tous les maillons de la chaîne restent soudées et qu’un développement harmonieux du pays soit effectivement amorcé.

Robert NGONO EBODE



23/06/2010
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