A propos de la paix: Le Cameroun est-il un volcan endormi?

DOUALA - 24 Mai 2012
© Jean. B. Sipa | Le Messager

Le Service civique pour La paix au Cameroun, a organisé du 22 au 25 mai 2012, un atelier regroupant une trentaine de ses membres dans un Centre touristique huppé de Bakinguili dans le Sud-Ouest.

Les Camerounais ont beaucoup entendu parler de paix et de stabilité avant, pendant et après la dernière élection présidentielle, en octobre dernier. Ils viennent à nouveau d'être abreuvés des mots unité, paix, stabilité à l'occasion de la fête du 20 mai. Et c'est très souvent qu'on entend les dirigeants du pays affirmer que «le Cameroun est un havre de paix» ou un «modèle de stabilité et de sécurité en Afrique». Un certain calme et une relative tranquillité semblent donner raison aux tenants du système gouvernant. Mais la question demeure: «la paix n'est-elle que l'absence de la guerre?»

A cette question, la réponse négative semble si évidente. Au Cameroun comme en Afrique, qu'un réseau d'organisations de la société civile internationale, d'obédience chrétienne (Eglises catholiques et protestantes) baptisé «Service civique pour la Paix», s'est engagé à «travailler pour une paix juste et durable au Cameroun», tant il est vrai que le contexte sociopolitique du pays est loin de conduire à «un ordre social paisible et propice au développement humain durable»

Ce n'est donc pas par hasard qu'au lendemain de la «Fête nationale de l'Unité», le Service civique pour la Paix au Cameroun, qui a vu le jour en mai 2011, organise du 22 au 25 Mai courant, dans un Centre touristique huppé de Bakinguili dans le Sud-Ouest du Cameroun, un atelier regroupant une trentaine de ses membres, en vue d'évaluer le degré d'intégration par tous ses partenaires, de sa vision de la Paix qui est, «bien plus que l'absence de la guerre» et doit «contribuer à un développement durable de la société, à une justice permanente, et à l'amélioration constante des conditions de vie des populations».

Pour le Scp-Cameroun ainsi réuni, la paix ne peut être seulement le contraire de la guerre. «Elle est équilibre intérieur de l'homme, équilibre à l'intérieur de chaque nation, équilibre entre les nations, et elle est liée aux valeurs de justice, de démocratie, de tolérance, aux droits de la personne humaine et aux droits des peuples». Ce réseau œcuménique qu'anime le trio camerouno-¬germanique Flaubert Djateng, Christiane Kayser et Frank Wiegandt, affirme haut et fort qu'« il n'y a pas de paix sans justice, (que) prôner la paix tout en créant, en tolérant ou en niant des injustices manifestes est, par définition, contradictoire. (Et que) la paix ne peut davantage s'établir durablement hors d'un cadre étatique fondé sur le droit».

Aussi entend-il conduire un travail civil et non violent en vue d'un Cameroun où les jeunes contribuent à la stabilité en étant impliqués dans les prises de décisions concernant l'avenir du pays; où les ressources naturelles et le potentiel entrepreneurial sont valorisés et utilisés pour (...) le mieux-être des citoyens; où la valorisation du statut socio-culturel, juridique et politique de la femme et de la jeune fille est considéré par tous comme condition de justice sociale; où les élections, comme droit et devoir des citoyens se déroulent de façon transparente, pacifique et participative; où les responsables, à tous les niveaux, sont tenus à la «recevabilité» comme base de bonne gouvernance; où l'intégrisme et le radicalisme sont dépassés à travers le dialogue interculturel et interrégional d'une part, et le respect de la diversité culturelle et religieuse d'autre part.

Une telle vision du travail pour la paix est si idéaliste, dans le contexte camerounais couramment décrit par l'opposition politique (misère, corruption, inégalités, violations des droits individuels, chômage des jeunes, déficit éducatif et agricole, pénuries d'eau et d'électricité, tribalisme, népotisme, citoyenneté à plusieurs vitesses, etc. qui sont autant de menaces à la vraie paix), qu'on résiste à peine à parler d'utopie. Mais, le Service civique pour la Paix ne semble manquer ni de références éthiques et stratégiques, ni de détermination.

Dans son ouvrage guide intitulé «Travailler pour une paix durable au Cameroun», le Pr Ka Mana du Cipcre (qui est membre du réseau), dit ceci: «Entre l'autosatisfaction du pouvoir en place, et le tableau catastrophique que peint l'opposition, un discours plus réaliste et plus lucide donne une autre image de la paix au Cameroun», cette image ressortant justement du discours de la société civile qui, lui, n'est pas idéologique, mais jette un regard froid sur une société dont la fragilité inspire prudence et prévoyance.

«Le Cameroun, écrit le Professeur, est un volcan dont on ne sait pas à quel moment il va entrer en éruption. De temps à autre, on l'entend gronder et libérer des ébullitions annonciatrices des désastres, comme en 2008 quand les jeunes se mirent en révolte dans les émeutes de la faim. Certaines menaces séparatistes symbolisent une implosion possible. Même si elles sont encore minimisées de par leur manque d'ampleur, il n'en demeure pas moins qu'elles manifestent des agitations de profondeur dont la magnitude pourrait un jour atteindre des dimensions inattendues, surtout quand on connaît le poids des tendances tribalistes dans la gestion du pouvoir dans le pays...». Ka Mana redoute même que ces tendances ne deviennent des conflagrations d'identités meurtrières, si rien n'est fait pour «casser les ressorts de la monopolisation du pouvoir politique et des avantages économiques qu'ils confèrent à certaines tribus...»

De là à penser que la paix et la stabilité dont le Cameroun serait «le Havre», selon certains qui ne disent même pas à leurs compatriotes ce que symbolise «Le Havre» qui est une ville française, delà donc à penser que cette paix et cette stabilité seraient «à inventer», il n'y a qu'un pas que le Scp Cameroun a franchi, et recherche maintenant comment procéder à cette réinvention. Comment faire, par exemple, pour «éviter que la désespérance des couches sociales écrasées par la pauvreté chronique, et d'une jeunesse massivement désœuvrée, n'aboutissent un jour à des explosions sociales aujourd'hui inimaginables? Comment faire pour que tous les Camerounais aient une citoyenneté égale et bénéficient d'une justice distributive équitable?»

Pour dire vrai, ce questionnement n'est pas du tout banal, et les Camerounais qui nous lisent ici ne peuvent pas se dire patriotes et en paix, en abandonnant «au seul réseau du Service civique pour la Paix», le soin d'y trouver des réponses dans un cadre plus convivial que les émeutes ou la guerre civile.



24/05/2012
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