06 avril 1984: Le film du putsch manqué: Afin que nul n’oublie

YAOUNDÉ - 04 Avril 2012
© Yves Marc Kamdoum, Labaran Mamouda et Re | La Météo

Ce jour-là, de jeunes officiers et sous-officiers, regroupés au sein du mouvement «J'ose», ont décidé d'enfreindre l'ordre constitutionnel.

II est à peine 3h, lorsque les habitants de la capitale sont tirés de leur sommeil par d'insolites grondements qui se confondent à des coups de tonnerre ponctuant la fin d'un orage qui, dans la nuit, s'est abattu à Yaoundé. Puis, les échos se font plus précis, permettant de distinguer nettement des tirs d'artillerie, et d'autres plus saccadés, d'armes légères. A 3h20, la sirène d'alarme du palais présidentiel se déclenche. On commerce alors à s'inquiéter. Le cauchemar s'installe dans les ménages. Les familles ayant un téléphone à domicile s'appellent. «Que se passe-t-il?» C'est la même réponse partout: «On ne sait pas». Le colonel Ousmanou Daouda, chef d'état-major particulier du président de la République sera souvent appelé par des amis angoissés.

Une heure, puis, deux heures après le début des coups de feu insolites, il répond toujours et encore: «Je ne sais pas ce qui se passe». Et on peut s'étonner que lui, le chef d'état-major particulier du président de la République, puisse ignorer des manœuvres militaires. Et encore plus surprenant, il se trouve toujours à son domicile. Plus curieux, le commandant Bénaé, l'un des collaborateurs directs du chef d'état-major particulier du président de la République, l'appelle plusieurs fois au téléphone. Il s'entend répondre qu'il se trompe de numéro, celui qu'il appelle étant celui d'une banque de la place. A cette heure-là, aucune banque n'ayant encore ouvert ses portes, le commandant Bénaé, pris de doute, met sa famille en sécurité et fonce en ville pour essayer de comprendre. Il découvre l'ampleur du désastre, les premiers cadavres jonchent déjà les rues de Yaoundé. Il se rend immédiatement à la station terrienne des télécommunications de Zamengoué. Les soldats qui s'y tiennent sont prévenus. Puis, le téléphone fonctionnant, Bénaé peut contacter quelques chefs de formations militaires et leur demander de faire mouvement sur la capitale.


Le général de gendarmerie.

Oumarou Djam Yaya, en homme rompu au renseignement, pour sa part, a senti de quel côté le coup pouvait venir. Il appelle le colonel Saleh Ibrahim, commandant de la Garde républicaine et lui demande de lui rendre compte de la situation. Celui-ci lui répond qu'il pourrait s'agir d'une tentative de coup d'État et demande au général de lui indiquer sa position. Oumarou Djam Yaya lui déclare qu'il se trouve à son bureau, mais se met prudemment à l'abri. Quelques minutes plus tard, un char se présente devant son bureau et le bombarde. Grace à ce subterfuge, Oumarou Djam Yaya sauve sa vie. Mais, le commandant de la Garde républicaine s'est aussi trahi. Au colonel de la gendarmerie Akono Hermann qui lui pose la même question: «Que se passe-t-il?», le commandant de la garde républicaine dit qu'il est retenu prisonnier chez lui, encerclé par les rebelles. Il demande au colonel Akono de lui préciser sa position. Mais, soupçonneux, plutôt que demeurer dans son bureau, le colonel Akono s'installe dans sa voiture et met le moteur en marche. Il n'attendra pas longtemps: un char de la garde républicaine arrive sur les lieux. Le colonel Akono a compris et démarre en trombe. C'est dans la malle arrière d'un véhicule conduit par l'épouse d'un officier voisin, Mme Matip, que le général Semengué va sortir du quartier général, puis de la ville pour organiser la riposte. Et celle-ci ne partira pas de bien loin. En réalité, le projet d'un coup d'État préparé par les officiers et sous-officiers de la garde républicaine n'était pas totalement ignoré. N'en était inconnue que la date d'exécution. Très prévoyant, le général Semengué, dans le plus grand secret, avait consigné au stationnement, à quelques kilomètres de la capitale, quatre jours avant le déclenchement de l'insurrection, une unité militaire avec armes et munitions à toutes fins utiles. C'est vers celles-ci qu'il va se porter après avoir échappé aux tueurs. C'est également de cette formation que viendra aussi la première grande riposte, avant l'entrée dans la ville des unités d'Ebolowa et des troupes héliportées de Koutaba.

Contre offensive. A l'intérieur de la résidence présidentielle, le plus gradé, le capitaine Ivo réunit tous les éléments dont il dispose. Avec une indifférence trompeuse, il leur demande s'il ne vaut pas mieux rallier les putschistes et assurer la réussite de ce coup d'État, à partir de l'intérieur, compte tenu du rapport de forces, en faveur des insurgés. La plupart des gardes du corps du chef de l'État acceptent cette proposition. Le capitaine Ivo les désarme aussitôt, et les neutralise avec le concours d'une demi-douzaine d'hommes prêts, au contraire, à affronter les putschistes. Pendant plus d'une journée, la résidence présidentielle sera défendue par moins d'une douzaine de personnes utilisant des armes individuelles et faisant illusion avec d'autres, plus puissantes, réglées sur automatique, et capables de déclencher des balles, des explosifs et des missiles. Cette dernière disposition couvrait les défenseurs par un système de rotation et de synchronisation parfaitement mis au point. Le président de la République est conduit dans un bunker, un réduit lui-même surarmé, capable semble-t-il, de soutenir un siège d'une semaine et qui constitue par ailleurs, un abri atomique. Le maréchal des logis chef Hollong allias «Cameroun», met alors en marche la sirène d'alerte, éteint les lumières du palais et éclaire les jardins. Ce qui permet aux défendeurs, tireurs d'élite pour la majorité, d'opérer sans être vus de leurs agresseurs et d'en abattre à coups sûrs sans perdre inutilement des munitions. Cette résistance inattendue déroute les assaillants. L'un d'entre eux, d'un poste de garde à l'entrée du palais, a alors l'idée de téléphoner à la résidence présidentielle. Jouant de ruse et au soldat loyaliste, il demande si la résidence est bien défendue, se renseigne sur le nombre de défenseurs, et veut aussi savoir si le président de la République est en sécurité. Celui qui répond de la résidence présidentielle n'est pas dupe. Il bluffe et fait savoir à son interlocuteur que la défense est soutenue par une centaine d'éléments, alors qu'ils sont moins d'une douzaine, et que le chef de l'État est dans le bunker, ce qui est vrai. Le capitaine Yaya Mazou, spécialiste des transmissions qui vient de se renseigner ainsi, comprend très tôt pour sa part, que tout est perdu, et que l'effet de surprise escompté, ne peut plus jouer, surtout que le président de la République est dans le bunker, place imprenable avant une semaine au moins. Pris au dépourvu, les mutins essaient de prendre la clé des champs, chacun de son côté. C'est la débande générale. L'échec d'un coup d'Etat.

Source: La flamme et la fumée


07/04/2012
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