Accès aux visas: La Croix et la bannière en Afrique

Selon un rapport de la Cimade, les procédures d'obtention de visas permettant de séjourner en France sont opaques, surtout lorsque des ressortissants africains sont concernés (Afp/ Diallo).

Ils racontent les attentes qui s’éternisent, le flou des documents à fournir, le coût des formalités qui augmentent et les refus sans explication… Pour les deux millions de personnes étrangères qui font chaque année une demande de visa français, le premier contact avec l’administration relève bien souvent du parcours du combattant.

« Un univers kafkaïen », n’hésite pas à dire la Cimade, qui présente pour la première fois un rapport sur la délivrance des précieux sésames dans les consulats et ambassades français.

Un système mal connu et évalué

Alors que la gestion des visas devient un outil de plus en plus important dans la politique de contrôle de l’immigration, le système demeure très mal connu et évalué. Pourtant, sur le terrain, le mécontentement monte, comme le prouve le nombre de recours devant le Conseil d’état, passé de 170 en 2003 à 900 en 2008.

Et dans les deux tiers des cas, cette saisine aboutit. « Nous avons senti depuis quelques années cette préoccupation monter dans notre pays, explique Jérôme Martinez, le tout nouveau secrétaire général de la Cimade. Beaucoup de Français éprouvent les pires difficultés à faire venir un mari ou une femme et nombre d’étrangers doivent renoncer à revoir un proche parce que les consulats exercent des contrôles de plus en plus contraignants. »

La situation des visas est certes très contrastée selon les zones géographiques. Dans tous les pays où il existe un « risque migratoire », c’est-à-dire principalement au Maghreb et en Afrique subsaharienne, le constat est « accablant » soulignent les auteurs du rapport, qui ont effectué six missions sur le terrain. Au Sénégal, au Mali, en Algérie, au Maroc, mais aussi en Turquie et en Ukraine.

Entre opacité et lenteur des procédures La première critique concerne l’opacité et la lenteur des procédures. Concernant les pièces à fournir, « les consulats établissent eux-mêmes les listes sans aucun encadrement législatif », relève le rapport. Par exemple, l’ambassade du Mali exige des justificatifs relatifs aux ressources ou au logement d’un conjoint vivant en France. De plus, alors que le délai moyen d’obtention du document est de 12 jours, certains candidats au départ doivent attendre des mois sans que l’administration n’encoure la moindre sanction.

Dans de nombreux pays, les autorités sous-traitent à des opérateurs privés une partie de l’instruction. En Côte d’Ivoire, il faut par exemple se rendre dans une banque et payer 5 000 francs CFA (7,65 €) une carte à gratter qui donne un code personnel d’appel. « Il faut ensuite dépenser des fortunes à patienter et se perdre sur un serveur vocal », témoigne un Ivoirien dans le rapport.

« Les demandeurs peuvent n’avoir jamais affaire à un agent du consulat », souligne le document. Autre élément de critique, le coût des formalités qui ne cesse d’augmenter. 60 € pour un visa court séjour et 99 € pour un visa long séjour. Or, souligne la Cimade, les sommes ne sont pas remboursées en cas de refus.

Des frais excessifs pour les demandeurs « Les frais versés par les demandeurs seraient bien supérieurs au coût réel de l’instruction des dossiers », souligne le rapport qui estime qu’en 2007, l’activité des visas a rapporté 29 millions d’euros à la France. « Il est bien entendu qu’il n’existe pas de droit au visa, commente Jérôme Martinez. Tous les États conservent légitimement la possibilité de refuser la délivrance d’un titre. Mais ce qui est inacceptable, c’est l’absence de règles, de transparence. La question des visas est un véritable trou noir dans notre droit. C’est d’autant plus choquant que les ambassades ont acquis ces dernières années des prérogatives de plus en plus importantes dans la politique de contrôle de l’immigration. »

Depuis plusieurs années, les autorités françaises ont pourtant pris plusieurs initiatives pour améliorer le dispositif, y compris avec les pays où le risque migratoire est élevé. Elles développent par exemple les visas de circulation, qui permettent à un citoyen étranger de faire plusieurs courts séjours en France pendant une durée de cinq ans, sans avoir à renouveler à chaque fois les démarches. Ces visas de circulation ont presque doublé en dix ans (350 000 délivrés en 2008) selon les statistiques du gouvernement.

La France a aussi passé plusieurs accords de gestion concertée des flux migratoires avec des états africains. En échange de leur engagement à mieux contrôler leurs frontières, leurs ressortissants bénéficient d’une réduction des frais de visa. Le ministre de l’immigration Éric Besson a également simplifié, depuis septembre, la situation des titulaires d’un visa long séjour qui n’ont plus besoin de refaire des démarches une fois arrivés en France pour obtenir un titre de séjour.

Les consulats, ces forteresses

En dépit de ces réformes, la délivrance des visas demeure un sujet de colère dans les pays africains où les consulats français sont devenus des « forteresses », estime Jérôme Martinez. Le ressentiment à l’égard de la France est d’autant plus fort que le trafic des documents est fréquent. En 2007, le rapport du sénateur UMP Adrien Gouteyron, l’un des très rares travaux sur le sujet, estimait que les « cas avérés de corruption sont fréquents » autour de la délivrance des visas. « Rares sont les consulats épargnés », insistait le sénateur.

Le rapport de la Cimade conclut cette enquête par une série de 13 propositions pour améliorer la politique de délivrance des visas. Il suggère notamment de fixer des « critères limitatifs sur lesquels peut se fonder un refus » de l’administration française.

Bernard GORCE

 

Les différents visas

Le visa est un titre délivré par les consulats ou ambassades à un étranger qui souhaite se rendre en France. Il ne faut pas le confondre avec le titre de séjour (carte de résident…) délivré sur le territoire national, en préfecture. En dehors des visas de transit, il existe plusieurs types de visas :

Le visa touristique

C’est un visa de court séjour, qui ne permet pas de résider en France plus de 90 jours.

Le visa de circulation

Délivré pour plusieurs années, il permet de faire plusieurs séjours, à condition de ne pas dépasser

90 jours par semestre. Il est délivré pour motifs professionnels ou de vie privée.

Le visa Schengen

Depuis le traité d’Amsterdam de 1997, les visas court séjour sont le plus souvent des visas européens qui permettent de circuler dans tout l’espace Schengen (l’Union européenne moins certain pays, comme la Grande-Bretagne et l’Irlande).

Visa long séjour

Également appelé visa d’installation ou d’établissement, il permet de rester en France plus de trois mois. Et, en principe, d’obtenir un titre de séjour, comme la carte de résident. Les visas long séjour sont délivrés aux étudiants, aux conjoints de Français, aux familles de réfugiés, aux mineurs (adoption…), au titre du regroupement familial ou pour l’exercice d’une activité professionnelle. Conformité et dispenses

Les visas biométriques

Suite à la décision du Conseil européen de 2004 de développer les visas biométriques, la France en a délivré 600 000 en 2008, soit 30 % de la totalité des visas.

Dispenses

Les ressortissants de l’Union européenne sont dispensés de visas. L’Europe dresse une liste blanche des pays tiers dont les ressortissants sont dispensés de visas court séjour. Il s’agit de pays qui ne présentent pas de « risque migratoire ».

 

Les Sénégalais s'exaspèrent de la longueur des procédures

Tous les ans, 30 000 Sénégalais entament la démarche. Ils doivent obligatoirement passer par un serveur téléphonique extérieur et fournir une liste impressionnante de documents

Moussa, 30 ans, chauffeur de son état, est originaire d’un quartier populaire de Dakar. Dès le mois de mai, il a commencé ses démarches pour venir en France cet été, en appelant Africatel, le serveur extérieur qui gère, pour l’ambassade, les prises de rendez-vous pour l’obtention des visas.

Cette procédure a été imposée depuis février 2001 aux demandeurs sénégalais, toujours très nombreux. 30 000 personnes demandent chaque année un visa pour la France. Et la procédure n’est pas exempte de ratés.

« J’ai dû me rendre dans une banque et payer 5 000 francs CFA (7,65 €) pour obtenir un code d’accès. Ensuite, je disposais de 12 minutes au téléphone pour décliner mon état civil et que l’on me donne une date de rendez-vous pour la remise du dossier. Il vaut mieux être préparé car ça peut couper à tout moment à cause des pannes d’électricité ou de téléphone », raconte le jeune homme encore sous le coup de l’émotion après cette expérience malheureuse.

Convocations inutiles

À l’instar de nombreux autres demandeurs, convoqués comme lui pour un premier rendez-vous le 15 juin, une surprise amère l’attendait à son arrivée à 8 heures du matin ce jour-là. Ni son nom, ni son numéro de passeport, ni sa date de naissance ne figuraient sur la liste des personnes prévues à l’entrée du consulat, toujours sous bonne garde, malgré sa convocation en bonne et due forme. Il a donc été « refoulé » avec dix autres personnes dans la même situation que lui.

« Évidemment, j’ai aussitôt cherché à rappeler Africatel pour avoir une explication. Mais pour arriver à les obtenir, il m’a fallu recommencer toute la procédure du code d’accès en payant à nouveau 5 000 francs CFA », témoigne-t-il. Son erreur ? Il avait tout simplement « omis » de confirmer son premier rendez vous 48 heures à l’avance. Du coup, il avait été purement et simplement rayé de la liste des rendez-vous pour ce jour-là. « C’est scandaleux de procéder ainsi car, évidemment, personne ne m’a dit qu’il fallait que je rappelle au moment de ma première inscription », commente-t-il, très mécontent, d’avoir perdu à nouveau quinze jours pour pouvoir obtenir une nouvelle convocation afin de déposer son dossier.

« On a vraiment l’impression que tout est fait pour nous dissuader d’aller en France » « Je dois voyager vers le 10 juillet et je ne sais toujours pas si je vais pouvoir partir. On a vraiment l’impression que tout est fait pour nous dissuader d’aller en France, simplement parce que nous venons d’Afrique. Alors que les Français, eux, peuvent entrer librement au Sénégal sans même avoir besoin de visa touristique », s’insurge-t-il.

Moussa fait, pourtant, partie des « chanceux » puisque son employeur l’a déclaré à l’Ipres, la caisse de retraite des travailleurs sénégalais. Il a ainsi été en mesure de fournir toutes les pièces exigées par l’administration consulaire, dont la liste est très longue et pas toujours justifiée, surtout pour un visa de court séjour.

« Les ressortissants sénégalais souhaitant se rendre en France doivent, quelle que soit la durée du séjour, fournir des bulletins de paie pour les trois derniers mois, des relevés de leur compte bancaire, également pour les trois derniers mois, une attestation de domicile, une attestation de mise en congé de leur employeur pendant le séjour, une lettre d’invitation et de prise en charge en France, une assurance voyage et de rapatriement qui coûte 60 € pour trois mois, et n’est pas remboursée en cas de refus, pas plus d’ailleurs que les frais de visa, également de 60 € », explique un employé du consulat de Dakar ayant requis l’anonymat. « Évidemment, dans beaucoup de cas, toutes ces pièces sont difficiles ou impossibles à réunir. Or, il suffit qu’une seule pièce manque pour que le visa soit automatiquement refusé », ajoute-t-il.

80% des demandes seraient satisfaites Pour le nouveau consul de France à Dakar, Jean Marc Grosgurin, ces difficultés ne sont qu’apparentes, car plus de 80 % des demandes annuelles de visa émanant du Sénégal sont satisfaites. « Ce qui est pénible, ce sont les interventions incessantes pour telle ou telle personne, confie-t-il. Nous perdons, aussi, beaucoup de temps à vérifier des pièces cruciales, comme l’état civil ou les certificats de mariage, qui nous sont parfois données sous une forme peu présentable. Forcément, nous sommes suspicieux. »

Aérés, spacieux et permettant un accueil personnalisé et « plus humain », les locaux du service des visas du consulat de France à Dakar délivrent, depuis le 22 décembre 2007, des visas biométriques. Une procédure fiable, rapide et totalement confidentielle qui « permet d’augmenter le nombre de visas de circulation, conformément aux vœux de l’Union européenne », selon les autorités consulaires. « C’est mieux qu’avant, reconnaît une ressortissante française mariée à un Sénégalais, mais les procédures restent quand même, encore, extrêmement tatillonnes. »

Le Sénégal a été l’un des premiers pays à introduire l’instruction civique et l’apprentissage du français pour les conjoints de ressortissants ou de résidents français. Il a aussi permis aux étudiants désireux de poursuivre leurs études en France d’effectuer toutes les démarches administratives en ligne grâce à la mise en place d’un « Campus France ».

< « Nous préférons nous tourner vers les Etats-Unis »

« Les élèves sénégalais qui ont une mention au bac ne rencontrent aucune difficulté pour obtenir un visa étudiant », selon un responsable d’établissement sénégalais. En revanche, sur le front des visas de travail, qui est la grande nouveauté de l’accord sur la gestion concertée des flux migratoires ratifié par les deux pays en 2009, c’est le statu quo.

« Avec la crise actuelle et le chômage en France, il ne faut pas rêver. On va continuer à refouler les sans-papiers ; les visas de travail pour la France seront délivrés au compte-gouttes. C’est pourquoi nous préférons nous tourner vers les États Unis », commente un jeune diplômé sénégalais. Christine HOLZBAUER, à DAKAR

 

Hélène Flautre

« L’Europe exige beaucoup »

Hélène Flautre, eurodéputée française (Europe écologie):

« Tout ce que les gouvernements des pays hors de l’UE, comme la Turquie, sont prêts à concéder, en échange d’une facilité de visas pour leurs ressortissants, montre combien sont grandes les difficultés pour obtenir ce document. Y compris pour les chercheurs, les chefs d’entreprise, les groupes musicaux, autrement dit les « élites » de ces pays. Ces pays s’engagent à mieux contrôler leurs frontières externes et à mettre en place des systèmes biométriques. Ils signent des accords de réadmission des personnes en transit sur leur territoire. Tout ceci est très coûteux pour eux. Mais ils sont pourtant prêts à le faire, sachant à quel point la facilité de visas pour venir en Europe répond à une demande forte de leurs populations. L’Europe a bien compris que, en contrepartie, elle pouvait en fait externaliser le contrôle de ses frontières. »

Propos recueillis par Sébastien MAILLARD, à Strasbourg



11/07/2010
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