35 ANS AU POUVOIR DE PAUL BIYA : Au coeur du système Biya

Source: Camer.be 07 11 2017

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En trois décennies et demi d’exercice de  magistrature suprême, Paul Biya a effectué une trentaine de remaniements ministériels et utilisé près de 300 ministres. Seul le pouvoir et l’hyperpuissance de l’actuel président de la République auront été consolidés ; alors que le pays est devenu un immense foyer de corruption et de violence d’Etat. Voyage au coeur du système qui braque et tient en joug les Camerounais depuis 35 ans maintenant.  
 

La consolidation à vie du pouvoir

L’image est restée historique ce 6 novembre 1982. Paul Biya, vêtu d’un costume noir carrelé, sort de l’hémicycle du Palais de verre de Ngoa Ekelle où il vient de prêter serment comme deuxième président de la République du  ameroun indépendant. Entouré d’une escorte légère, il salue le peuple du Cameroun présent ce jour-là dans les rues de Yaoundé. Une foule de jeunes dont l’âge varie entre 16 et 20 ans suit son cortège avec des clameurs de joie, comme pour dire à cet homme âgé alors de 49 ans que « nous sommes avec toi ! Nous sommes derrière toi ! » L’aventure du Renouveau commence ainsi de manière très humaine. A chaque fois, lorsqu’on annonçait sa sortie dans l’espace public, « L’Homme du 6 novembre 1982 » était adulé, tellement son programme politique basé sur la rigueur et la moralisation des comportements était à la fois captivant et prometteur. 35 ans après, le temps a bien passé. Paul Biya est toujours au pouvoir.

 

Début  juillet 2015, au cours d’une conférence de presse au Palais de l’Unité, lors de la visite au Cameroun de François Hollande, alors président de la République française, Paul Biya tient ses propos lourds de significations : « Ne dure pas au pouvoir qui veut, mais qui peut ». Paul Biya a ainsi conçu et bâti un système qui n’a pour fonctionnement que la consolidation à vie de son pouvoir. Le pouvoir semble tellement habiter sa conscience que, même déclinant, on a le sentiment que ce fils de catéchiste, devenu haut commis de l’Etat et que la Providence a installé au sommet de l’Etat, ne pourrait plus vivre sans être président de la République du Cameroun. Dans le système dominant, tout concourt en réalité à faire de lui, le seul homme qui doit gouverner le pays « tant que Dieu voudra », pour reprendre une expression de ses jeunes partisans, le jour de son 84ème anniversaire au Palais des congrès de Yaoundé.

 

Et Mongo Beti, le plus grand écrivain camerounais le disait en son temps : « Nous vivons dans un système où un seul homme existe : Paul Biya. Il régente et contrôle tout. En plus il tient un gros bâton sur nos têtes, prêt à frapper, et nous fait ainsi tous déféquer dans nos frocs ». De son vivant, feu le ministre d’Etat Victor Ayissi Mvondo qui nous avait alors reçu en sa résidence de son village à Mfou, quelques semaines avant sa disparition nous confiait ce témoignage : « si j’ai décidé de prendre du recul avec le système Biya, c’est parce que j’ai compris que dans son entourage tout est fait pour que le président Biya soit transformé en demi dieu. Ce n’est pas acceptable dans un contexte de démocratie. Je ne peux pas l’accepter, moi, de toutes les façons ».

 

Le mysticisme au pouvoir

Le Pr Titus Edzoa, ancien conseiller spécial de Paul Biya,  mais aussi ancien homme fort de ce régime, pour avoir occupé des hautes fonctions dont le poste stratégique de secrétaire général de la Présidence de la République a commis un ouvrage fort éloquent lorsqu’on parle du pouvoir Biya. Intitulé« Méditations de prison. Echos de mes silences », l’ouvrage écrit dans un langage soutenu, décrit les pratiques du pouvoir de celui dont aura été un proche conseiller. Le Pr Edzoa écrit : « Boire tout frais du sang humain, c’est particulièrement excitant pour les caprices des démons ; lasser des langoureuses divines sirènes, trop exigeantes et jalouses, l’on se fait incube, pour priver de leur virginité des nymphettes aussi lascives que naïves : cela procure de la jouvence à perpétuité ; pratiquer comme rituel de purification et d’allégeance l’homosexualité, c’est une haute distinction discriminatoire pour l’honorabilité de la confrérie supposée prestigieuse ; engager en astral des combats nocturnes épiques et suicidaires sur des« avions-tapis volants », bourrés de missiles incendiaires, l’ennemi redouté ne s’éliminant que de nuit, déguster de la chair humaine faisandée à l’étouffée, c’est de l’ambroisie pour l’éternité ; livrer en sacrifice à la confrérie et, tour à tour, le plus aimé de ses proches, c’est renforcer la solidarité et la respectabilité du groupe ; organiser des messes sabbatiques, très noires en couleur, pour défier le Dieu tout puissant entouré de sa cohorte de saints, de bienheureux et consorts ».

 

Et de poursuivre : « pactiser avec Lucifer, le diable doublement cornu, le plus redouté parce que le plus redoutable, en signe de fierté d’être son flambeau de l’incarnation du mal; forniquer avec des cadavres féminins, à défaut de harpies particulièrement décaties, ça donne de la pêche et du courage ; s’abreuver de décoctions hallucinogènes, c’est l’accès assuré au royaume des ancêtres, éternels gardiens de la sagesse ; consulter de vieux grimoires, pour y découvrir des formules magiques : ainsi à la carte peut-on tuer à l’envi, avant de périr soi-même heureux, comblé d’une mort violente…, car parait-il, tout «mystique » meurt toujours d’une mort violente, et toute mort violente démasque « tout mystique camouflé »… ; ablutions, bains publics en tenue d’Adam et lavements d’écorces diverses, assorties de force piment et poivre, en cocktails explosifs, voilà qui « blinde », immunise contre des sortilèges en tous genres, rendant invulnérable à toutes balles et flèches empoisonnées, visibles ou invisibles, à toutes attaques, de jour comme de nuit ; se rendre invisible par des « mots de passepasse », avec la faculté, le pouvoir de détruire préventivement l’autre, et cela d’une façon ostentatoire, car le secret pourrait occulter la puissance ».

 

Et enfin : « posséder l’âme de l’autre, en même temps jouir du privilège du pouvoir d’exorciser, car il faut être un brin diable pour terrasser le démon ; passer à travers les fissures des murs, les palâtres des serrures, en démonstration du pouvoir d’ubiquité… Et bien d’autres prouesses, bien d’autres fadaises, encore et encore ! » Ces propos d’un homme qui, à un moment donné, aura été au centre du pouvoir du président Paul Biya, n’ont jamais été démentis officiellement par celui qui trône à la tête du Cameroun depuis 35 ans maintenant. Comme pour dire que la longévité du Paul Biya comme président de la République trouve en réalité son secret dans le mysticisme qui entourerait ce pouvoir.

 

Corruption et violence d’Etat

Il est en tout cas à noter que tous ceux qui ont essayé de dire ou conseiller à Paul Biya de se démettre du pouvoir l’on payé chèrement. Ils ont subi la violence d’Etat qui s’est impitoyablement abattue sur eux. C’est le cas de Marafa Hamidou Yaya. Selon le témoignage de l’ancien ministre d’Etat, ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation dans une de ses lettres ouvertes adressée au peuple camerounais, il aurait en 2008 recommandé au président Paul Biya de ne pas modifier la Constitution pour se  représenter à l’élection présidentielle de 2011. Et par la suite passer le témoin à l’un de ses collaborateurs. Tout porte à croire aujourd’hui que la difficile situation de d’emprisonnement et du châtiment de l’ex Minatd, après sa disgrâce du système, trouve son origine dans sa « témérité ».

 

Et c’est le  ministre Jacques Fame Ndongo qui a la meilleure formule pour traduire la soumission, mieux la dévotion que les acteurs du système ont vis-àvis du prince. « Nous sommes tous les créatures du président Paul Biya qui a fait de nous tous ce que nous sommes », indique souvent le ministre de l’Enseignement supérieur, l’un des anges de la galaxie. Ainsi conçue, l’ardeur des « créatures » consiste donc à forger le système pour que reste au pouvoir, « 100 ans encore » (pour reprendre un slogan ambiant), ou alors pour l’éternité, leur champion qui est Paul Biya.

 

Dans ce système il y a la grosse machine politique qu’est le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc). C’est l’instrument de toutes les manoeuvres politiques qui ne fonctionne que pour la perpétuation de Paul Biya au pouvoir. On apprend ainsi qu’une disposition des statuts prévoit que le président national est le candidat naturel du parti (Rdpc Ndlr) à l’élection présidentielle. Ceux qui, depuis toujours, multiplient les appels à la candidature de Paul Biya enfoncent donc une porte ouverte. Paul Biya est et restera le président national du Rdpc tant qu’il vivra ; et logiquement donc, il aura toujours été et sera encore candidat du Rdpc. C’est un théorème au sein du « Parti du Flambeau ardent ».

 

 
Plus troublant encore, Elecam, l’institution qui doit organiser les consultations populaires au Cameroun dont l’élection présidentielle. Depuis sa mise en place elle est totalement acquise à l’actuel président de la République. La plupart de ses membres sont militants convaincus du Rdpc. Ils n’ont jamais démissionné de leurs convictions. Jamais ils ne trahiront leur « guide » de conscience qu’est Paul Biya. Au final, mis à part la dynamique socio-politique construite autour de la première dame Chantal Biya dont l’ensemble des oeuvres de charité travaille pour l’affermissement du pouvoir de Paul Biya, le système a su ménager sa monture pour rester en place pendant 35 ans.
 

Et l’un des aspects les déterminants est la corruption qui caractérise le système. La corruption est d’abord matérielle. Le Pr Titus Edzoa l’affirmait en son temps : « Paul Biya est très riche. Aussi riche que vous ne pouvez l’imaginer ». En réalité, selon divers témoignages, l’argent qui corrompt tout le système et audelà, émane des caisses noires de la présidence de la République. Il s’agit d’un argent qui n’est pas signalé dans la loi de finance qui est voté chaque année au Parlement. Même pas au budget de la Présidence de la République. Cette caisse noire existe, et compterait, à en croire nos sources près d’une cinquantaine de milliards de Fcfa chaque année. C’est de l’argent orienté et utilisé pour maintenir perpétuellement au pouvoir « L’Homme du 6 novembre 1982 ».

 

Ensuite, il y a cette corruption par l’organisation de la course aux postes de nominations. Avec cela, le système Biya tient les élites qui lui sont soumises à jamais. C’est ainsi qu’on a forgé la théorie des contraires dans l’accès aux postes politiques et administratifs dans le système. Lorsqu’on limoge une élite au gouvernement, ou ailleurs, on le fait remplacer par son frère du village. La roue tourne donc et le système dominant et son patron restent en place. Lorsqu’on émerge en opposant, très vite on est encerclé, et les instruments de corruption du système se mettent en branle. S’il résiste, on convoque la violence d’Etat, ou alors l’appauvrissement extrême de manière à faire craquer l’opposant. Ainsi va le système, pour qu’après ses 35 ans au pouvoir, Paul Biya envisage encore de rester plus longtemps. Pourvu que cela servent les intérêts des caciques.

 

© Source : Le Messager : Jean François CHANNON


07/11/2017
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