ABÉCÉDAIRE POLITIQUE DES ANNÉES CONTESTATAIRES (III)


Manif Conference Souveraine:Camer.beLa troisième livraison ci-dessous de notre ''Abécédaire politique des années contestataires'', opuscule inédit des années 991/92, s’attarde sur la lettre ''C''. C comme ''Carton Rouge''. Nous y opérons le détour qu’il faut sur les fameuses ''Caisses noires'' du régime, le ''Compte hors budget'' ou les ''Comptes secrets'', la fuite des capitaux, par exemple, pour parler finance ou gros sous. Pour ce qui est des thèmes proprement politiques (Censure, Conférence tripartite, Conservateurs etc.), militaires (Cailloux, Cocktail Molotov, Commandements opérationnels, etc.), et autres, l’abécédaire n’en expose certainement pas un éventail exhaustif mais révélateur plutôt.

C COMME CARTON ROUGE

CAISSES (Noires) : se dit, chez nous, des caisses qui doivent leur couleur à l’or noir qui les approvisionne et garantit leurs colossales liquidités. Tant que les puits ne sont pas secs !

CAILLOUX : cri de guerre des jeunes manifestants lors des échauffourées avec les forces de l’ordre. Dans la polémologie de rue au Cameroun, le caillou est l’inséparable compagnon de lutte du ''zoua''.

CAMEROUN-EXPRESS : hebdomadaire paraissant jadis à Bafoussam et dirigé alors par un certain Fréderic Fenkam. On dit qu’il roula un temps pour l’UDC de Ndam Njoya. Particularité notoire : seul journal au monde à avoir interviewé Jean Fochivé, ci-devant tortionnaire notoire. En le caressant dans le sens du poil, bien sûr. Et non dans le sens du courant électrique qu’il sait faire subir aux suppliciés dans les caves chausse-trappes du Cener.

CAPITALISME. Les révolutionnaires camerounais ne savent peut-être pas très exactement encore ce qu’ils veulent pour le Cameroun de demain. Mais ils savent d’ores et déjà très bien ce qu’ils ne veulent plus : un pays rongé par le capitalisme néocolonial, qu’on l’ait appelé hier ''libéralisme planifié''  ou, aujourd’hui, ''libéralisme communautaire ''.

CAPITAUX (Fuite des) : discipline sportive la plus pratiquée des ministres et hauts fonctionnaires de l’appareil d’Etat sous le Renouveau-Rigueur-Moralisation. Les adeptes de ce sport-roi, sous Biya comme sous Ahidjo, le pratiquent sous deux formes : la fuite de fond et la fuite de vitesse, selon qu’ils tablent sur une durée de bouffe plus ou moins longue à leur poste. (Nota Bene : ne pas confondre '' fuite des capitaux '' et '' fuite des capitaines '' encore qu’on ait soupçonné le transfert de biens des capitaux par certains capitaines lors du putsch manqué d’avril 84).

CAP-LIBERTE : Comité d’action populaire pour la liberté et la démocratie. Fondateur : le très remuant activiste Djeukam Tchameni, récemment rentré d’exil du Burkina et des USA. Quand Djeukam et Cap-Liberté crient : '' La liberté n’a pas de prix », Biya, Fochivé, Andzé et Kontchou, en écho, rétorquent : ''La dictature non plus ! ''. Raison pour laquelle les organisations de défense des droits de l’homme sont toutes interdites. Pour ''trouble à l’ordre public'', soi-disant. Ainsi, le cap pris par le régime du Renouveau s’avère manifestement de la plus mauvaise désespérance qui soit.

CARTON ROUGE : opération nationale d’agitation politique lancée par Cap-Liberté en 91. Elle fit tant de carton contre Biya qu’on vit son régime militaro-policier cartonner aveuglement contre les populations pacifiques.

CASSEURS. L’incendie de l’Hôtel Arcade à Douala aura montré que les '' casseurs '' ne sont pas toujours ceux qu’on croit. A l’occasion de ce crime, on dit que les gardiens du complexe hôtelier émirent le conseil suivant à l’attention des agents de la Sémil (Sécurité militaire) pris en flagrant délit : '' Un casseur voulant casser doit savoir casser sans se faire pincer ! ''
CATHOLIQUE (Eglise) : église chrétienne à l’instinct réactionnaire le plus ancré. Si le conservatisme semble y être un dogme intangible, le courant libéral n’est plus aussi minoritaire qu’autrefois. Les prises de positon de la hiérarchie catholique sur la situation nationale – par le bais de la conférence épiscopale – sont, certes, courageuses au regard du mutisme qui prévalait auparavant, mais restent encore très en deçà des exigences démocratiques de l’heure. Force est de constater, néanmoins, que les réactions de l’intelligentsia catholique (pastorale et laïque) sont de très loin en en avance sur celles des protestants dont les milieux, pourtant, ont favorisé jadis  l’essaimage des idées nationalistes.

CENER : Voir : Assassinats, Arrestations, Fochivé, Tortures.

CENSURE : cache-sexe infâme de la dictature du Renouveau pour empêcher que le peuple ne découvre, dans toute sa laideur, la nudité du Roi. C’est au père Andzé Tsoungui du Minat qu’incombe l’horreur d’avoir systématisé, dans la presse, après que l’ex-ministre Mbombo Njoya eût lâché du lest, la pratique de la coupe grossière d’écrits embarrassants pour le pouvoir. Tout comme, dans les soixante, le même homme avait systématisé les coupes (de têtes) sur les personnes accusées de ''subversion''.

CENTRE (Province du) : nombril apparent du Cameroun, si l’on sen tient à la déclamation suivante célébrissime de Paul Biya : ''Tant que Yaoundé vit, le Cameroun respire ''. En effet, le dictateur ne fait que prendre son ''Centre'' pour le nombril du pays. Il énonce ainsi, à sa façon, le vieux principe ancré chez nous et cultivé depuis l’ère Ahidjo déjà de la gravitation tribalo-régionaliste.

CFA : abréviation de l’anachronique ''Comptoirs Français d’Afrique'' qui n’exprime en rien la réalité actuelle, à savoir : ''Continent par le Franc Assassiné ''. Car la France, nous dit l’économiste Tchuidjang Pouemi, est le seul pays au monde à réussir le tour de force de faire circuler sa monnaie – et rien que sa monnaie – à l’extérieur de ses frontières. Qui dit mieux ? En attendant, on se demande si l’intelligentsia africaine fait aussi bien circuler les thèses du professeur tragiquement disparu.

CHAPELLE (La) : célèbre temple de notre saigneur Fochivé. On y loue le culte de la torture. Pour prouver que Dieu n’existe pas. Encore moins là qu’ailleurs…

CHALLENGE-HEBDO : seul journal au monde à s’être doté, un court moment, d’un ''Bureau politique''. Mais l’hebdomadaire indépendant de Benjamin Zébazé ne cherche pas le pouvoir, en dépit d’une liberté de ton et d’un langage des plus crûs et durs envers le régime. Tout au contraire, c’est bien le pouvoir qui cherche à l’abattre. Journal des anglos-bamis, ''patriote '' t-on çà et là. Journal rebelle donc. eEt, partant, à à battre. C.Q.F.D. (Ce qu’il fallait… dénoncer !)

CHATEAU (Clique du) : est à l’Union des populations du Cameroun (UPC) ce que la clique du Palais (d’Etoudi) est au Cameroun : une plaie.

C.H.B : Compte Hors Budget. Compte quelque peu beaucoup constitutif de la base salariale du Chef de l’Etat  et des caisses noires du régime.

COCKTAIL MOLOTOV : arme offensive de prédilection des manifestants contre les forces de l’horde anti-changement. Pour un pays comme le Cameroun qui a connu la lutte armée, l’apparition pour le moins tardive des cocktails Molotov dans les émeutes populaire est symptomatique de la passivité pathologique de ses masses, au lendemain des années de répression féroce.

COMARIN (Elio) : journaliste français et ''réel ami du Cameroun '' en ce sens qu’il a toujours, au même titre qu’un Jean Ziegler (voir ''Les rebelles'') ou un Yves Benot (voir ''Idéologie des indépendances africaines'', parlé du Cameroun avec le langage de la vérité, de l’objectivité tout au moins. Journaliste alors au quotidien  de gauche ''Libération'' à la fin des années 70, on doit à Comarin le mérite d’avoir été le premier et le seul à faire un reportage à chaud sur le petit village de Dollé dans l’Extrême-Nord, rasé par commandos parachutistes d’Ahidjo-Mey en 79. Se trouvant alors à Ndjamena au moment des faits c’est l’afflux insolite de nombreux blessés provenant de l’autre côté du fleuve Chari qui lui mt la puce à l’oreille. Son remarquable reportage fut titré, sur toute la une du quotidien : '' Cameroun : Echos noirs des savanes ''. Le journal Le Monde et le Canard Enchaîné par la suite, plusieurs mois après, allaient confirmer le massacre. Quant à Jeune-Afrique de Béchir Ben Yahmed et de Jos-Blaise Alima, hebdomadaire largement pro-Ahidjo s’il en fut, il passa carrément l’évènement sous silence. C’est à Comarin aussi qu’on doit la rédaction d’écrits intéressants sur la lutte indépendantiste de l’UPC, parus dans Le Messager en 1990 à l’occasion de la commémoration des 3 ans d’indépendance de l’Afrique Noire Francophile.

COMBATTANT (Le) : vieil hebdomadaire paraissant autrefois à Douala et qui, pendant longtemps, n’a pas spécialement… combattu, s’étant plutôt travesti en un     ''Ici Paris ''-bis avec sa spécialisation dans les faits divers. Sa couverture médiatique remarquable du procès Yondo-Ekanè ainsi que sa la lutte clairement affichée pour le multipartisme ne l’empêcheront toutefois pas de sombrer, peu après, dans le marketing politique du mauvais produit D.KW. (Dika-Kodock-Wonyu), de l’UPC andze-tsounguienne. Car, selon Le Combattant, si '' La liberté n’a pas de prix ’’, celle de se prostituer en a certainement un.

COMICE (Agropastoral) : grande farce au monde rural au cours de laquelle le Chef de l’Etat, habillé pour la circonstance en gentleman-farmer, se convainc qu’il touche du doigt les réalités du métier agricole à force d’éponger la sueur qui lui dégouline à grosses gouttes du front pendant qu’il effectue son tour complet des stands d’exposition, à pied, sous le soleil, dans la poussière.

COMMANDEMENTS (Opérationnels) : contribution exceptionnelle et grandiose du ministère des forces armées au problème de résorption du chômage endémique. En effet, avec la mise sur pied de commandos extrêmement opérationnels, les questions aigues de l’emploi…. de la force militaire vont effectivement être à l’ordre du jour.

COMMERÇANTS : chauds partisans des villes mortes. Ils jurent de mourir ''rebelles'' tant que  le gouvernement n’ouvrira pas les dossiers de l’amnistie fiscale et de la baisse sensible des taxes et autres impôts.

COMPTES (Secrets) : se dit des comptes qui, dans les pays pauvres gouvernés par des potentats à la gâchette facile, ont la particularité de drainer vers l’occident les capitaux ayant fui la construction d’écoles, de dispensaires, de routes, d’adductions d’eau, etc. Le tout à des fins d’asile financier grassement rémunérateur. Ce n’est qu’une fois que lesdits potentats sont en passe de mordre la poussière - ou la boue, selon la tropicale saison - que les grandes démocraties bancaires, adeptes du secret du même nom, s’empressent alors de dévoiler, çà et là, le montant des sommes faramineuses dérobées aux masses miséreuses.

CO.NA.BI.M.A. : Commission nationale des biens mal acquis. Bête noire des ennemis jurés de la Conférence nationale souveraine, par laquelle le grand déballage sur les crimes économiques des régimes Ahidjo et Biya pourrait se faire. Proposée dès 79-80 par l’UPC clandestine dans son Programme Général, la Conabima a été reprise à son compte et à son moule par Shanda Tomne dans un article fracassant sur les fonctionnaires paru fin 91 dans ''Challenge-Hebdo''.

CONCURRENCE (Politique) : euphémisme bon teint utilisé par le régime-RDPC pour masquer le caractère sanglant de la lutte politique telle que menée par la bourgeoisie néocoloniale hyper conservatrice qui gère le pays depuis l’indépendance. La concurrence politique sous Biya est faussée dès le départ par la collusion congénitale du RDPC et de l’Etat, l’un s’appuyant plus ou moins grandement sur l’autre pour entraver l’action de l’opposition vraie.

C.N.S : Conférence nationale souveraine. Importante table-ronde nationale ayant pour objectif de trouver des solutions consensuelles aux problèmes fondamentaux du pays, à commencer par ceux politiques. Le refus catégorique de tenue, depuis plus d’un an, d’une CNS camerounaise par Paul Biya pose le problème de savoir si les dictatures francophiles ultra sanglantes, nées et bâties dans le sang des patriotes, peuvent cautionner leur propre mort politique par un ''coup d’état civil '', selon Kontchou K., qui ne sait se tromper que lorsqu’il s’agit de dénombrer les morts à l’Université. ''Coup d’Etat'' quand même, rétorque l’armée via Semengué. D’où les centaines de morts pour écraser les civils de mutins.

CONFERENCE (Tripartite) : célèbre complaisance historique par laquelle trois entités représentatives de la société servile (gouvernement, personnalités ''indépendantes'' et partis politiques opportunistes : UPC-Dika, UDC, UNDP, SDF,…) se regroupèrent. On vit alors combien l’ex-parti unique ne pouvait s’empêcher de manœuvrer pour ''monopartiser'' en rond, dans un contexte de multipartisme ''a-démocratique''.

CONSERVATEURS : synonyme de réactionnaires. Groupe de forces politiques foncièrement opposées à toute évolution ou changement du système politique actuel dans lequel elles sont hégémoniques. Les conservateurs ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Ils ne sont conscients du changement qu’au clic des menottes se refermant sur leurs poignets.

CONTROLES (Routiers) : dispositifs pernicieux à partir desquels policiers, gendarmes et autres ''routiers'' aiment à contrôler systématiquement la propension des petits transporteurs à compatir à leur misère (de pauvres fonctionnaires rivés à l’asphalte et aux cruelles intempéries tropicales) en les délestant d’un billet de banque. De préférence à trois zéros.

CONSTITUTION : est bien loin d’être la plus belle d’entre toutes. Pourtant, demeure la plus violée, qui plus est, par le premier magistrat du pays venu…

COOPERATION (Française): Colonisation se voulant à visage humain.

COORDINATION : abréviation commode de l’ex-Coordination nationale des partis d’opposition et associations. Conglomérat d’opposants s’affichant tous pro-conférence nationale souveraine. La Coordination eut le mérite de drainer sur sa gauche le gros de l’opposition au régime RDPC. Son éclatement et son échec étaient prévisibles à partir du moment où le gros des opposants la composant était de droite ou d’obédience droitière à tout le moins. L’élection à sa tête d’un Samuel Eboua – qui n’est ni plus ni moins, et beaucoup plus que moins d’ailleurs, qu’un pilier du régime 400 mille morts d’Ahidjo – l’élection donc à sa tête d’un Samuel Eboua rendait opportune la question de savoir comment, pour ébranler les assises d’un régime à droite toute lui aussi, une coordination à coloration droitière dans sa majorité pouvait-elle faire aboutir la revendication de gauche qu’est la C.N.S.

CORRUPTION : fondement infrastructurel de la société camerounaise actuelle. Supprimez la corruption, la société camerounaise s’écroule. Voilà bien une chose salutaire que le Renouveau ne veut à aucun prix.

COUPEURS (De route) : se dit des éléments de la Sûreté nationale et de la Gendarmerie nationale qui, juchés sur leur engins tels des seigneurs en pays conquis, de préférence à proximité d’un débit de boissons, se plaisent à ''couper'' aux transporteurs dociles ou larbins quelque billet de banque sous prétexte de contrôle routier. Dans la profession, le billet de banque est fort joliment appelé ''coupe-faim'' !

COURANT (Electrique) : Ses propriétés physico-chimiques permettent à Jean Fochivé, en déliant les langues des subversifs maximalistes, d’éclairer au mieux le régime qu’il sert sur la meilleure formule pour se cramponner au pouvoir.

CREDIT (Lyonnais) : tête de pont du lobby financier néocolonial français pour la reconquête du Cameroun. Raison pour laquelle SCB-CL-Cameroun signifie : Sauvons Ce Biya : Colonisons Librement (son) Cameroun. On comprend dès lors mieux le fameux slogan : '' Le Crédit Lyonnais veille sur votre argent '', qu’on doit rapprocher du non moins fameux : ''Soyez passifs, nous bouffons pour vous !''.

CRISE : abréviation selon d’aucuns de : ''Cameroun Retourne Inexorablement à Situation Explosive''. Ou de ''Catastrophe Réversible Imputable au Système Economique''.

CRTV. On a pu dire avec raison dans le temps qu’ ''Un griot qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». Brûlez CRTV (sanctuaire de griots), les bibliothèques ne s’en porteront pas plus mal !

CULTURE : on peut dire ainsi de ce qui restera le moins lorsque l’état néocolonial camerounais et son ministère zéro de la culture auront tout aliéné.

© Correspondance : Théophile NONO


17/07/2012
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