15 janvier 1971 – 15 janvier 2013: HOMMAGE A ERNEST OUANDIE NJASSEP MATTHIEU TEMOIGNE (III)

Mathieu Njassep:Camer.be(…)Le 5 janvier 1971, fin du tribunal militaire. Verdict : 6 condamnations à mort parmi lesquelles : OUANDIE Ernest « Emile »,  Mgr NDONGMO, FOTSING Raphaël, dit le Redoutable, WAMBO le Courant, TAKALA Célestin et moi  NJASSEP Mathieu (BEN BELLA). WAMBO et TAKALA étaient condamnés pour l’ « affaire de  la Sainte croix », Mgr NDONGMO pour les deux affaires. Ce verdict eut lieu le 5 janvier 1971 et, le 15 du même mois, OUANDIE, WAMBO, FOTSING furent exécutés publiquement à Bafoussam.

Du retour de Bafoussam le soir du même jour, MOUYAKAN, le commissaire de la BMM, m’appellera dans son bureau pour m’informer qu’il rentre ainsi de Bafoussam pour l’exécution de ces derniers et que Mgr NDONGMO, TAKALA Célestin et moi nous sommes graciés, que désormais nous avons la détention à perpétuité. Entre temps Mgr NDONGMO sera transféré à TCHOLIRE puis finalement envoyé 5 ans après à Rome ; sur la demande du Pape. De là ; il partira au Canada pour y représenter le pape. C’est là-bas qu’il trouvera la mort. Son corps sera transféré au Kamerun pour être inhumé à Nkongsamba où il travaillait avant. Nous sommes donc restés deux, TAKALA et moi (bien sûr avec les autres détenus) à la BMM.

LA VIE A LA BMM

Il y avait 10 cellules à la BMM : 5 devant et 5 derrière.  Pour la nutrition ; au début elle était, disons, passable. On nous préparait le macabo, le plantain ou du riz parfois. Tout ceci avec de a sauce d’arachide contenant un peu de la viande du bœuf. Mais pas pour longtemps ! Seulement pendant la période des enquêtes. Celle-ci passée ; le régime alimentaire a changé. Deux choses seulement restent : macabos et bananes plantain. Ces premiers sont préparés sans être épluchés, sans de complément c'est-à-dire sans sauce. Que ce soit le macabo ou le plantain, on vous les apporte dans chaque cellule dans les seaux, et la distribution est individuelle entre vous. Le jour où on a « trop fait », il y a la sauce. Mais quoi comme sauce ? De la bouillie de farine de blé avec de l’huile de palme très rouge et du sel ! Point final.

Très peu de gens essayaient de manger cela. Je n’arrivais pas à avaler cette sauce  et bien d’autres détenus aussi. Nous préférions manger les macabos et les plantains tels quels, c’est à dire secs. Souvent, on leur retournait intacte leur fameuse sauce. 

Des fois l’eau courante faisait défaut, quand les tuyaux qui la conduisaient  à l’intérieur de la B MM étaient bouchés. A l’intérieur de chaque cellule il y avait un demi-mur qui séparait la douche du lieu où on se couchait. Et quand les tuyaux étaient bouchés, c’était de la merde,  la puanteur partout ! En ces temps, les selles se faisaient à même le sol. Je me souviens qu’en 1973, tous ces conduits d’eau étaient restés bouchés pendant des mois, jusqu’à ce que je parte pour la prison de TIGNERE. La situation était restée telle quelle sauf dans  la cellule 10 où l’eau coulait normalement.

ENTRE MON DIEU ET MOI

Je n’ai aucune intention ici de donner l’évangile. Je ne fais que relater exactement ce qui s’est passé entre moi  et ce Dieu que j’adore. Car je suis, depuis mon enfance jusqu’à ce jour, un chrétien de la mission protestante. Toutes mes études je les ai faites à la mission.

Je disais que l’eau manquait dans toutes les cellules sauf la cellule 10 où l’eau coulait normalement. Or, j’avais été envoyé dans la cellule 5 après le jugement, alors qu’au début j’étais dans la 3. En tant que chrétien donc comme je l’ai dit, partout où je suis, en tout temps, je ne me sépare jamais de la prière.

J’étais enchaîné, le seul d’ailleurs, dans toute cette BMM. L’eau manquait, l’atmosphère de la cellule était  insupportable à cause de l’odeur. Que faire alors ? J’ai tourné mon sujet de prière vers cette situation d’eau et je demandais et répétais à Dieu si j’étais vraiment  le plus grand criminel dans cette BMM pour qu’il me laisse souffrir de la sorte dans les chaînes, sans nourriture et même sans eau qu’il a laissée à la portée de tous. Et je pointais la cellule 10. S’il pouvait faire qu’on m’envoie là-bas pour qu’au moins je trouve un peu d’eau. Je la faisais toujours et à plusieurs reprises, cette prière. Cette situation persista pendant environ un mois et demi et je ne cessais de prier.

Un soir, un policier se pointa devant la porte 5 où j’étais. C’était vers 18h et il me dit : « Monsieur Mathieu venez, le commissaire vous appelle au bureau ». Puis il ouvrit la porte. Je sortis et le suivis. Nous voilà chez le commissaire, qui m’appelle. Je répondis. Il demanda : «  Vous voulez qu’on vous envoie dans la cellule 10 ? », comme si quelqu’un était parti lui dire que je voulais qu’on m’envoie là-bas. Alors que mes prières se passaient seulement entre mon Dieu et moi…       Je répondis ! « Si voulez, monsieur le commissaire. Si vous m’envoyez n’importe où, j’irai. » « Allez arranger vos effets et vous partez dans la 10, d’accord ? », conclut-il. « Oui, monsieur le commissaire ». Et il ordonna au policier qu’on me conduise dans la cellule 10.

J’ai quitté la cellule 10 en décembre 1973, sans manquer d’eau, sans qu’i y eut un changement encore dans les quatre autres cellules.

UN AUTRE FAIT APRÈS MA CONDAMNATION A MORT

J’étais rentré à la BMM. Certains détenus me posaient des questions de savoir quelle peine telle ou telle personne a eue. Cela a failli susciter la bagarre entre ceux-ci et les autres qui les accablaient d’injures en disant : « Mais, vous êtes fous ou quoi ? Quelqu’un vient d’être condamné à mort vous ne le laissez pas tranquille. A sa place, est-ce que vous pourriez avoir la force de dire un mot ? Cessez donc avec ces questions sinon… »

Je leur répondis calmement : « Laissez, s’il vous plaît, ne vous en faites pas. Si dieu ne veut pas que je quitte ce monde par cette voie de fusillade çà ne se fera pas, quoique je sois condamné à mort. Que celui qui veut me demander quelque chose  le fasse. » Et je me mis à répondre à leurs questions selon ce que je connaissais. C’était un grand étonnement pour tout le monde de la BMM de me voir rester si calme, si tranquille, comme si de rien n’était.

Enfin, la veille de l’exécution de OUANDIE et des autres je vis en rêve quelqu’un, un homme, avec une longue épée. Il  me dit : « Viens ici,  toi », avec un air farouche. Je partis tout glacé. Il tira son épée du fourreau, la souleva très haut pour me frapper et m’assommer d’un coup. A l’instant même, je vis, assis à côté de lui, un vieillard aux cheveux très blancs qui leva la main et dit : « Ne fais pas du mal à cet enfant. » L’homme à l’épée baissa lourdement sa main, enfonça son épée dans le fourreau, me regarda et secoua la tête. Je me réveillai tout à coup et, le cœur battant, je me mis à prier sans dormir jusqu’au matin. C’était aux environs de quatre heures du matin. Vers six heures, j’entendis les claquements de talons de chaussures sur le ciment dehors. Je prêtais les oreilles et j’entendis : « Monsieur OUANDIE sortez ! » La porte s’ouvrit puis : « M. WAMBO venez ! ». Et ensuite : « Monsieur. FOTSING ! ». Ils devaient partir pour ne plus revenir.

LES TORTURES A LA BMM

En plus de toutes ces privations et de tout dénuement s’ajoutaient les tortures. En effet, il faut avouer que pour travailler dans cette BMM il fallait être un tortionnaire spécialisé. Ceci depuis le commissaire jusqu’au dernier planton  qui était dans cette chapelle : une petite chambre où les gens sont torturés.

Les pratiques de torture :

 - Le courant qu’on appliquait sur les parties sensibles et délicates du corps du corps humain : langue, sexe, bouts des doigts, orteils etc.

- La balançoire : c’est un dispositif où l’on suspendait les gens nus - que se soit femmes ou hommes - sur le dos et, à l’aide d’un gros tuyau en caoutchouc, on vous frappait. Il y a des gens qui sortaient de là toute la peau du dos arrachée. Il y en a qui mourraient. Pour te placer sur la balançoire, on te déshabillait et te laissait nu comme tu es venu au monde ! La femme de même. Puis, on t’attachait les mains et on les écartait mains, pliait tes jambes pour les faire passer entre tes bras ; puis on passait une barre de fer entre tes coudes et on te soulevait avec cette barre pour la placer sur des fourches placées et écartées à la dimension de la barre comme le but de football. Et comme je l’ai dit, la tête se trouvait toujours tournée vers le bas. Le sang souvent dans cette pièce coulait comme si on se trouvait dans un abattoir. Il y avait des pinces pour saisir les doigts comme si on veut arracher un clou sur une planche. Avec les petits bâtons que détenaient les tortionnaires, ils vous frappaient les doigts les poings étant fermés. Ne parlons pas de vous tirer les oreilles de façon à pouvoir les arracher, des gifles capables de casser le tympan.

Autre chose qui se passait à la BMM : certains « grands » venaient là-bas enfermer arbitrairement les gens. Quand ils les amenaient, ils les faisaient fouetter et les garder autant qu’ils voulaient : une semaine, deux ou un mois, sans autre forme de procès. La libération ne dépendait que de ces messieurs. Ils revenaient avant de te libérer te distribuer encore  quelques coups de fouets, en te disant que « çà t’apprendra à ne pas plus recommencer. »

 (A suivre)

[Extrait d’un  témoignage écrit de Matthieu NJASSEP daté de juillet 1998]

© Correspondance : Théophile NONO, Collectif Mémoire60, collectifmemoire60@gmail.com Bafoussam


18/01/2013
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