20 Mai 2013 : l’unité nationale en proie au culte du héros, de l’ethnie et de l’argent

Thierry Amougou:Camer.beComment intégrer l’équilibre régional dans l’unité nationale détruite par le culte du héros, de l’ethnie et de l’argent et comment faire de l’unité nationale un projet qui ne perde pas son sens à cause de l’équilibre régional, est la grosse problématique du Cameroun actuel où le culte du héros, de l’ethnie et de l’argent est aussi une preuve évidente de la faillite de la gestion rationnelle de la chose publique depuis 1960

L’Afrique et le monde entier le savent, le 20 Mai de chaque année est la fête nationale camerounaise. Anniversaire du moment où le Cameroun anglophone et le Cameroun francophone décidèrent de lier leur destin, la fondation du Cameroun unitaire mérite un souvenir nationa l'institutionnalisé étant donné que la route vers cet instant et cette décision fut longue et semée d’embûches de diverses natures. Pas besoin de les rappeler ici car ils font partie de la connaissance élémentaire de la marche du Cameroun vers son indépendance. Au moment où fêter le 20 Mai devient machinal au Cameroun et pour les Camerounais que nous sommes, ce qui nous semble primordial est moins le rapport historique à l’unité camerounaise que la matérialisation contemporaine de l’unité camerounaise. Autrement dit, sachant que Paul Biya avait dit dans un de ses discours que « le Cameroun sera uni ou ne le sera pas », dans quel état se trouve en 2013 l’unité nationale camerounaise dont les fondations historiques furent posées par des acteurs politiques spécifiques sous contrainte des problèmes de leur époque ? Le Cameroun actuel présente-t-il le visage d’une république unitaire ? Si non, tel que nous le pensons, quel sort les différents régimes camerounais depuis 1960 ont réservé au rêve d’unité nationale ?

En dehors des festivités, des discours conformistes et des manifestations pleines de ripailles y afférentes, ces questions sont importantes car fêter son pays n’implique nullement de devenir un adepte d’un patriotisme dogmatique mais plutôt de le questionner via un patriotisme critique. Nous devons éviter l’indigestion future d’un 20 Mai qui ne se conjugue que dans le discours creux, le manger et le boire. L’unité nationale ne peut en effet devenir une réalité porteuse de sens pour les générations actuelles et futures que si celles-ci, de façon incessante et pertinente, transforment la fête nationale du 20 Mai en un moment d’anniversaire où l’amour de son pays se matérialise plus par le questionnement de son pays et de ses dirigeants sur le sort réservé à l’unité nationale que par un trépignement tous azimuts sans portées réflexives sur l’unité nationale en 2013. Le 20 Mai de chaque année serait plus porteur sur le bien-être des Camerounais s’il devenait aussi, en dehors du nécessaire souvenir historique, une journée de bilan et d’évaluation du chemin parcouru dans la construction d’une république camerounaise unitaire. Nous ne pouvons faire l’économie de ce questionnement dans un Cameroun qui, à notre humble avis, réuni les signes tangibles d’une unité nationale qui ne se conjugue plus que par son rapport à son souvenir historique étant donné qu’elle devient une chimère au présent et peu probable dans le futur. Notre pays ne peut actuellement parler sereinement et objectivement d’unité nationale au moment où il fait face à plusieurs fractures sociétales profondes qui en constituent des négations contemporaines : la fracture politique, la fracture patrimoniale, la fracture civique, la fracture linguistique et la fracture tribale.

La fracture politique camerounaise est large et composite. Elle englobe à la fois l’éviction historique de la gestion du Cameroun de l’idéologie militante et combattante ayant perdu la bataille de la guerre d’indépendance. Elle comprend le fait que l’unité nationale camerounaise fut effective en 1972, du moins sur le papier, par le biais de Camerounais en collaboration avec leurs alliés externes combattant d’autres Camerounais appelés « maquisards » et dont le sang versé servit de fertilisant au sol des « défenseurs de l’unité nationale ». La forme contemporaine de cette fracture politique est l’Opération Epervier, ses promoteurs, ses victimes et la confiscation du pouvoir par le Renouveau National par usage de l’inflation de la révision constitutionnelle. Le nouveau départ que voulut poser le mouvement nationaliste camerounais comme base de l’unité nationale par sortie réelle du joug colonial n’a jamais trouvé preneur dans le régime Ahidjo-Biya où les faits dont traite l’Opération Epervier sont la conséquence inévitable d’une classe politique au pouvoir uniquement pour prendre la place des colons blancs, une classe politique non patriotique. De là le fait qu’elle pille l’Etat parce qu’elle n’a jamais combattu ni militer pour la liberté réelle du Cameroun. Que veut dire unité nationale quand un pouvoir en place au Cameroun depuis 1982 ordonne des tirs à balles réelles sur des jeunes Camerounais qui manifestent contre la réforme constitutionnelle, norme fondamentale de tous les Camerounais ? L’unité nationale que nous fêtons aujourd’hui ne devient-elle pas automatiquement un consentement meurtrier de la société à de tels actes ?

La fracture patrimoniale est la conséquence de la fracture politique. Elle se manifeste par le double visage patrimonial hautement contrasté dans un même pays entre des Camerounais richissimes en milliards car fonctionnaires, ministres ou directeurs d’entreprises publiques, et des Camerounais ultra pauvres car n’ayant jamais été fonctionnaires, héritiers du pouvoir colonial ou ministres à un poste pouvant servir de canal d’accumulation : peut-on parler d’unité nationale en pareille situation ? Ne sommes-nous pas face à l’unité nationale d’un régime pour une injustice généralisée ?

La fracture civique est le signe d’un Cameroun où l’Etat est devenu un canal d’accumulation personnelle. Elle est la résultante de ce que nous appelons une (dé)civilisation des mœurs par un régime camerounais qui, depuis 1982, a laissé s’installer profondément un Cameroun du chacun pour soi et du rien pour tous. Où est l’unité nationale en 2013 lorsque, via la corruption, chaque haut responsable camerounais, en dehors des exceptions qui confirment la règle, met dans sa poche une partie des richesses de la république camerounaise au détriment de la nation camerounaise ?

La fracture linguistique et civilisationnelle questionne aussi l’effectivité de l’unité nationale aujourd’hui car des velléités sécessionnistes du Cameroun anglophone n’existent que parce que la promesse de départ de l’unité nationale du pays se conjugue toujours en pointillées par le biais du minimalisme instrumental de l’équilibre régional. L’équilibre régional est-il le substitut actuel et historique valable à l’unité nationale au Cameroun ? Quelle compatibilité processuelle, systémique et organique pertinente existe-il entre l’unité nationale d’un Etat et les accords stratégiques ponctuels et instables de l’équilibre régional ?

La fracture tribale agit quant à elle via l’agitation et l’exaltation des différences tribales pour mieux diviser les Camerounais et rester au pouvoir perpétuellement face à un peuple en conflits internes et incapable de s’organiser pour devenir une force agissante cohérente. Tous les régimes camerounais l’ont fait et continuent de le faire en 2013. Que veut donc dire unité nationale dans un Cameroun à la lame tribale si aiguisée et brandie par des responsables étatiques, l’intelligentsia et la société civile chaque fois que des débats sur son avenir, c’est-à-dire sur les règles d’accès, d’exercice et de transmission du pouvoir politique sont mises en débat public ? Face à ce constat, notre hypothèse est simple. Elle revient à dire que l’unité nationale que fête le Cameroun ce 20 Mai 2013 ne s’est jamais transformée en pentecôte politique capable de construire une pentecôte sociétale parce qu’elle est plus que jamais auparavant en proie au culte du héros, au culte de l’ethnie et au culte de l’argent.

* Le culte du héros

Quand le patriotisme dogmatique camerounais consiste à fêter de façon pavlovienne l’unité nationale camerounaise dans un présentisme myope sur l’histoire et ses conséquences alors que le pays que l’on fête est désormais semblable à un radeau à la dérive dans un océan tumultueux, le patriotisme critique exige de fêter son pays et de lui manifester son amour par une interrogation à la fois historique, contemporaine et prospective de ce qu’est l’unité

nationale dans son effectivité. C’est cette deuxième dimension du patriotisme qui permet de voir que ce qui fonde la nation et l’unité qui en résulte provient aussi du fait qu’étymologiquement le concept de nation procède d’un terme latin dont toutes les significations renvoient à l’idée de naissance. Le Cameroun comme toutes les anciennes colonies subsahariennes peut être considéré comme passé de la mort à la naissance via l’accès à la souveraineté internationale. La fin formelle de l’événement traumatique que fut la colonisation allemande, française et anglaise qu’a connue le pays devait marquer sa naissance au monde des peuples ayant le droit de disposer d’eux-mêmes. Le malheur vécu sous le joug colonial et l’acte de sortie de celui-ci sont donc des actes fondateurs d’une nation. Mais le moins que l’on puisse dire dans le cas du Cameroun est que l’unité nationale a dès le départ eu du plomb dans l’aile car la stratégie politique de changement radical par rapport à la situation coloniale par la conquête intra camerounaise de son indépendance réelle, a été battue en brèche par l’option faible et/ou modérée de collaborer pour négocier cette indépendance avec les puissances d’occupation. L’acte historique fort car révolutionnaire qui aurait pu et dû renforcer la naissance du Cameroun en tissant solidement la natte de son unité nationale, est donc toujours manquant dans la trajectoire politique camerounaise. Raisons pour lesquelles le pays a chaque fois essayé d’y palier depuis 1960 par le culte du héros en remplacement du culte de la patrie camerounaise. En devenant président de la république unie du Cameroun, Ahmadou Ahidjo fut ainsi artificiellement hissé au rang de héros du Cameroun indépendant en lieu et place des « maquisards » qui avait pourtant posé en termes forts et capables de consacrer une réelle unité nationale, la problématique de l’indépendance du Cameroun. Depuis 1982 c’est Paul Biya le nouvel héros de la même trajectoire politique sans militantisme, sans projet fort et sans esprit patriotique comme adjuvant ou viatique à la mystique patriotique du mouvement nationaliste camerounais. Les résultats sont les mêmes : le remplacement du projet collectif d’émancipation populaire par le projet individualiste d’une émancipation élitiste et fermée au peuple camerounais dans sa grande majorité. D’où le fait que la fête de l’unité nationale devient à la fois un anachronisme et un gros mot dans un pays comme le Cameroun où l’utopie collective du mouvement nationaliste camerounais s’est muée en utopie corporatiste en troquant le projet d’unité nationale par l’instrument de l’équilibre régional. Les Lions indomptables, le dernier arbre qui a jusqu’à nos jours caché la forêt et fait illusion par rapport à cette unité nationale, sont désormais aussi atteints par le virus des utopies corporatistes via une gouvernance de jouissances individuelles qui fait de la Fécafoot une « Fécafood » et, pis encore, une « Fécafey ». Autant de néologismes prouvant que le pays n’est pas dans une dynamique de projets unificateurs mais de projets de court terme dont le rôle est de faire manger et de faire durer ceux qui les pilotent. Aussi, sans surprise, l’équilibre régional, instrument de pure gestion politique a remplacé le projet unitaire à telle enseigne que les dividendes politiques de celui qui singe l’unité nationale pour son « gombo politique » sont ce que cherchent les acteurs politiques nationaux dans un discours politique où l’unité nationale est devenu un pur slogan. Comment intégrer l’équilibre régional dans l’unité nationale détruite par le culte du héros, de l’ethnie et de l’argent et comment faire de l’unité nationale un projet qui ne perde pas son sens à cause de l’équilibre régional est la grosse problématique du Cameroun actuel où le culte du héros est aussi une preuve évidente de la faillite de la gestion rationnelle de la chose publique depuis 1960.

* Le culte de l’ethnie

En dehors du culte du héros, le culte de l’ethnie est l’autre paramètre du fiasco contemporain de l’unité nationale camerounaise. Il se matérialise par la résurgence tous azimuts des identités ethno-territoriales alors que la République unie du Cameroun devrait être un basculement du pays dans la modernité politique où la préséance de l’ethnie dans le repérage des conflits, des pratiques politiques et leur régulation devrait être en retrait par rapport à la

référence citoyenne et publique. Cela n’est pas une surprise car il n’y a pas meilleur argument pour exalter les liens de sang et les origines que le culte du héros dans un environnement où les référents modernes de l’Etat sont inopérants. Dans un pays où, plus de cinquante ans après son indépendance, la Constitution parle encore d’allochtones et d’autochtones, dans un Cameroun où l’ethnie devient le référent le mieux disant pour se construire une base politique, se positionner sur l’échiquier politique national et pour garder le pouvoir lorsqu’on le possède déjà, parler d’unité nationale devient un abus de langage. Le fait que le culte du héros ait préféré l’instrument politique qu’est l’équilibre régional au projet collectif d’émancipation au sein d’une république avec des référents impersonnels comme la citoyenneté camerounaise puis les droits et devoirs subséquents, a entraîné le culte de l’ethnie dont le zénith sous le Renouveau National est le paradigme du pays organisateur suivant lequel c’est l’ethnie dont le ressortissant est à la tête de l’Etat qui organise la chose publique et gère les ressources nationales en sa faveur en limitant les risques d’implosion grâce à un équilibre régional qui permet aux autres ethnies non organisatrices d’en profiter par recrutement de leurs têtes de pont au pouvoir. Par voies de conséquences voir l’élite intellectuelle camerounaise exceller dans l’invention de concepts ethno-territoriaux comme « la sudité », « la préséance autochtone sur la citoyenneté camerounaise », « les faux Beti et les vrais Beti » ou encore « la majorité démographique d’une ethnie » est le signe que ceux qui ont dirigé le pays depuis 1960 ont fait du projet d’unité nationale un moteur à raidissements identitaires en lieu et place d’un tremplin à l’élévation des Camerounais au dessus des généalogies.

* Le culte de l’argent

La dernière chose qui montre que l’unité nationale bat de l’aile au Cameroun est le culte de l’argent lui-même complémentaire au culte du héros local qui n’est rien d’autre que le culte du « bao local » alors que bâtir une unité nationale ne peut se faire sur un instrument de transaction. L’union européenne qui a cru construire une unité et une citoyenneté via l’Euro s’en rend aujourd’hui compte car ce sont des hommes et des valeurs collectives de solidarité qui portent une unité nationale et son sentiment et non un instrument monétaire qui, situation aggravante, est acquis au Cameroun par détournement des ressources publiques. Le culte des bonnes mœurs dans la gestion de la chose publique est depuis remplacé par le culte de l’argent via l’enrichissement illicite et exponentiel sur le dos de l’Etat par appauvrissement des masses populaires. L’argent est passé au Cameroun de son statut de moyen utile à tous pour vivre à celui d’un Dieu dont la force d’attraction détruit l’Etat, spolie un peuple et plonge la gouvernance nationale dans une truanderie généralisée où la libido accumulative règne en maître et rend caduque une unité nationale que nul ne vise dans un pays et une Afrique où avoir la pouvoir exécutif revient à privatiser des ressources publiques pour son enrichissement individuel. Dès lors, ce qui fait l’unanimité au sein de la population camerounaise aujourd’hui est moins l’unité nationale et le travail politique pour y arriver que le constat qu’accéder au pouvoir permet de devenir milliardaire sur le plan national. Ce n’est pas par hasard que le Renouveau National est désormais un distributeur automatique de billets afin qu’un Camerounais d’un parti politique d’opposition accepte d’être sénateur suppléant. Preuve que l’Opération Epervier ne sert à rien si le régime au pouvoir et son parti sont les corrupteurs confirmés de l’unité nationale par des transaction frauduleuses qui visent à faire illusion de l’union sacrée autour d’un régime qui tire sa force de la division permanente des Camerounais. Comment tenir un discours d’unité nationale à une jeunesse camerounaise qui entend parler de milliards détournés en longueur de journée alors qu’elle est majoritairement au chômage ? Comment parler d’unité nationale dans un pays où les Camerounais deviennent les loups les uns des autres dans la recherche effrénée et débridée par tous les moyens de l’argent public ?

NB: Thierry AMOUGOU est enseignant-chercheur à l'université catholique de Louvain, Belgique. Fondateur et animateur du CRESPOL (Cercle de réflexions économiques, sociales et politiques de Louvain)

© Correspondance : Thierry AMOUGOU


21/05/2013
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