Affaire Bibi Ngota: Laurent Esso ne veut pas mourir seul

YAOUNDE - 03 MAI 2010
© Rodrigue Cédric Mbida | La Météo
L'entourage du Secrétaire général de la Présidence de la République désigne d'autres responsables dans la chaîne qui a mené le journaliste à l'échafaud, au moment où l'image du Cameroun est malmenée sur le plan mondial.

A peine la dépouille du directeur de publication de Cameroun Express avait-elle été embarquée après un spectacle des plus abjects offert par les geôliers de la prison centrale de Kondengui, que la nouvelle de sa mort avait fait le tour de la planète. Non pas qu'il soit peu habituel qu'un prévenu ou un détenu de ce pénitencier trouve la mort dans son enceinte. Mais parce que la trame de l'affaire qui a conduit le journaliste qui vient de casser sa plume, repose sur une affaire scabreuse de falsification des sceaux de l'Etat du Cameroun et des imprimés de la Présidence de la République.

En effet, Bibi Ngota et deux autres camarades d'infortune (Serges Sabouang et Robert Mintya Meka) avaient été envoyés au bagne parce que, accusés par le Secrétaire général de la présidence de la République (Sgpr), Laurent Esso d'avoir contrefait des documents administratifs en lui attribuant la paternité.

La grave "imposture" n'a été découverte qu'après le décès de Bibi Ngota en prison. La maladresse communicationnelle habituelle de certains collaborateurs du chef de l'Etat a permis au prix de vérités et contre-vérités, d'établir que les journalistes ne faisaient que leur boulot en sacrifiant à un sacro-saint principe de l'investigation journalistique. Lequel consiste à critiquer les sources et à contrebalancer l'information.

Le sérail s'est rendu compte de sa bourde avant même que l'opinion ne s'émeuve de ce qu'un journaliste meure comme du bétail. Le Quai-d'Orsay (ministère français des Affaires étrangères) a demandé que "toute la lumière soit faite sur l'affaire"; l'ambassadeur des Etats-Unis au nom du département d'Etat a fait pareil. Reporters Sans Frontières et une kyrielle d'organismes internationaux continuent de manifester leur désapprobation. Au sein de l'establishment, on est déjà à se rejeter les responsabilités.


AMADOU ALI AU BANC DES ACCUSÉS

L'entourage de Laurent Esso crie à l'injustice, arguant que le Sgpr n'a voulu que la manifestation de la vérité. Les amis du dernier carré et des membres de la famille jurent, la main sur le cœur, qu'aucune instruction n'a été donnée par "le cœur du pays" pour que les journalistes soient embastillés par les services d'espionnage et de contre-espionnage. Pire encore, ils contestent l'idée de quelque pression que ce soit sur l'autorité judiciaire, visant à vicier l'enquête préliminaire ou même tendant à maltraiter les infortunés au fond de leur cachot. Ceux qui accordent un blanc-seing à la démarche du Sgpr pointent un doigt accusateur sur le Garde des Sceaux, Amadou Ali et sa justice qui ont voulu rendre cyniquement des comptes à ces journalistes qui seraient symboliquement des légats d'une presse nationale qui ne se montre pas toujours tendre à leur égard. A cette thèse, leurs coreligionnaires ?? celle d'un coup de poignard dans le dos de Laurent Esso. Le schéma aurait alors consisté à laisser mourir Bibi Ngota, sachant que c'est Laurent Esso, l'initiateur des représailles qui en ferait les frais. Si cette théorie était avérée, leurs auteurs devraient se frotter les mains car "le chat" vient d'être disqualifié de la course à la succession. On se souvient que Samuel Eboua, en concurrence avec Paul Biya et d'autres, avait perdu une course de la même nature sous Ahidjo, en raison de son aversion pour une ethnie.

L'écho de ces accusations serait parvenu au ministère de la Justice. Là-bas, des collaborateurs du maître de céans ont une belle formule pour juguler cette forte dose de soupçons: "S'il sent venir sa mort qu'il meure seul", en parlant de Laurent Esso. Ils se défendent de ce que "le chat", petit nom donné au Sgpr en raison de son caractère renfermé, aurait pu prévoir que le procureur et le régisseur de la prison, sont prêts à tout pour faire plaisir à Sgpr qu'ils considèrent tout le moins comme un vice-dieu. Ils vont plus loin, se demandant si la Direction générale de recherche extérieure (Dgre), dirigée par Bienvenu Obelaobout dont les agents auraient torturé les journalistes, est du ressort des services du ministère de la Justice. Mais là encore, l'entourage de Laurent Esso se défend: les journalistes y auraient séjourné alors que le Sgpr était absent du pays. "On a cru là-bas qu'il fallait rendre service au boss. Alors qu'il n'est pas comptable de ce qui s'y est passé", plaident-ils.

En attendant que ce jeu de Ping-pong entre ces personnalités s'achève, c'est Paul Biya, le seul qui n'est pas là par la force du décret, mais par celle du suffrage universel, qui prend des coups. Le président de la République est davantage présenté sous les lambris des salons feutrés en Occident comme un dangereux dictateur ou un obstacle à la liberté d'expression. Car, il se compte sur les doigts d'une main, les cas de journalistes "tués" en prison du fait de leurs enquêtes. Une réputation qui trouve ses origines dans les attitudes expansives de certains collaborateurs zélés qui croient toujours que si le chef de l'Etat n'est pas content d'un article de presse, cela leur confère le droit d'emprisonner leurs auteurs. Il n'y a qu'à regarder de près l'Affaire Pius Njawé et tout récemment celle de Jean-Bosco Talla. La première estocade subordonnée à ce ternissement réside dans toute la difficulté que le Premier ministre Philemon Yang, a éprouvée au Forum d'affaires de Washington où il représente le Cameroun: ses interlocuteurs américains n'ont cessé de l'interpeller sur l'Affaire Bibi Ngota.


08/05/2010
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres