Affaire du corps profané à Laquintinie : L’accusée contre-attaque

Cameroun - Affaire du corps profané à Laquintinie : L’accusée contre-attaqueNicole Mayou Tinkapon, désignée comme la voleuse d'organes de Franck Fridolin Nkeugam, traîne le “morguier“ en justice, ainsi que des journalistes, animateurs, etc.

On pensait que l'affaire de trafic présumé d'organes humains à la morgue de l'hôpital Laquintinie de Douala avait été close après l'inhumation de Franck Fridolin Nkeugam, décédé aux urgences de cet hôpital dans la nuit du 23 au 24 août 2012 à minuit. Il n'en est rien. Les protagonistes, parmi lesquels Nicole Mayou Tinkapon, la principale accusée de ce trafic, continuent de s'expliquer devant les instances judiciaires de Douala. Lundi 18 février 2013, Nogock Jean Claude Eugène alias Pharaon, ancien employé de morgue à l'hôpital Laquintinie, Mensia Joana, la mère du défunt, et Ngoya Adeline, sa soeur aînée, ont comparu au Tribunal de première instance de Douala-Ndokoti pour répondre des accusations de diffamation et injures.

La citation directe a été déposée contre ces mis en cause par Nicole Mayou Tinkapon, par ailleurs « cousine » de Franck Fridolin Nkeugam. Les médias ayant diffusé ce scandale ainsi que les journalistes ou animateurs impliqués dans des programmes y relatifs ont également été cités. Il s'agit notamment de Eric Kouamo, présentateur de l'émission « Regard social » sur Equinoxe Télévision; Séverin Tchounkeu, directeur général de cette chaîne de télévision ; Djoumessi Malick, présentateur de l'émission « Canal Détective » sur Canal 2 International ; Emmanuel Chatue, directeur général de la chaîne ; Emmanuel Koppo, co-animateur de l'émission « Sacré matin » à Radio Balafon ; Cyril Bojiko, coanimateur de l'émission et directeur général de Radio Balafon ; Cletus, co-animateur de l'émission « Jambo » à Radio Sweet fm » et Canal 2 International; Tchop Tchop, co-présentateur de « Jambo » diffusé sur ces deux médias et Gyslain Fotso, directeur général de Radio Sweet Fm.

Le procès en diffamation

Les concernés étaient attendus au tribunal lundi dernier. L'affaire a été renvoyée au mercredi 20 février pour consignation et identification des personnes citées. Nicole Mayou affirme que courant septembre, octobre, novembre 2012, après le décès de son cousin Fridolin, elle a été accusée publiquement par le biais d'entreprises de communication audiovisuelle susnommées, d'avoir causé la mort de Franck Fridolin Nkeugam par empoisonnement et d'avoir profané son cadavre à la morgue en y prélevant les organes sexuels, les poils du pubis, le coeur, les ongles et autres.

Les accusations ont été faites par Mensia Joana, Ngoya Adeline et Nogock Jean-Claude Eugène, qui étaient régulièrement invités aux émissions citées plus haut. Au cours de ces émissions « qui passaient en direct et en interactivité avec appels téléphoniques du public national et international », à en croire Nicole Mayou, « les susrequis et les journalistes susnommés sans aucune preuve ont traité la requérante de "vendeuse d'organes humains'', "fossoyeuse et profanatrice de cadavre'', "empoisonneuse '', "corruptrice'', "trafiquante d'organes humains'', etc. ». Elle affirme que les portes de tous les médias cités lui ont été fermées quand elle a voulu apporter « des démentis poignants pour stopper cette macabre campagne diffamatoire et injurieuse ». Et, malgré le dépôt d'une requête aux fins de suspension de la diffusion « abjecte » de l'émission « Canal Détective » du mercredi 3 octobre 2012 à 21h45 par Nicole Mayou, ladite émission a été diffusée et tous les plateaux et studios de Sweet Fm, de Canal 2 International, de Radio Balafon et de Télévision Equinoxe « sont restés apprêtés et ouverts aux susnommés et susrequis pour la poursuite de leur campagne de diffamation par voie médiatique ».

Engagement préventif

Nicole Mayou estime que « les journalistes, les animateurs et les propriétaires des médias susnommés, sans avoir recherché la moindre preuve, malgré toutes les oppositions formulées par la requérante, et au mépris de la présomption d'innocence, les médias incriminés sont restés ouverts pendant plusieurs semaines à dames Mensia, Ngoya et sieur Nogock, et ensemble, ils l'ont traitée de "sorcière'', "vendeuse d'ossements humains'', etc. devant les écrans de télévision et les antennes de radio ». Ceci, en violation de la loi du 19 décembre 1990 sur la communication sociale. Aussi demande t-elle réparation du préjudice subi.

Le 24 janvier dernier, le juge n° 4 du Tribunal de première instance de Douala-Ndokoti-Bassa a déclaré l'action publique irrecevable en l'état. Parce que, dans la première citation directe qu'elle a initiée contre Mensia Joana et autres le 17 octobre 2012, elle n'a mentionné le nom d'aucune personne physique, se limitant à citer les organes de presse. Selon Me Laurent Bondje, conseil de la défense, « sa citation directe n'était pas conforme à la loi de 1990. Elle a par conséquent été déclarée irrecevable en l'état parce qu'elle ne remplissait pas toutes les conditions ».

Ainsi déboutée, Nicole Mayou a repris la procédure le 7 février 2013, en citant cette fois toutes les radios et chaînes de télévision ainsi que leurs directeurs. Parallèlement, Nicole Mayou a engagé une autre procédure d'obtention d'un engagement préventif. Elle estime en effet que les infractions commises par ses diffamateurs ont sali sa réputation et son honneur et l'exposent à un réel danger pouvant mettre sa vie en péril. Mardi 19 février 2013, le tribunal a rejeté la demande de Nicole Mayou.

Le film d'un trafic d'organes

De leur côté, les accusés, continuent d'indexer Nicole Mayou comme étant la responsable des malheurs qui ont troublé la quiétude habituelle au sein de leur famille. Selon des témoignages qui auraient été repris et confirmés par Nicole Mayou devant le juge, Franck Fridolin Nkeugam aurait mangé du couscous à la sauce de pistache chez sa cousine dans la nuit du 16 août. Le même soir, il aurait ressenti des douleurs abdominales une fois retourné au domicile familial à la Cité Sic. Le conjoint de sa cousine est venu le chercher ce soir-là à leur domicile familial, pour le ramener chez les Mayou au quartier Pk 11. Nicole Mayou refuse cependant d'établir un lien entre le repas consommé et la mort de Franck Fridolin Nkeugam, et donc nie l'hypothèse d'un empoisonnement.

Toujours est-il que, conduit à l'hôpital Laquintinie de Douala suite à des plaintes consécutives à des douleurs abdominales, Franck Fridolin Nkeugam décède dans la nuit du 23 au 24 août aux environs de minuit. Le certificat de genre de mort signé par le Dr Fulbert Tsamo, médecin-réanimateur, mentionne que le décès est dû à l'hépatopathie . Le corps est réceptionné par Jean-Claude Eugène Nogock, de garde ce soir-là. « J'ai injecté du formol au niveau du cou. Le sang a commencé à jaillir des narines, de la bouche, des oreilles, et ce sang puait. J'ai donc attiré l'attention de la famille en lui disant que quand on traite un corps sain, le sang coule où on injecte du formol », dit-il. Le corps, emballé dans un drap jaune fleuri, est déposé dans la deuxième rangée de la chambre froide, 4ème plateau, en catégorie B, encore appelée vrac. Dans cette catégorie, les frais de morgue s'élèvent à 5000 F Cfa par jour. Lemorguier, informé des circonstances du décès et de la suspicion qui entourait ce drame, a, par mesure de prudence, doublé le drap et a affecté au cadavre un faux nom (Mahop Julienne) pour éviter un éventuel tripotage du corps.

Les poils, les ongles et les cheveux

la morgue, les tractations de dame Mayou ont commencé ce même soir du 23 août. «Une heure après le départ de la famille, leur cousine vient à ma rencontre. Elle me dit qu'elle vient d'Europe et qu'on l'a appelée au téléphone pour lui annoncer le décès de son petit frère dont elle ne connaît même pas le nom. Elle m'a supplié pour que je lui fasse voir le corps ». Face à la réticence de l'agent, Nicole Mayou aurait proposé une somme de 50 000 F Cfa à Jean-Claude Eugène Nogock. « Elle m'a dit : " prenez cet argent et donnez-moi les ongles des orteils, les poils du pubis et la chevelure de la nuque. Face à mon refus, elle m'a dit qu'elle allait voir mon patron Ndoumbè ».

Jean Claude Eugène Nogock affirme que Nicole Mayou est revenue à la morgue les 26, 27 et 29 août pour poser le même problème : voir le corps de son « petit frère ». La levée du corps de Franck Fridolin Nkeugam était initialement prévue le 30 août. Les frais de morgue, arrêtés à la somme de 45 000 F Cfa (y compris la journée du 31), ont même été versés le 27 août par la famille, représentée par Feutie Bertrand, frère aîné du défunt, responsable du corps : c'est au nom de ce dernier que la dépouille a  été enregistrée. Dans la nuit du 29 août, Feutie Bertrand est informé qu'une parente se serait présentée nuitamment dans les services de la morgue, après avoir soudoyé l'équipe des morguiers en service, ceux-ci ont présenté la dépouille, elle aurait taillé les cheveux qu'elle a emporté.

Aussi, il s'est instamment rendu à la morgue en compagnie des membres de la famille et après avoir demandé à voir le corps, il a constaté que celui-ci n'était plus dans l'état où il se trouvait lorsqu'il y avait été placé. Dans son procès-verbal de constat établi le 30 août, Me Owona née Suzanne Edimo, huissier de justice, décrit l'ambiance à la morgue : « Je constate une ambiance surchauffée, de nombreuses familles se plaignent de ce que les corps auraient été blessés au bistouri dans la nuit ». Elle poursuit : « Après m'avoir invitée à rentrer à l'intérieur de la salle, M. Nogock me désigne des corps drapés et je constate que le drap de plusieurs corps est déchiré au niveau de la tête et d'autres sont maculés de sang frais, puis celui ci (Nogock) m'explique que " dans le but d'identifier un corps, on s'est servi d'une lame tranchante pour couper les draps, ainsi la lame a tranché certains corps qui saignent''. Je dénombre ainsi une vingtaine de corps sur les étagères dont les draps ont été coupés à la lame, cependant que je n'ai pu voir de près si ceux-ci ont été mutilés ».

Ce 30 août 2012, le coordinateur de la morgue, Nouck Narcisse, écrit au chef d service anatomo-pathologie (Anapath) en ces termes : « Il m'a été donné de constater ce matin du 30/8/12 à la morgue de l'hôpital Laquintinie, dans la chambre froide compartiment "B'', un cas inhabituel perpétré sur 20 corps dont les draps ont été déchirés au couteau ou autre objet tranchant, au niveau de la tête, pendant la garde du 29/8/12 au 30/8/12, garde assurée par l'équipe "C'' (Lekanè Lucas, Eyinga Henri, Akono Jean- Claude) ». Il s'interroge par ailleurs sur les mobiles des auteurs et s'inquiète de la falsification dans la main courante (registre) d'un nom à la date du 22/8/12 (garde), remplacé par Mahop Julienne,  qui n'a jamais été déposé à la morgue de l'hôpital Laquintinie.

« J'ai refusé leur gombo, on a donné à boire aux gens pour 13 000 F. Cfa, j'ai dit que je ne suis pas avec eux (les morguiers soudoyés, ndlr », a déclaré Missango Ndoumbè Franck Francis, un autre croque-mort. Jean-Claude Nogock a fait des déclarations suivantes à l'huissier : « Le 29 août, Nicole Mayou est passée à la morgue en compagnie d'un officier de police judiciaire du Littoral suite à une plainte déposée pour disparition de corps. Les recherches ont été effectuées à cet effet. Autour de 12 h 30, elle rencontre le morguier, sieur Yamben Simon avec lequel elle a eu une conversation.

Elle lui remet une somme de 1000 F. Cfa. En journée, le sieur Yamben Simon était assisté d'Eyenga Henri Joël, Likallè Lucas, Akono Jean-Paul, ils ont sorti le corps de ce jeune homme et l'ont manipulé. Ils ont récupéré les ongles des mains et des pieds, des poils du pubis et des cheveux du mort ». Jean-Claude Eugène Nogock a fait ces témoignages le 12 septembre. Ce jour, le corps de Franck Nkeugam a été mutilé de nuit alors que la date de l'autopsie légale était fixée au 15 septembre. Le grand frère du défunt constate que le corps de son frangin « a été sorti à leur insu puis l'autopsie pratiquée par le nommé Yamben Simon, morguier de son état, lequel aurait été assisté par son collègue; le nommé Ndoumbè Moussango Marco ». Il affirme qu'ils ont surpris sieur Yamben en pleine pratique d'autopsie sur le corps du défunt. L'huissier note que « c'est le corps d'un jeune homme de teint noir ayant au poignet droit un bracelet. Je note qu'il est couché sur le dos. Je note que sa poitrine est totalement ouverte jusqu'au nombril. J'aperçois les côtes ».

Le 15 octobre 2012, les employés de la morgue de l'hôpital Laquintinie ayant travaillé dans la nuit du 29 au 30 août 2012 et dans la journée du 30 août 2012 ont été entendus au service des recherches et des enquêtes criminelles de la Division régionale de la Police judiciaire (Drpj) du Littoral, suite à une convocation servie par le chef de cette unité de police. L'enquête n'a pas jusqu'ici révélé ses secrets. Pour l'heure, certaines questions demeurent sans réponse. Qui sont les commanditaires de ces trafics d'organes récurrents à la morgue de l'hôpital Laquintinie ? A quels titres opèrent-ils ? Pourquoi les responsables de l'hôpital Laquintinie n'ont-ils pas pris des mesures à temps pour éviter la profanation du corps de Franck Nkeugam alors qu'ils étaient avisés ? Le tribunal va élucider toutes ces zones d'ombre.

© Le Jour : Théodore Tchopa


24/02/2013
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