A PROPOS DE LA MODIFICATION DE LA CONSTITUTION

A PROPOS DE LA MODIFICATION DE LA CONSTITUTION

A PROPOS DE LA MODIFICATION DE LA CONSTITUTION

 

 

L’intention coupable de la modification de la Constitution est à peine voilée. Il y a d’abord la rumeur confortée par l’affluence des soi-disant motions de soutien en faveur de cette modification, en réalité orchestrées par l’appareil d’Etat qui se confond avec celui du parti au pouvoir. Il y a ens...uite, opinant à cela, l’intervention dans les médias des apparatchiks du régime. Nous savons qu’un aménagement constitutionnel nécessite un vote des 2/3 de la Chambre basse. Or, le Rdpc enregistre 153 députés sur un total de 180. Ce qui, en cas de vote, s’apparenterait à un plébiscite. Pourtant il ne fait de doute à personne que le parti de la flamme ne vaut pas une telle majorité à l’Assemblée, tant il est rattrapé par la mauvaise gouvernance des gens à qui il a confié les destinées de notre nation. Il y a donc, et enfin, cette confortable majorité à l’Assemblée nationale que s’est octroyée Paul BIYA, suivie de l’augmentation des indemnités des députés.

Certes, l’article 63 de la Constitution recommande à l’exécutif de faire modifier celle-ci par voie référendaire. La question qui reste entière est de savoir si le peuple y gagnerait, tant il est constant que Paul BIYA a en affection de se donner la majorité qu’il veut et quand il le veut. 

Cette modification déjà programmée n’est donc plus qu’une question de temps. Et il est à craindre qu’elle passe comme une lettre à la poste, car les réactions des Camerounais sont cycliques. Pour accéder à l’indépendance, nous avons connu la guérilla au début des années 50, même si elle s’est prolongée plus tard. Et pour obtenir le multipartisme nous avons vécu presque trois ans d’insurrection au début des années 90. Nous ne sommes pas loin d’une quarantaine d’années entre les débuts de ces deux événements ayant marqué de leur sceau la vie politique de notre pays. Rien n’est donc moins sûr quant à une réaction populaire qui sanctionnerait une modification de la Constitution. Sauf peut-être à espérer un éclairage qui ferait prendre conscience à tout un chacun, précipitant du même coup le Cameroun tout entier dans une crise sans précédent.

La problématique de la modification de cette Constitution revêt, à notre sens, deux aspects : l’aspect humain et l’aspect institutionnel.

Pour ce qui est de l’aspect humain, il est inconcevable qu’aussi doué, aussi compétent que l’on croit ou qu’on puisse être, on veuille transformer un pouvoir républicain en un pouvoir monarchique, voire dynastique. Faut-il rappeler que Ronald REAGAN quittera le pouvoir au faîte de sa popularité ? Pourtant, avec sa politique monétariste, il placera les Etats-Unis à la tête du hit parade des pays industrialisés, s’ils l’ont jamais abandonnée. Il en sera de même pour Bill CLEANTON, la présidence aux Etats-Unis n’excédant pas deux mandats. Jacques CHIRAC de son côté, pourtant encore estimé des Français, a dû être emporté par la lame de fond sarkozienne et par la force de l’âge. Tandis que le jeune et sémillant Tony BLAIR, à la suite de la chute de sa popularité, passera le relais à son compagnon Gordon BROWN, bien moins charismatique.

Faire référence à ces hommes politiques, c’est oublier qu’en Afrique, nous nous délectons à prendre en exemple le pire et jamais le meilleur, cultivant ainsi la médiocrité. La corruption ? Mais les Blancs sont les plus corrompus et ce sont eux qui l’ont importée chez nous, voyons ! Et que font-ils de mieux ? Rien, car nous sommes les meilleurs ! Rien ne marche chez nous ? Mais il n’y a qu’à regarder à côté, c’est pire ! Extraordinaire, non ? 

Nous ne nous excluons pas de ce lot. Mais nous le disons sans fard, même si cela peut choquer, car chacun de nous devrait se regarder dans la glace, se remettre en cause, si nous voulons progresser. La plupart de nos dirigeants ont fait leurs études à l’étranger. Beaucoup d’entre eux voyagent énormément. Pourquoi ne leur viendrait-il pas à l’idée de prendre comme modèles les pays qu’ils visitent pour mieux gérer le nôtre ? Certaines des décisions qu’ils auraient eu à prendre, en particulier pour lutter contre le désordre dans nos villes n’exigent pourtant pas des sommes colossales.

Globalement, il ne nous viendra pas à l’idée de nous demander pourquoi ne ferions-nous pas mieux que les autres. L’équipe nationale de football essentiellement composée de joueurs évoluant à l’étranger, par conséquent, ayant acquis une autre mentalité, une autre dimension, sert indubitablement aujourd’hui d’émulation aux équipes d’autres disciplines sportives. Que faisons-nous concrètement pour l’évolution du sport chez nous ? Mais ça, c’est un autre débat.

Dire que le peuple n’a que les dirigeants qu’il mérite est un lieu commun. Mais tout dirigeant qui aspire au bien-être de son peuple n’est-il pas condamné à œuvrer pour avoir à son tour le peuple qu’il mérite ? La mission de tout leader dans la société est l’éducation des masses populaires.

Rester 25 ans au pouvoir, voire 40 ans à l’instar de notre cher et commun Omar BONGO, ou même davantage, et le fêter, c’est afficher un mépris odieux vis-à-vis de son peuple et faire injure à celui-ci. Car cela revient à se prendre pour un illuminé qui, croyant être le seul capable de tenir les rênes d’une nation, brandit une vision eschatologique dès qu’apparaît l’ombre portée de sa disparition. Les cimetières sont pleins de gens irremplaçables, pourtant la Terre continue de tourner.

Un dirigeant qui reste longtemps au même poste n’est plus productif. Aussi bon soit-il, il se sclérose. Et les nôtres qui prennent racine aux mêmes fonctions au-delà de la quinzaine d’années se pétrifient, devenant des statues de très mauvais goût. Il faut savoir quitter la table, quitter les choses avant qu’elles ne nous quittent.

La Roche Tarpéienne est près du Capitole. MOBUTU, TSHOMBE et les autres en savent quelque chose. Tous les potentats qui ont confisqué le pouvoir connaissent une fin peu enviable.

Si Fidel CASTRO est en train de mourir à petits feux, nous rendons par contre un hommage appuyé aux très honorables Nelson MANDELA, Léopold Sédar SENGHOR, Abdou DIOUF, tandis que Jerry RAWLINGS, Ahmadou AHIDJO et Mathieu KEREKOU  se sont rachetés dans nos cœurs. Notre président qui dit vouloir laisser à la postérité l’image de celui qui aura apporté la démocratie au Cameroun a une occasion d’aller au Capitole ou d’être précipité par-dessus la Roche Tarpéienne par le verdict de l’Histoire.   

Quant à l’aspect institutionnel, les lois, fussent-elles fondamentales, sont faites pour les hommes et par les hommes. Or, ces hommes évoluent, a fortiori les lois. Notre Loi fondamentale a donc incontestablement besoin d’un toilettage. Celui-ci ne peut se faire qu’après en avoir débattu. C’est cela la démocratie, n’en déplaise aux chantres du culte de la personnalité et autres magiciens du grand large débat imaginaire jeté à la face du monde comme la poudre de perlimpinpin.

Tenez, notre Constitution fait mention des minorités, des autochtones et des allogènes. C’est un réel débat que semblent vouloir esquiver sinon escamoter les naïfs et ceux que ces notions dérangent pour des raisons diffuses ou inavouées.

L’ethnicité est une diversité et une réalité mondiales irréfutables qu’on ne saurait mettre sous le boisseau. Elle a des richesses qui peuvent porter haut une nation pour peu qu’on sache les capitaliser en une synergie.

Cela fait des mois que la Belgique n’a pas de gouvernement, parce que Wallons et Flamands se crêpent le chignon. Cela fait des lustres que les Basques en Espagne plastiquent immeubles ou lieux publics. En France, nous avons les Corses et il n’est pas jusqu’aux Occitans ou aux Bretons qui n’aient mailles à partir avec le gouvernement. Quoiqu’il en soit, ces nations ont imprimé leur empreinte dans l’échiquier international. Et la Chine, malgré ses difficultés tribales et son épine tibétaine sur le pied avance à pas de géant. Ces exemples sont légion en Asie.

Plus près de nous, il y a eu massacre ou génocide entre Hutu et Tutsi au Burundi et au Rwanda. Les Banya Mulenguè ont payé leur tribut en RdC et les Arabes Choa au Nord Cameroun. Le Nigeria limitrophe n’est pas en reste, et on en oublie.

Il est donc temps, avant qu’il ne soit trop tard, de s’interroger sur une situation qui nous interpelle tous et chacun, afin d’y apporter des solutions idoines. De ce point de vue, ce questionnement est amorcé par la Constitution de 1996 et à cela, c’est un aspect significatif. D’autant que le résultat du recensement de 2003 qui devait nous apporter des clignotants, à tout le moins des balises, s’est évanoui dans la nature. Il ne s’agit pas ici d’encourager le tribalisme, le népotisme et le clientélisme ambiants, mais de les combattre en clarifiant le débat.

Aussi, ces notions de minorités, d’autochtones et d’allogènes ne doivent pas rester tabous. Nous émigrons pour faire nos affaires, mais nous nous plaisons à nous faire enterrer dans notre village, chacun de nous ayant le sien. Il faut savoir que l’Africain étant attaché à sa terre d’origine, nous sommes tous et chacun minoritaires, autochtones ou allogènes quelque part, selon le cas.

Il n’est donc pas dit que les ressortissants du Grand Nord, pourtant plus nombreux dans le pays, soient majoritaires à Yaoundé ou à Douala. Il n’est pas dit que les ressortissants du Nord-Ouest soient majoritaires dans le Littoral ou à l’Est. Il n’est pas dit que les ressortissants de l’Ouest soient majoritaires dans le Grand Nord. Il n’est pas dit que des ethnies entières soient majoritaires à l’Ouest, etc. Il y a par conséquent nécessité de protéger toutes les minorités où qu’elles se trouvent et quelles qu’elles soient. L’Onu ne s’y est pas trompé.

Rappelons en passant que pour ce qui est des autochtones et des allogènes, il est ici question du premier occupant, celui qui aura créé le village, voire la cité concernée ou ce qu’il en était. Sans que cela choque, les Canadiens appellent autochtones les Indo américains et les métis indo-européens d’Amérique. Quant aux allogènes, se sont, pour eux, les Euro-américains, les Noirs, et les métis négro-américains ou eurasiens. C’est cette acception qu’il faille retenir, en tant qu’elle fait de tout ce monde, des Canadiens à part entière. Partant, cela ne veut dire en rien que nous ne sommes pas tous des Camerounais ! Car même les Néo-zélandais ont leurs aborigènes qui ne sont pas moins Néo-zélandais. Encore que le cas canadien s’apparenterait davantage à la situation camerounaise. Notons que les termes autochtones, aborigènes et indigène, synonymes, sont réputés péjoratifs pour ceux à qui ils s’appliquent. Nous n’étions pas fiers quand les colons nous appelaient indigènes ou autochtones, autant qu’il nous en souvienne !    

Si nous nous basons sur une population totale de 12.243.700 âmes telle que le mentionne le 6e Plan quinquennal (le dernier en date et en confection), selon le dernier recensement connu, nous arrivons à des aberrations ahurissantes. Sur cette base, il faut 68.000 habitants par député, étant entendu que la Chambre en compte 180. Dès lors, le Littoral qui totalisait 2.225.200 âmes, avec 1.491.100 pour la seule ville de Douala (département du Wouri) aurait dû avoir 33 députés, dont 22 pour Douala. Or, cette province n’en a que 19, soit 14, (13 pour la seule ville de Douala), de moins selon l’estimation en sièges, en rapport avec la population. Le Centre, avec 2.179.500 habitants (951.300 pour Yaoundé) s’en sort avec 28 députés, sur une estimation de 32, soit 4 de moins. (ça se passe de commentaire). La palme revient au Sud, la province la moins peuplée. Avec seulement 451.200 têtes, cette province  (qui « vote bien » comme celle du Centre) s’en tire avec 11 députés, alors que l’estimation ne la créditait que de 6. Elle en a donc 5 de mieux (sans commentaire). L’Ouest ((1.490.400 h) voit ses sièges augmenter de 4 (22 estimés contre 26 réels). L’Extrême-Nord (1.898.600 h) n’a que +1 par rapport à l’estimation (28 estimés sur 29 réels). Le Nord-Ouest (1.351.800 h) fait le plein de ses sièges (20 estimés sur 20 réels). Ces chiffres sont crédibles dans la mesure où nous tenons ce dernier recensement d’Ahmadou AHIDJO, tandis que la répartition des sièges nous vient de Paul BIYA. Evidemment, cette situation est allée de mal en pis, si nous tenons compte de l’accroissement de la population et de ses déplacements.

Tout projet de réforme de notre Constitution devrait en tout état de cause s’atteler à l’amélioration du fonctionnement de la démocratie et des institutions. Mieux définir la régionalisation réclamée par tous, avec des aires culturelles imposables à tous, afin d’assurer une meilleure intégration nationale, mais aussi mieux définir une représentation élective équitable, nous aideraient à mieux gérer l’Etat et nos tribus.

Il en va ainsi des deux points essentiels de la démocratie que sont les libertés et l’organisation des élections. Bien définir dans la Constitution les cadres de ces libertés et les délais électoraux afin d’aboutir d’une part à la création d’organismes réglementant et contrôlant ces libertés et d’autre part à un code électoral établissant un calendrier des scrutins et une autonomie, pour ne pas dire une indépendance,  réelle du processus électoral.    

L’autre aspect significatif de notre Loi fondamentale est la limitation actuelle du mandat présidentiel, même si, elle aussi a une lacune de taille, puisque le président de la République n’est pas élu au suffrage à deux tours de scrutin, ce qui ne laisse pas d’alternative au citoyen. Nous savons que très souvent dans une démocratie véritable, en cas d’un scrutin à deux tours, une frange d’électeurs sanctionne au premier tour et choisit au second tour, même si elle n’a pas le choix. C’est ainsi que Jacques CHIRAC  a accédé à son deuxième mandat.

Mais cette Constitution a d’autres carences, notamment pour ce qui est de la vacance du pouvoir. Surtout en matière d’absence prolongée du président de la République qui nous a habitués à de multiples voyages privés à l’étranger avec des séjours aux délais forclos par rapport à la Loi fondamentale.

En matière d’institutions, on se penchera aussi sur le problème du pouvoir judiciaire. D’un côté, il y a ceux qui optent pour l’indépendance de ce pouvoir, et de l’autre ceux qui pensent que les magistrats eux-mêmes n’en veulent pas. Il faudra dès lors trancher le nœud gordien en intégrant ce dilemme dans la nécessité des libertés. Il y a ici aussi du grain à moudre. Les volets économique et social (c’est d’ailleurs le cas en ce qui concerne le problème de la Cour des comptes, du Conseil économique et social, des minorités, des autochtones et des allogènes), pour autant que la Constitution puisse les effleurer, devront nécessairement y être plus précis, bien entendu comme pour le reste, sans aller dans les détails, puisque l’Assemblée votera des textes en conséquence, le président de la République quant à lui se chargeant d’améliorer leur application par décrets.

Nous ne souscrivons donc pas à une modification de la Constitution qui se limiterait au maintien d’un homme à la tête de l’Etat, quand bien même ses adorateurs lui trouveraient des vertus messianiques, si ce maintien ne garantit pas l’alternance. Après tout, les chrétiens croient en Christ et les musulmans en Mahomet. Mais aucune des deux confessions n’impose sa croyance à l’autre. Si le Rdpc veut de monsieur BIYA comme président à vie, qu’il se le garde au sein du parti, mais qu’il ne l’impose pas aux Camerounais par des subterfuges dont l’issue est somme toute imprévisible en matière de troubles, quoiqu’on dise. Il suffit que l’ensemble des partis qui n’adhèrent pas à ce projet se donnent la main, pour une fois, afin de préparer une riposte appropriée à ce dessein machiavélique.

On a prétendu qu’Ugo CHAVEZ était un dictateur en herbe, parce qu’il fustige le néo-libéralisme américain et qu’il est l’ami de Fidel CASTRO. Mais quelle leçon de démocratie ne vient-il pas d’administrer au monde ! Lui qui, seul maître à bord pourtant, initiateur de la modification de la Constitution vénézuélienne pour se maintenir au pouvoir, non seulement a admis sa défaite mais a félicité ses adversaires.

Monsieur BIYA qui n’en est pas à un coup d’Etat institutionnel près n’aura pas ce courage qui pourtant l’honorerait. Car ceux qui se servent de lui en le poussant comme un bélier dans cette aventure se croyant malins en plus, ont une autre idée derrière la tête. Alors, au diable l’avarice et advienne que pourra, se dit le locataire du palais d’Etoudi. Mais, attention !  Le peuple, qui n’a pas dit son dernier mot,  veille au grain.

 

Francis KWA MOUTOME

Sylvain EKABOUMA

Club Réalités et Perspectives



15/03/2011
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres