A la mémoire des 500.000 martyrs nationalistes

Cameroun : A la mémoire des 500.000 martyrs nationalistes

Cameroun : A la mémoire des 500.000 martyrs nationalistesPaul Biya a raté l’occasion de poser un acte symbolique en reconnaissant les crimes commis par des officiers français et de leurs supplétifs camerounais.   

Tous les patriotes authentiques du Cameroun doivent faire de 2011,  l’année de Célébration de la mémoire  des 500.000 Héros Nationalistes morts pour le Cameroun pendant les troubles qui ont accompagné l’accession de notre pays à l’indépendance. Ils feront ainsi  échec au révisionnisme de ceux dont la volonté est d’effacer ces martyrs de notre Histoire et de notre patrimoine mémoriel.

Les manifestations dites de ‘’Célébration du 50e anniversaire de l’Armée camerounaise’’ en Décembre dernier à   Bamenda ont été le point d’orgue de cette intention révisionniste de  la ‘’cinquième colonne’’ installée au pouvoir par le néocolonialisme à qui elle reste  inféodée jusqu’ à nos jours. La ‘’ cinquième colonne’’  n’a   cesse  de  mutiler la vérité historique  sur les conditions de l‘ accession de notre pays à la souveraineté et sur le rôle que la France a fait jouer à  l’armée camerounaise pendant cette période. ‘’ Bamenda ‘’ offrait  une occasion de rétablir cette vérité historique et de rendre aux Camerounais leur histoire, en ayant une parole  de regrets pour toutes les exactions, atrocités, et pourquoi ne pas l’ appeler par son nom, pour  l’ immense crime  pour lequel l’ armée camerounaise a été utilisée par la France et son proconsul local qu’ était Ahidjo  , celui de  l’ extermination de nos compatriotes dont le seul crime étaient de demander la simple application des Accords de Tutelle par lesquels l’ ONU avait commis la France à nous conduire à l’ indépendance. Cette occasion, comme beaucoup d’autres avant elle, a été manquée, ou, pour avoir le mot juste, n’a pas été saisie à dessein par le Président  Biya, l’héritier de Ahidjo, et pour cause….
Notre devoir patriotique  est de dénoncer ce révisionnisme et de donner au peuple et plus précisément  aux jeunes générations  la possibilité d’accéder à la vérité historique, afin qu’ensemble, nous célébrions  dans l’intimité de nos cœurs,  la mémoire de ceux-là mêmes à qui a toujours été refusée la moindre reconnaissance officielle de la  justesse du combat et de la noblesse du sacrifice.

Crime contre l’Humanité
Car ce qui, entre 1955 et 1971 , année de l’ exécution de Ernest Ouandié,  chef de l’ALNK,  sous l’ inspiration et l’ encadrement  du pouvoir tutélaire de la France,  s’ est passé dans les villages  des Hauts Plateaux  de la région Bamiléké, dans le Mungo, dans le Nkam, dans les forêts  du pays Bassa, dans les villages du pays Eton, dans les camps de concentration de Mentum, Tcholliré, Mokolo, Yoko,  dans les centres de tortures des BMM , dans les sous sols de la SEDOC, Service d’ étude et de documentation , a atteint les sommets de la cruauté et de l’ inhumanité figurant  l’univers dantesque peint dans ‘’ L’ enfer’’ de l’œuvre majeure  de l’ écrivain italien Dante  .  Autant que beaucoup d’autres, j’ai pu recevoir  de nombreux témoignages  de première main, lesquels  peuvent être confirmés par les rescapés et de nombreux acteurs encore vivants de cette époque.
La répression contre la ‘’ rébellion ‘’ armée imputée a l’UPC a battu son plein en pays Bamiléké, Bassa, dans le Mungo, le Nkam,  à Douala et Yaoundé de 1955 a 1961. Elle est caractérisée par les massacres des populations  et les destructions des villages,  les rafles massives, Samuel Kame, natif de Baham, Chef du ‘’ Secrétaire Permanent à la Défense’’ étant une espèce de ‘’ Commissaire politique’’  à la mode stalinienne ou nazi de cette opération.

S’ensuivra la répression contre la ‘’ subversion’’ en pays Eton  dont les populations étaient majoritairement   sympathisants du  Parti Démocrate de AndréMarie Mbida, un intraitable adversaire de Ahidjo. Elle connaitra son paroxysme de 1962  à 1964 et était  caractérisée par la pratique de la terreur dans les villages avec sac des produits des villageois, arrestations nocturnes, bastonnades et tortures,  viols  perpétrés  par les militaires dont notamment les ‘’ Saras’’ venus du Tchad et de Centrafrique,  déportation massive de dizaine de milliers de ‘’Démocrates’’ a Mentchum, Yoko ,  Tchollire. Les  ‘’ subversifs’’ raflés   étaient orientés dans les centres de tri de Eyenmeyong et de Obala avant d’être  mis en route nuitement pour le ‘’ goulag’’ camerounais. Au lieu et place de Samuel Kame utilisé pour les Bamilékés a l’Ouest,  l’âme damnée de Ahidjo ici était Charles Onana Awana,  également  natif de la région. Des milliers de déportés,  à l’instar du petit frère du Premier Ministre Mbida, n’ en sont jamais revenus. …

Voici en exemple un tableau que m’a donné   un soir  de 1994 à Maroua,  le défunt  Général Taka Songola , paix à son âme.   Soldat à la ‘’1ère  compagnie’’ à Bandja dans l’actuel Haut Nkam qui en hérita le nom de ‘’ Compagnie’’, il me dira que les légionnaires français qui les encadraient,  rescapés d’Indochine où la France avait subi une défaite militaire retentissante à  Dien Bien Phu en 1954, leur disaient que les ‘’ maquisards’’ devaient être exterminés comme des ‘’cancrelats’’. ‘’ Nous ratissions la région   alentour  et ainsi que celles de Futuni, Fondjomokwet, Babouantou. Tous les suspects interpellés au cours des patrouilles étaient ramenés et gardés  pieds attachés  et poings liés dans le dos au camp généralement  établi dans les cases des  chefferies. La nuit venue,   il nous était   donné l’ordre d’ aller les  tuer systématiquement, de sang froid,  en leur transperçant le cœur    à coup de baïonnette…’’.  Il me dit : ‘’ Ils nous l’ont fait faire des dizaines et des dizaines de fois ’’… Avec un accent de regret, il conclut : ‘’ Ils ont détruit nos esprits’’… avant de se verser une large rasade de Cognac qu’il avala d’un trait… Comment ne pas penser ici aux ‘’Eizen Kommando’’ nazi qui écumaient l’Europe de l’Est pour exterminer les juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale ω

Le Colonel Enama Eloundou, ancien combattant en Algérie, Commandant de la Légion de gendarmerie de l’Ouest avant  qu’ il ne soit nommé Directeur de la Sécurité Militaire à Yaoundé après les événements du 6 Avril 1984, que je trouverai, alors que je dirigeais les services commerciaux des Brasseries du Cameroun de l’Ouest et du Nord-Ouest  à Bafoussam  au début des 80,  me prit un samedi dans sa voiture  et  me conduisit jusqu’ à Bamendou dans la Ménoua. Arrivé devant la chefferie de cette localité, il me dit ‘’ Je n’ai jamais oublié ce qui s’est passé ici le 9 Septembre 1961. J’étais  second d’une compagnie commandée par un Lieutenant Français. Nous avons dès le petit matin opéré une  rafle dans toute la contrée  et ramené ici pour interrogatoire plus de 500 personnes, hommes, femmes, vieillards, enfants, que nous avons enfermées dans une dizaine de cases de la chefferie.  A 5h du soir,  les ‘’ maquisards ‘’nous ont attaqué.  L’officier français a assigné  à une section la tache de mettre  le feu   à toutes les cases ou étaient enfermées les personnes raflées… Celles qui arrivaient à en sortir devaient impitoyablement être  abattues…C’était terrible… Les cris… L’odeur de la chair brulée… Je n’ai jamais oublié… Les renforts sont arrivés de Nkongsamba vers 8H de la nuit et les  maquisards ont été repoussés… C’est la première fois que je reviens ici…’’  Il m’indiqua du doigt la direction des  fosses communes  ou avait été ensuite jetés les corps dont ceux de dizaines d’enfants….

Un autre militaire de mes connaissances, officier général encore en service aujourd’hui, m’a rapporté  qu’en brousse, lorsque les ‘’ maquisards’’ étaient  capturés,  on leur faisait creuser une fosse dans laquelle ils étaient ensuite  précipités  et mitraillés. Et pour présenter  des preuves à leur retour d’expédition ordre était donné de couper leurs têtes qui étaient par la suite  exposées  empalées sur des pieux a la chefferie ou sur les places de marché.  Il me rapporta que certains des   militaires  ‘’ Sara ‘’ s’offraient le  plaisir morbide d’émasculer des  corps, prétendant que cela leur procurait l’invulnérabilité. Ceux qui ont été en pays Bamiléké  peuvent attester de ces spectacles macabres de têtes empalées sur des pieux sur les places de marché et dont un des  emplacements reste célèbre à Bafoussam, chose qui à elle seule est une profanation de dépouille humaine et est constitutif de  ‘’crime contre l’humanité’’. Il est utile de souligner ici que le caractère imprescriptible des crimes contre l’humanité expose à des poursuites pénales jusqu’ à la fin de leur vie  les individus dont la participation en tant que civil ou militaire  à l’appareil de répression peut être établie.
En plus de ces trois exemples qui sont loin d’être exhaustifs,  je voudrai livrer ici certains des éléments  que j’ai collectés  au cours de ma réflexion  sur ce sujet.(…)

Regrets et Réparations
La méga-parade  de l’armée camerounaise à  Bamenda  en Décembre dernier visait à sceller dans le sarcophage de l’oubli le martyre de ces  500.000  Camerounais qui ont payé de leur vie leur engagement nationaliste. Les promoteurs de cet événement voulaient tenir les jeunes générations dans l’ignorance de ce que l’une des plus féroces répressions coloniales s’est déroulée dans notre pays, et que l’armée camerounaise a été utilisée par la  France  pour commettre  des  atrocités. Aujourd’hui l’historiographie officielle veut maintenir  le martyre  de ces héros sous la dalle du linceul infâmant des termes ‘’ maquisards’’, ‘’rébellion’’, ‘’terroristes’’,  ‘’ subversifs’ ’tout en  glorifiant ceux qui - l’armée camerounaise-  ont été utilisés, inconsciemment,  comme leur bourreau... La bravoure et les faits d’arme d’une  armée ne sauraient pourtant pas  tenir à une victoire dans une  guerre asymétrique et inégale menée contre son propre peuple, la fréquente référence à la  ‘’ victoire sur  la rébellion’’ dénotant cette intention.

De mon point de vue qui sera certainement   partagé par beaucoup de patriotes, le Président  Biya  aurait été certainement  mieux inspiré si, s’associant à nos  plus anciens officiers généraux ,  eux qui se trouvent être les rares militaires de cette époque à être encore en service actif, eux qui savent mieux que quiconque ce qui s’est  passé dans les brousses du Mungo, du Nkam,  du pays Bamiléké,  dans les forêts du pays Bassa, dans les villages Eton,   si, disais-je, Biya  avait saisi cette occasion pour poser  un geste politique et symbolique majeur  en exprimant au peuple camerounais attentif  les regrets  pour les exactions et atrocités dans lesquels le système colonial français a utilisé notre armée. Nos compatriotes Bamiléké, Bassa,  et dans une moindre mesure Sawa et Eton, eux qui ont payé un prix lourd dans la répression contre la ‘’ rébellion’’ et  la ‘’subversion’’ se seraient en partie sentis soulagé du traumatisme qui continue de   tarauder leurs esprits.  Cela aurait  été un geste d’apaisement grandiose qui aurait en même temps libéré la conscience de ceux de  nos compatriotes en uniforme  qui, involontairement ou inconsciemment  sans nul doute, ont pris part  à l’écriture de cette page noire de l’histoire de notre pays.  Et tant qu’ il n’ aura pas été donné à  notre armée de  passer par cette catharsis, elle restera hantée  par ce vieux démon et aura toujours tendance à répéter cette lubie : ‘’ réprimer la rébellion’’ en massacrant des compatriotes, affichant ainsi  le mépris de la vie des êtres humains … Les massacres de Février 2008 et l’extermination d’un millier d’éléments de la Garde Républicaine après les événements de Avril 1984 en sont une illustration et doivent faire réfléchir…

Malheureusement, Monsieur Biya ne l’a pas compris ou ne peut le comprendre. Seule a prévalu, l’autre dirait comme d’ habitude, la préoccupation politicienne et,  pourquoi ne pas le dire, la volonté de préserver l’histoire telle qu’elle est écrite par le système néocolonial,  au mépris  flagrant du grand dessein qui serait d’apaiser enfin l’âme immortelle blessée  du peuple camerounais…

A ces ‘’ regrets’’ devrait être associée l’exigence faite  à la France de reconnaitre  sa responsabilité  dans  ce crime, comme elle l’a  fait pour  les massacres de Sétif  de Mai 1945 en Algérie   , et ceux de Madagascar en 1947. Cette reconnaissance se doit d’être assortie du paiement par elle de réparations du genre que l’Italie a accordée à la Libye (…)

Ce point fait partie de la vision que je me fais de l’appropriation par les Camerounais de leur histoire, de notre devoir de rendre justice à nos martyrs et d’obtenir réparation pour notre pays.
Nous devons travailler à mettre un terme à ‘’l’exception camerounaise’’ qui fait de notre pays celui où tout est permis. Nous devons viser à y établir la norme  universelle des Etats modernes qui est le Respect de la Vie et de Droits des hommes.  Le Cameroun doit cesser d’être ce pays ou le massacre de 500 000 compatriotes laisse indifférent,  nous faisant courir le risque de voir ce fait se répéter un jour. Seule  la pleine prise de conscience d’une telle ignominie donne l’inspiration et la force pour dire :   Plus jamais ca !
Puisse donc  toute cette année  2011 durant, le  souvenir et la mémoire de ces héros ignorés   nous habiter, dans un Requiem silencieux qui devra préfigurer qu’un jour, il sera érigé  un Panthéon National en leur honneur. Et nous le ferons,  lorsque viendra le temps. .. …

Bonne Année  2011 à tous.

*Chef Traditionnel
Chairman, Global Democratic
Project, USA

© Via Le Jour : Celestin Bedzigui


11/01/2011
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