Affaire de l’avion présidentiel: Quand Inoni et Atangana Mebara embarquaient sur Air Apm

Mebara Inoni:Camer.beC’est l’un des procès les plus attendus de ce début d’année. Il s’ouvre finalement le 20 février 2013 au Tribunal criminel spécial. Inoni Ephraïm, ancien Premier ministre, en détention préventive depuis avril 2012, doit comparaître en compagnie de l’ancien secrétaire général à la présidence de la République (Sg/Pr), Jean Marie Atangana Mebara, pour les faits de détournement de deniers publics pour un montant cumulé de 1,7 milliard Fcfa. Ils seront accompagnés d’Hubert Patrick Otélé Essomba, incarcéré à Kondengui et qui devra répondre des faits de détournement de 287 millions Fcfa, représentant le paiement de prestations fournies par la société Assett Portfolio Management (Apm) à l’Etat du Cameroun en 2003, dans le cadre de l’audit de la flotte de la Camair. L’ancien PM est accusé d’avoir violé la réglementation sur la passation des marchés publics, en autorisant la signature d’un marché de gré à gré en faveur de ce prestataire.

Il est également soupçonné d’avoir accordé des facilités à Apm. Quant à Jean Marie Atangana Mebara, il lui est reproché d’avoir marqué son accord dans la réalisation de cet audit. Mutations a tenté de comprendre comment deux hauts fonctionnaires de la République ont pu se trouver impliqués dans une société appartenant officiellement au Britannique Kevin Walls.

1- Les faits

Le procès verbal de la première session du conseil d’administration de la société Assett Portfolio Management (Apm) est daté du 17 août 2002. Son attestation de constitution en société précise qu’elle a comme président de l’organe suprême Ephraïm Inoni. L’ancien Premier ministre est en détention préventive depuis avril 2012 à Kondengui. Le directeur général de l’entreprise se nomme Kevin Walls, avec pour adjoint Hubert Otelé Essomba, lui aussi aujourd’hui incarcéré à Kondengui.

L’ambition de la société Apm de prendre le contrôle de la Camair débute le 18 mai 2002 ; sans doute un peu plus tôt. Dans un courrier sur papier en tête marqué «Afrique du Sud», M. Otélé Essomba s’adresse ainsi à l’alors secrétaire général adjoint de la présidence de la République (Sga/Pr), René Owona : «Excellence et cher oncle», puis indique, au sujet de la compagnie aérienne nationale que, lors de son dernier séjour au Cameroun, Kevin Walls et lui ont rencontré, le 05 mars 2002, le Sga/Pr n°1, Ephraïm Inoni ainsi que le ministre des Transports, John Begheni Ndeh. Il précise par ailleurs que «l’évolution dudit dossier ne semble pas se faire rapidement». Et d’insister : «M. Walls serait heureux de l’audience que vous pourriez lui accorder le mardi 22 mai 2002 à Yaoundé. A cet effet, il vous fournira toutes les informations capitales et objectives quant au devenir de notre compagnie nationale, Camair.» Et il n’y a pas que la Camair qui fera l’objet des débats. Dans la même correspondance, il est mentionné : «Ensuite nous en profiterons pour vous faire des offres sur l’achat d’un avion présidentiel moderne et hautement sécurisé.»

Le 04 juillet 2002, Kevin Walls écrit à Ephraïm Inoni, sur les conseils d’Otélé Essomba, pour lui demander d’aider au sauvetage de la Camair. Il lui est demandé d’user de ses relations au sein de l’appareil de l’Etat pour court-cicuiter le fonctionnement de la Camair. Il souligne : «Je vous écris pour demander votre soutien dans l’optique de la restructuration de Cameroon Airlines. Je ne peux pas argumenter plus sur l’urgence d’engager cette option. Il y a beaucoup de problèmes à la Camair qui ont besoin d’être réglés dans l’urgence. La Camair sera en faillite si rien n’est fait.» Or, les statistiques de l’époque attestent que c’est au premier trimestre 2002 que la Camair a fait ses meilleurs chiffres, tous secteurs confondus, de toute son histoire.

Transaction opaque

Le 22 juillet 2002, Kevin Walls demande à Otélé Essomba d’organiser un rendez-vous au Nigeria avec Ephraïm Inoni. La réunion doit porter sur la Camair et l’avion présidentiel (BbjII). Cette rencontre n’aura finalement pas lieu, les deux parties n’ayant pu concilier leur emploi de temps.

C’est après cette date que l’ancien Premier ministre confirme sa participation au sein d’Apm. Le 22 août 2002, dans un courrier électronique adressé au Sga/Pr n°1, Kevin Walls, demande la participation d’Ephraïm Inoni au capital de Apm. Cette participation s’élève à 8 millions de dollars (4,4 milliards Fcfa). Lors des auditions à la police judiciaire au sujet de sa participation au sein d’Apm, Ephraïm Inoni diraqu’il est intervenu à la tête du conseil d’administration de cette société à la demande de «son ami et collègue, René Owona» : «Il m’a dit qu’il n’avait aucun intérêt et que c’est son neveu qui se débrouillait.»

Le 18 octobre 2002, Kevin Walls écrit à nouveau au Sga/Pr n°2, René Owona. Il lui raconte une histoire selon laquelle Yves Michel Fotso serait impliqué dans une transaction opaque avec une entreprise dénommée Klm, basée en Nouvelle Zélande. Tout en demandant à ce que cette situation soit corrigée avant qu’elle ne soit connue du grand public, il plaide pour que le gouvernement installe une équipe managériale de professionnels à la tête de la Camair, avant qu’il ne soit très tard et que la compagnie nationale ne retombe dans la même situation qu’Air Afrique.

Après ce courrier, René Owona s’en va rencontrer Paul Biya et lui fait le point de la situation de la Camair, telle que décrite par son neveu Otélé Essomba. Le chef de l’Etat y est sensible, et demande à son collaborateur de lui faire des propositions. René Owona se retourne à nouveau vers Kevin Walls, à travers une correspondance en ces termes : «Vos correspondances des 18 et 24 octobre derniers concernant l’évolution de la situation financière de Camair ont particulièrement retenu l’attention de la présidence de la République, qui aimerait voir clarifier cet état de choses par le biais d’un audit externe. Sans préjuger des décisions qui seront prises par les organes statutaires compétents, je vous serais obligé de bien vouloir me faire tenir dans les meilleurs détails possibles un devis estimatif assorti d’une proposition technique de réalisation d’une telle étude en quelques semaines.» René Owona parle d’un audit externe en voie d’être commandé par le chef de l’Etat.

Actions urgentes

La réponse de Kevin Walls ne tarde pas. Le 08 novembre 2002, dans une correspondance privée et confidentielle, toujours adressée au Sga/Pr n°2, il souligne : «Apm recommande le remplacement immédiat du directeur général de Camair et certains membres de l’équipe managériale.» La boîte demande à se voir confier un rôle de management, en attendant la nomination d’une nouvelle équipe à la Camair. Kevin Walls précise qu’Apm a besoin du soutien absolu de la présidence pour lui permettre de se déployer aisément. Et ajoute que «la négociation de tous les avions, la comptabilité et aucun payement ne se feront sans Apm». La veille, dans une précédente correspondance à René Owona, Apm indiquait que «la situation est sérieuse à la Camair et des actions urgentes doivent être prises immédiatement».

Quelques jours plus tard, René Owona obtient l’accord de Paul Biya pour un audit à la Camair. C’est alors qu’il instruit le ministre des Transports, John Begheni Ndeh, de signer la convention entre l’Etat du Cameroun et Apm. Le document lui est remis à la présidence de la République déjà élaboré, et la convention sera signée le 15 janvier 2003 pour un montant de 287 millions Fcfa.

Apm a usé de la sinistrose pour obtenir le marché. Le 29 janvier 2003, dans un message porté adressé aux services du Premier ministre, Jean Marie Atangana Mebara indique que «le chef de l’Etat a ordonné la réalisation rapide d’un audit sur les contrats de leasing d’aéronefs par la Camair. A cet effet, le ministre des Tansports a été instruit d’engager un cabinet d’expertise, notamment Aircraft Portfolio Management (Apm) de Londres. Les frais afférents à cette prestation sont à imputer à la rubrique des interventions de l’Etat. Pour la haute information de monsieur le président de la République, vous voudrez bien me faire savoir les mesures prises ou envisagées en vue d’accélérer le démarrage effectif de cette prestation». Yves Michel Fotso, le directeur général de la Camair, ne sera informé du mandat d’Apm que le 31 janvier suivant, à travers une correspondance du ministre des Transports. Et le message est clair : Apm est la seule entreprise autorisée à initier des discussions et la restructuration des prix des avions de la Cameroon Airlines. Elle agit également comme unique conseiller aéronautique et financier de l’Etat.

2-Manœuvres

Atangana Mebara et Meva’a m’Eboutou muets

Ni le Sgpr, ni le Minfi ne sont intervenus malgré les protestations du ministre des Transports, face aux facilités accordées à Apm.

D’après l’attestation de constitution de la société Apm, délivrée par le notaire Béatrice Assena le 17 août 2002, cette société disposed, au départ’, un capital de 140 millions de Fcfa et son siège social est situé au centre commercial de Yaoundé. La diversité des secteurs d’activités de cette société est plus que curieuse. Elle peut ainsi intervenir dans l’achat et la vente du pétrole brut et des produits pétroliers de la sous-région, la restructuration et la mise en place de compagnies aériennes, l’achat, la vente et la maintenance des avions. On la retrouve aussi dans les études et consultations et le négoce international. Ses actionnaires sont : Aircraft Portfolio Management Londres, représenté par Kevin Walls (50%), Otélé Essomba Hubert (30%), Elongue Johnson Lifange (10%), Pouna Djambou Paul Dominique (5%), Atangana Essomba Antoine (5%).

Après avoir obtenu du chef de l’Etat l’autorisation de mener un audit à la Camair, Apm va outrepasser ses attributions pour prendre en main, de manière générale, la gestion de la compagnie. Cette situation ne rencontrera pas l’approbation du ministre des Transports, qui ne attirera l’attention du Sg/Pr, Jean Marie Atangana Mebara, puis du ministre des Finances, Michel Meva’a m’Eboutou.

Dans une correspondance adressée au Sg/Pr le 03 juin 2003, John Begheni Ndeh observe : «Au cours d’une audience que j’ai accordée le 03 mai 2003 au représentant Apm au Cameroun (Hubert Patrick Otélé Essomba), ce dernier m’a rapporté les informations sur l’évolution récente de la situation des créances fournisseurs Camair. En substance, il m’a rapporté qu’à compter du 12 mai 2003, des sommes d’un montant d’environ 03 milliards et plus lui ont été versées en plusieurs tranches pour le règlement des arriérés des fournisseurs Camair.» Il précise qu’Apm n’a pas encore restitué les conclusions de sa mission d’audit et de renégociation des contrats leasing, s’insurge contre le recrutement de ce cabinet pour l’assistance à la gestion de la Camair. Le ministre des Transports affirme clairement que «le règlement des fournisseurs Camair à travers Apm ne fait pas partie des termes de référence», et demande de ce fait des éclaircissements sur les différentes transactions qui ont accompagné sa mission.

Ce même jour, le ministre des Transports s’adresse à Michel Meva’a m’Eboutou pour protester contre le règlement des créances de la Camair à Ansett (loueur d’avions à la compagnie aérienne nationale) par Apm. John Begheni Ndeh s’appuie ainsi sur une correspondance du président du conseil d’administration de la Camair, Etienne Ntsama, qui marque son étonnement face au règlement de deux factures par Apm à Ansett les 12 et 13 mai 2003. Il veut connaître «le mécanisme desdits règlements ainsi que l’organisme au moyen duquel la transaction a transitée». Ces réclamations resteront sans suite.

3-Portrait

Le Premier ministre dans les avions

Ephraïm Inoni persiste à nier son implication dans l’affaire, malgré les charges qui pèsent contre lui.

Son arrestation, le 16 avril 2002, a retentit comme un coup de tonnerre dans l’univers politico-judiciaire. L’on savait qu’il avait été auditionné par la police judiciaire, mais peu de personnes envisageaient l’arrestation d’un Premier ministre, même déchargé de ses fonctions. L’«Opération épervier» était alors perçue comme une entreprise d’épuration politique. Surtout que, malgré sa sortie du gouvernement en 2009 après avoir occupé les fonctions de Premier ministre pendant quatre années (2004-2009), M. Inoni était resté fidèle au chef de l’Etat. Mauvaise pioche.. Convoqué à Yaoundé le 16 avril 2012 pour être simplement entendu par le juge d’instruction Pascal Magnaguemabé, dans le cadre de son implication dans l’acquisition d’un avion présidentiel, il sera arrêté le même jour et déféré à la prison centrale de Kondengui.

Les faits pour lesquels il est poursuivi aujourd’hui datent de la période où il était Sg/Pr n°1 (1997-2004). C’est à cette pérode que le processus d’acquisition d’un avion présidentiel a été lancé. Inoni Ephraïm a toujours nié son implication dans cette affaire, même du fond de sa cellule. «Le jour de son arrivée, il lui a été demandé de se déshabiller pour que le personnel de l´administration pénitentiaire puisse recueillir ses empreintes digitales, sa taille, ses signes particuliers externes. Inoni Ephraïm a demandé si on ne pouvait pas faire sortir les dames (gardiennes de prison) présentes. On lui a dit non ! C´est la procédure. Il a ensuite demandé si on pouvait tout au moins baisser le rideau, afin de ne pas être vu. On lui a toujours opposé le même refus. Il a craqué. Il s´est mis à questionner : de quoi m´accuse-t-on ? Qu´est-ce que j´ai fait ?» rapporte une source.

En toute connaissance de cause, s’agissant de l’audit d’Apm à la Camair, il affirme avoir «proposé, dans le cadre de ce second audit, qu’il fallait payer son argent au cabinet Apm sur place au Cameroun, pour permettre au fisc de récolter les retombées financières de cette opération». Et de rappeler qu’Apm s’était fait payer son premier audit à Londres. Et c’est, d’après lui, dans ce contexte que les dirigeants d’Apm Londres ont constitué Asset Portfolio Management (Apm Cameroon). «Sans me consulter, ils vont m’attribuer le rôle de président du conseil d’administration. Peut-être pour me contenter. Mis au courant, j’ai saisi l’avocat d’Apm pour lui signifier mon refus catégorique. Mon nom a été enlevé. J’ai la minute.» Ce que l’ancien PM ne dit pas, c’est que son cadet, feu Elongue Johnson Lifanga, détenait 10% des actions au sein d’Apm.

Né le 16 août 1947 à Bakingili, Ephraïm Inoni fait ses études primaires et secondaires à Limbe (1954-1967). Il suit une formation en administration à l'École nationale d'administration et de magistrature de Yaoundé. Il obtiendra, en 1984, un master en affaires et administration publique à l'université de Southeastern (Washington). C’est lui qui remplacera Peter Mafany Musongue à la tête du gouvernement le 08 décembre 2004.

© Mutations : Boris Bertolt


14/02/2013
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres