Affaire Bibi Ngota: Enterrons les morts... Protégeons les vivants !

YAOUNDE - 04 MAI 2010
© CYRILLE DUNCAN | Correspondance

Le journaliste camerounais Bibi Ngota est mort en détention. C’est dans cette ambiance que la presse camerounaise a célébrée le lundi 03 mai, la journée internationale de la liberté de la presse....

 

J’ai été témoin des événements qui ont marqué cette célébration et de la réaction des journalistes camerounais face à ce drame. La conclusion que j’ai tiré en fin de compte est que la presse camerounaise ne doit s’en prendre qu’à elle-même. C’est vrai, un homme est mort et c’est regrettable, mais la presse camerounaise devrait se retourner sur elle-même et tirer une leçon de ce drame.

Il n’est pas besoin d’être un véritable professionnel de la presse pour se rendre compte que cette histoire n’est pas celle qu’elle semble être. Le véritable professionnel ne sous-estime jamais son adversaire et c’est exactement ce que semble faire les journalistes camerounais. Or, en gardant la tête froide, on peut bien voir que les « erreurs » commises par le gouvernement camerounais ne cadrent pas avec le bagage intellectuel dont il regorge. C’est pourquoi, moi, n’étant en rien concerné par cette histoire, donc, «dépassionné», j’ai essayé de comprendre.

Tout journaliste digne de ce nom, aurait obtenu le même résultat que moi. Je vous explique: en fouinant un tout petit peu, je suis tombé sur un numéro de CAMEROON EXPRESS datant du début des années 1990 avec une interview de Jean Fochivé qui venait alors d’être nommé Délégué Général à la Sureté Nationale cumulativement à sa fonction de chef des services de renseignement au Cameroun. Le Directeur de publication alors était un certain Frédéric Fenkam. Suivant simplement mon enquête là où elle m’entraîne, j’essaye de savoir qui est Frédéric Fenkam. C’est ainsi que je découvre que Frédéric Fenkam est l’auteur d’un livre intitulé « LES REVELATIONS DE JEAN FOCHIVE ». Bien qu’il ne soit pas facile de me procurer ce livre dont le nom seul fait peur aux camerounais, j’arrive à l’obtenir et à le lire.

Dès la préface, je suis alerté. Frédéric Fenkam semble déclarer ouvertement la guerre aux patrons des services de Renseignement camerounais. Après avoir lu tout le livre sans trouver autre élément que celui-là, je me laisse entraîner et le fait que je sois Blanc m’ouvre des portes. Il ne me faut pas plus de quarante huit heures pour comprendre.


LA MORT DE BIBI NGOTA ETAIT UNE ERREUR

Ce que je vais vous dire peut vous sembler très léger, mais si vous connaissiez le Cameroun, vous comprendriez certainement que même au plus haut degré de la hiérarchie, les choses sont faites avec une légèreté qui surprendrait un illettré en France. Le fait est que, lorsque le Secrétaire Général de la présidence interpelle la DSGRE pour ordonner une enquête sur les éléments que viennent de lui apporter le journaliste, il a vraiment l’intention de découvrir la vérité. A aucun moment, il ne donne l’ordre ferme de l’arrêter ou de le torturer. Dans l’exercice donc de son travail, la DGRE choisit de sauter sur l’occasion. C’est ici que tout se passe.

Le responsable de ce service qui n’est autre que celui à qui Frédéric Fenkam avait déclaré la guerre croit saisir sa chance de se venger. Il sait que Frédéric Fenkam s’est réfugié en France. Mais à ce moment, il croit que l’imprudence ou le fait d’être sûr d’avoir un élément de chantage l’a poussé à rentrer au Cameroun. Il envoit donc chercher le Directeur de Publication de CAMEROON EXPRESS et donne l’ordre de le « préparer un peu » avant que lui ne vienne savourer sa victoire. C’est ainsi que Bibi Ngota est amené dans les geôles de Kondengui et passé à tabac, histoire de le mettre en condition.

Pendant les premières heures, le journaliste ne comprend pas ce qui se passe puisque aucune question ne lui est posée. C’est lorsque arrive le Directeur pour se rendre compte de son erreur que tout se gâte.

S’attendant à se voir poser des questions sur les raisons qu’il soupçonne être la cause de son incarcération, il est surpris de se voir demander « où est ton patron ? », « c’est lui qui a monté tout ça ? »

Sous la pluie des coups, n’y comprenant rien… Sous la torture, son cœur lâche. C’est ainsi que Bibi Ngota meurt sans rien comprendre à ce qui lui arrive. Connaissait-il seulement Frédéric Fenkam ? J’ose en douter puisque dans mon enquête, je n’ai trouvé aucun lien entre ce dernier et la victime.

Voila un pays où l’administration autorise deux hebdomadaires portant le même nom sans que le premier n’ait déposé le bilan ou déclaré sa fermeture.

Les journalistes camerounais qui officient depuis les années 90 doivent se souvenir que Cameroon Express, journal installé à Bafoussam Région de l’Ouest, a été fondé par Jean Samuel Tagny, actuel Directeur de Publication de Flash Infos, journal paraissant dans la même ville. Frédéric Fenkam devient alors Directeur de Publication par procuration. Pendant les « villes mortes » de 90 et 91, le journal commence véritablement à s’imposer et avec La nouvelle Expression, le Messager, Mutations… fait régulièrement la Une du Journal des Journaux de Paul Ngougnou sur la CRTV. C’est la diffusion de l’interview de Jean Fochivé qui le tue et on peut aisément comprendre pourquoi.



ENTERRONS LES MORTS… PROTEGEONS LES VIVANTS

Bibi Ngota est mort. Voila un autre journaliste qui vient peut-être changer les choses au Cameroun comme l’a fait Célestin Monga il y a exactement 20 ans. S’en souvient-on seulement au Cameroun ? Et est-ce vraiment le fruit du hasard que tout ceci se passe après deux décennies ?

Seuls les journalistes encore vivants peuvent vraiment y répondre. Eux seuls peuvent « exploiter » (# « tirer profit de ») la mort de Bibi Ngota. Et pour cela, ils doivent déjà commencer par être de véritables professionnels. Ce n’est que de cette façon qu’ils seront pris au sérieux. Ils peuvent être surpris que des organismes comme Reporters Sans Frontières ou l’UPF n’interviennent ou ne réagissent pas beaucoup face à tout ce qui se passe. Je peux leur donner un début de réponse: ces gens là ne vous considèrent pas comme de vrais journalistes parce que vous ne remplissez pas les conditions pour en être. Il ne suffit pas de signer dans un journal pour se dire journaliste. Il y a d’autres critères. C’est à vous de les trouver. Quand ce sera fait, vous comprendrez que votre gouvernement, en vous donnant l’impression qu’il est con, joue à un jeu qui vous dépasse.

Que ceux qui peuvent comprendre comprennent. J’ai fait pour vous la moitié du travail. Faites le reste.

Pour terminer, voici un exercice pour vous:

1.-/ Un jeune journaliste camerounais qui avait changé de nom, adoptant celui de DIARRA pour échapper aux autorités camerounaise, se voit interpeller à l’aéroport de Douala le 05 décembre 2008 par les éléments de la DGRE. Son passport malien lui est retiré et il est «retenu au Cameroun pour besoin d’enquête».

2-./ Le Directeur de Publication du journal Flash Infos Jean Samuel Tagny est au tribunal de Bafoussam depuis 2003 à cause d’un article écrit dans ses colonnes par un Certain Frédéric Fenkam concernant une banale affaire de quartier.

3.-/ Bibi Ngota meurt en prison au Cameroun



Quel est le lien entre ces différentes affaires ?



CYRILLE DUNCAN
Un touriste en visite au Cameroun



06/05/2010
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